Justice

L’actionniste russe Pavlensky écope d’une forte amende mais sort libre du tribunal

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · lejournaldesarts.fr

Le 9 juin 2016 - 843 mots

MOSCOU (RUSSIE) [09.06.16] – Piotr Pavlensky, en prison préventive depuis 7 mois, échappe à une incarcération plus longue mais devra payer 13 000 €. Le pouvoir ne sait pas comment gérer son cas.

L’artiste actionniste Piotr Pavlensky a été libéré le 8 juin à midi après sept mois de prison dont deux semaines en hôpital psychiatrique. Le tribunal Meschansky de Moscou l’a reconnu coupable de « destruction d’objet appartenant au patrimoine culturel », et l’a condamné à verser une somme de 980 000 roubles (13 524 euros) au lieu des deux ans de prison qui menaçaient l’artiste au début du procès.

Au petit matin du 9 novembre 2015, Pavlensky avait aspergé d’essence une porte du siège de la sécurité d’Etat (FSB, ex-KGB), avant d’y mettre le feu et de se poster devant la porte, sous l’objectif de deux journalistes. Cette performance intitulée « menace », dénonçait le « terrorisme du FSB » et était dédiée au metteur en scène ukrainien Oleg Sentsov, condamné l’année dernière par la justice russe à 20 ans de prison pour terrorisme.

La juge Elena Goudochnikova a réduit l’amende réclamée par le parquet (1,5 millions de roubles) et lui a épargné une incarcération plus longue, arguant que le prévenu a déjà purgé sept mois de prison préventive, qu’il s’agit de la première condamnation pénale et que Pavlensky est père de deux enfants.

L’artiste au physique ascétique a écouté le verdict sans broncher, depuis la cage de fer réservée aux prévenus. Contre le règlement et en signe de protestation, il est resté assis et n’a pas répondu aux questions de la juge. Pavlensky réclamait depuis le début de son procès que l’accusation soit requalifiée de vandalisme à terrorisme.

« Merci à tous ceux qui n’ont pas eu peur, votre soutien est très important », ont été les premiers mots de Pavlensky en sortant du tribunal où l’attendait un groupe de journalistes et de partisans. Il a critiqué un verdict « hypocrite ». « Ils m’ont libéré parce qu’ils ont voulu créer une occasion pour revêtir un masque l’humaniste ». Il a ironisé sur le nom du tribunal (Meschanski signifie en russe philistin, petit-bourgeois, roublard). « Ils veulent de l’argent, mais je ne paierai pas l’amende, même si j’avais cette somme ». Pavlensky dit ne pas savoir quand et quelle sera sa prochaine performance, mais il a fait part de sa détermination à continuer sa lutte contre le « l’organisation terroriste FSB ».

Plusieurs observateurs du procès ont vu du cynisme dans l’accusation faite à Pavlensky de « destruction de patrimoine culturel ». La juge a tout simplement ignoré l’opinion d’un expert de la restauration du ministère de la Culture venu au tribunal expliquer que la porte n’avait aucune valeur patrimoniale, puisqu’elle est une copie approximative de la porte d’origine. L’artiste Piotr Verzilov (groupe Voïna) relève que la juge Goudochnikova a décrit le siège du FSB comme un « bâtiment de valeur, car des hommes de culture de premier plan y ont été détenus ». « Il faut sur l’heure classer le FSB au patrimoine de l’UNESCO », raille Verzilov, dont l’épouse Nadia Tolokonnikova, membre des Pussy Riot, a purgé deux ans de prison à l’issue d’un procès très controversé.

Tout au long du verdict, la juge a décrit le bâtiment de la performance comme le « siège des Guépéou, NKVD, KGB et FSB », soulignant ainsi la filiation entre les quatre appellations historiques de la police politique russe, dont les deux premières incarnations sont responsables de l’élimination de millions de citoyens soviétiques.

« L’État est mal à l’aise sur le cas Pavlensky », note l’historien et critique d’art Andreï Erofeev. « Il est déjà devenu le plus connu des artistes russes contemporains, mais ils ne sont pas prêts à lui pardonner son action contre le FSB, car sur le plan symbolique, ce qu’il a fait est impardonnable, c’est une véritable déclaration de guerre. Mais d’un autre côté, le pouvoir ne veut pas l’emprisonner, comprenant que c’est justement là le souhait de Pavlensky. Ils aimeraient le neutraliser, mais ne savent pas comment. Il est le premier à franchir la frontière entre le symbolisme et le réel. Il est plus proche des résistants qui s’immolent que des actionnistes viennois, qui simulaient le sang ».

Dans des performances précédentes, toutes dirigées contre le pouvoir russe, Pavlensky s’était tour à tour cousu les lèvres (en protestation contre l’emprisonnement des Pussy Riot). Il s’était enroulé nu dans du fil barbelé, clouté son scrotum sur les pavés de la place rouge et tranché le lobe de l’oreille.

La figure de Pavlensky divise profondément la classe politique russe. La semaine dernière, le ministre de la Culture russe Vladimir Medinski avait décrit Pavlensky comme un « malade mental ». « il devrait se faire soigner, boire du kéfir et un thé très serré avant de s’endormir. Ne pas boire d’alcool. Il n’a aucun lien avec l’art ». Le chef de file des opposants russes Alexeï Navalny s’est lui réjouit sur son blog de la libération de Pavlensky et a salué « une victoire de l’art contemporain russe ».

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L'artiste russe Pyotr Pavlenski quitte libre le Palais de Justice de Moscou, le 8 Juin 2016 © photo VASILY MAXIMOV / AFP

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