Ukraine - Russie - Justice

LITIGE INTERNATIONAL

La Russie furieuse de voir les trésors de Crimée lui échapper

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · Le Journal des Arts

Le 15 novembre 2021 - 721 mots

La cour d’appel d’Amsterdam a décidé que les 2 000 pièces d’une exposition sur l’or des Scythes, présentée aux Pays-Bas lors de l’annexion de la Crimée par la Russie, reviendraient à l’Ukraine.

Objets Scythes présentés dans l'exposition « Crimée : Or et secret de la mer Noire » au musée Allard Pierson en 2014. © Allard Pierson Museum
Objets Scythes présentés dans l'exposition « Crimée : Or et secret de la mer Noire » au musée Allard Pierson en 2014.
© Allard Pierson Museum

Moscou. Moscou n’a nullement l’intention de renoncer aux trésors archéologiques de Crimée que la cour d’appel d’Amsterdam a décidé le 26 octobre de rendre à l’Ukraine. Ce jour-là, faisant primer la raison d’État sur le droit de propriété, la juge Paulina Hofmeier-Rutten a tranché : « ces objets font partie du patrimoine culturel de l’Ukraine » et « appartiennent au Fonds public des musées d’Ukraine ». Au détriment des quatre musées de Crimée qui conservaient jusqu’en 2014 les 2 000 pièces de l’exposition « La Crimée : or et secret de la mer Noire ».

L’exposition était présentée au musée amstellodamois Allard-Pierson lorsqu’en février 2014 la Russie annexa par la force la péninsule de la Crimée aux dépens de l’Ukraine. Une action illégale, condamnée par la communauté internationale et aux multiples conséquences, parmi lesquelles l’imbroglio juridique concernant la propriété des trésors archéologiques.

Se réjouissant de cette décision de justice, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a aussitôt déclaré : « Nous allons d’abord récupérer l’or scythe, puis la Crimée. » Son Premier ministre, Denys Chmygal, a précisé que l’Ukraine ne révélera le lieu de conservation des pièces qu’après la décision de justice finale.

Moscou ne l’entend pas de cette oreille et envisage diverses actions pour remettre la main sur les artefacts. La Russie dispose de trois mois pour déposer un recours devant la Cour suprême des Pays-Bas. D’ici là, l’or scythe sera conservé au Musée Allard-Pierson. Les quatre musées de Crimée, sous juridiction russe, ont annoncé qu’ils feraient appel de la décision.

Une « décision politique »

Le président du Comité d’enquête de la Fédération de Russie (équivalent du FBI américain) a annoncé l’ouverture d’une enquête pour procéder à une « évaluation appropriée de la violation des intérêts de la Russie ». Le ministère des Affaires étrangères russe a, lui, dénoncé une « décision politique », qui crée « un précédent très dangereux minant la confiance » entre les musées et nuisant à la coopération culturelle entre la Russie et les Pays-Bas. Plus direct, le député du Parlement de Crimée, Yuri Gempel, tonne que « la collection a en réalité été volée aux Criméens », et menace les personnes « impliquées dans le vol » de « poursuites pénales en vertu du droit international et russe ».

Les mauvaises nouvelles ne devant en aucun cas être associées au président russe Vladimir Poutine, son porte-parole, Dmitri Peskov, a indiqué aux médias russes, dans une grande hypocrisie, que la responsabilité incombait au ministère de la Culture. « Le retour de ces pièces serait souhaitable, a déclaré M. Peskov, mais ce n’est pas du ressort du Kremlin ou de l’administration présidentielle russe. C’est une question très complexe. Mais, bien sûr, nous aimerions voir cette exposition rentrer chez nous ». Précisant que ce dossier était du ressort des « avocats coopérant avec le ministère de la Culture ».

Les chaînes de télévision russes ont pour l’essentiel fait passer à la trappe la victoire ukrainienne, laissant la presse écrite faire des commentaires dans l’ensemble aigres. Le média en ligne Gazeta.ru relativise la valeur de l’exposition : « Le concept de “Scythe” est à prendre avec des pincettes : toutes ces antiquités ne sont pas liées aux peuples anciens, et la plupart des pièces sont en bronze, en céramique et en bois. » L’agence d’État Ria Novosti s’est fendue d’un article titré « Les Français critiquent la décision de rendre l’or des Scythes à l’Ukraine ». Des « Français » qui se révèlent être des commentateurs anonyme sur le site du quotidien Le Figaro.

Adepte des petites phrases venimeuses, la très influente rédactrice en chef de la chaîne Russia Today Margarita Simonyan a enjoint sur son compte Telegram les agents du GRU (responsables d’empoisonnements au Novitchok près de Londres et en Bulgarie) de passer à l’action pour « récupérer notre or des Scythes ». Parmi les critiques du Kremlin, l’éditorialiste Anton Orekh manie l’ironie triste pour commenter l’événement sur le site de la radio Écho de Moscou : « La Russie a tout pris en usant du droit du fort, […] eh bien, maintenant c’est au tour de l’Empire de subir un léger revers, là où il n’est pas en position de supériorité. Ne soyez pas triste. La Crimée est toujours à nous ! L’or scythe n’est pas un prix si élevé à payer pour un tel bonheur, n’est-ce pas ? »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°577 du 12 novembre 2021, avec le titre suivant : La Russie furieuse de voir les trésors de Crimée lui échapper

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