Préhistoire

GROTTE PRÉHISTORIQUE

La grotte Cosquer, enfin visible

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 26 juin 2022 - 1176 mots

MARSEILLE

La réplique de la grotte dans les calanques de Cassis, inaugurée en plein centre-ville de Marseille, s’ouvre désormais à des milliers de visiteurs.

Visite de la réplique de la grotte Cosquer à la Villa Méditerranée. © Patrick Aventurier
Visite de la réplique de la grotte Cosquer à la Villa Méditerranée.
© Patrick Aventurier

Marseille.« Je suis inquiet pour la lecture de ce bison quand même », laisse échapperGilles Tosello – l’un des deux « faussaires » qui ont reproduit les ornements de la grotte sous-marine – à quelques heures de l’ouverture de la réplique de la grotte Cosquer. Son associé de l’atelier Arc et Os, Alain Dalis, se montre plus philosophe : ils ont fini leur travail, c’est maintenant à l’entreprise Kléber Rossillon de mettre en œuvre la visite qui devrait accueillir, selon les projections, 500 000 visiteurs par an.

Tout près du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), sur le quai J1 du port de Marseille, la villa Méditerranée abrite désormais un projet exemplaire de valorisation d’un site patrimonial inaccessible, menacé de disparition progressive par la montée des eaux. Une démarche suivie de près par l’Unesco, « avec beaucoup de bienveillance », précise Michel L’Hour, archéologue sous-marin et membre du comité scientifique qui a accompagné le chantier. Le bâtiment signé Stefano Boeri, construit en 2013, demeurait sans affectation, et constituait un poids mort dans le budget de la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA). Christian Estrosi, alors président de la collectivité, a remarqué en 2016 le projet de fac-similé de la grotte Cosquer, au milieu de propositions plus mercantiles, comme un casino, un centre commercial, un musée du vin rosé...

La réplique n’est pas seulement un outil patrimonial, mais c’est aussi un nouvel atout touristique pour la ville et la région, que son vice-président en charge du développement économique et du tourisme, François de Canson, considère avec un certain plaisir : « Ça va être un aspirateur pour le tourisme », se réjouit-il. Le fac-similé a pris place dans un environnement portuaire en pleine requalification tertiaire – le quai J1 tout proche deviendra bientôt un pôle hôtelier et de loisir. Surtout, le quai J4 s’ouvrira dès 2024 aux croisiéristes de luxe, qui accosteront en face de la villa Méditerranée. Premier arrêt, la grotte Cosquer.

Fidélité au modèle original

Si le lieu concilie un projet scientifique aux ambitions touristiques de la région, aucune concession n’a pour autant été faite sur la restitution de la grotte. Comme à Chauvet et Lascaux, la fidélité à l’original demeure la seule boussole. Les espaces imposés par la villa Méditerranée ont eu peu d’incidences sur la reproduction de la grotte sous-marine : la forme carrée de la grotte a seulement été réduite de quelques boyaux sans ornements, remplacés par des tunnels artificiels et signalés comme tels durant le parcours. En visite de chantier, Henri Cosquer – découvreur de la grotte – s’y croyait vraiment.

Le comité scientifique comprenait des préhistoriens et des géologues et, parmi eux, l’un des premiers spécialistes à avoir pénétré dans la grotte. « Avant 1991, on ne connaissait aucune grotte dans la région. Quand Henri Cosquer a signalé sa découverte, tout le monde a cru à une blague », se souvient le géologue Jacques Collina-Gérard. Avec les préhistoriens Jean Clottes et Jean Courtin, il explore la cavité lors d’une première mission en juin 1992. L’expertise écarte très vite l’hypothèse de la supercherie, et surgit immédiatement une question : comment faire découvrir au grand public les merveilles de cette grotte, ses gravures, son bestiaire singulier (dont les fameux pingouins) et les traces digitales qui la recouvrent ? Il a fallu trente années pour que s’ouvre, le 4 juin dernier, la réplique de la grotte.

Mais entre-temps, la découverte exceptionnelle d’Henri Cosquer est passée au second plan. À l’hiver 1994, Jean-Marc Chauvet repère un courant d’air anormal émanant d’une cavité, lors d’une sortie dans les gorges de l’Ardèche. Il revient sur les lieux, accompagné de deux amis, et découvre la grotte qui porte désormais son nom. La grotte Chauvet – plus spectaculaire, plus accessible et plus facile à étudier – éclipse alors la grotte Cosquer pour plusieurs décennies. Les recherches étant à l’arrêt, des relevés précis des lieux ont tout de même pu être faits.

L’arrivée de la numérisation 3D ouvre grand les portes à la réalisation d’un fac-similé, mais personne ne s’est saisi d’une telle opportunité. Évoqué dès 1994, le projet d’une grotte Cosquer II fait l’objet d’un appel d’offres lancé par la Mairie de Marseille, sans aboutir. Puis en 2014, Jean-Claude Gaudin est réélu maire de la ville, avec un programme contenant la promesse de rendre visible la grotte aux Marseillais : une promesse restée lettre morte. « On attend toujours une grotte Cosquer bis », titrait le quotidien La Marseillaise en 2015, concluant sur un pessimiste « dans 25 ans, peut-être ».

Une réplique à 23 millions d’euros

Finalement, la Région PACA relance le projet, en s’associant aux services de l’État qui mettent à disposition l’ensemble des relevés réalisés depuis la découverte de Cosquer. En 2019, l’entreprise Kléber Rossillon remporte l’appel d’offres pour une délégation de service public lancé par la collectivité, certainement aidée par son expérience sur la réplique de la grotte Chauvet : les mêmes équipes travailleront sur le chantier marseillais. Un budget de 23 millions d’euros est nécessaire, dont 9 millions investis par la Région.

L’aménagement n’aura duré que trois ans, mais le chantier s’est principalement préparé sur ordinateur : les études préalables qui devaient s’étaler sur sept mois se sont transformées en un casse-tête de deux ans. « En janvier, le chantier en lui-même avait démarré, mais le modèle n’était toujours pas fini », explique Laurent Delbos, qui a mené le projet pour Kléber Rossillon. Un casse-tête également pour Michel L’Hour, qui s’est donné pour mission de traduire le jargon des spécialistes du comité scientifique en un parcours compréhensible par tous : « Avec mon expérience des montages d’exposition, j’ai rejoint l’équipe pour vulgariser le propos du comité. »

Un parcours en immersion automatisé

Pour découvrir la grotte, les visiteurs empruntent un module d’exploration – une auto-tamponneuse sophistiquée – qui avance au pas : les 220 mètres de l’exploration sont parcourus en 35 minutes [voir ill.]. Le choix de cette locomotion mécanique, coordonnée à 380 sources de lumière et à une visite audio-immersive, trouve une explication assez logique : « À Cosquer, les ornements sont situés surtout sur le plafond, fait savoir Valérie Moles, responsable de la médiation à la grotte Chauvet, et impliquée dans la restitution de Cosquer, de sorte que les visiteurs doivent regarder en l’air, le cou cassé, sur plus d’une demi-heure. Ce qui est plutôt désagréable. » L’immersion dans la réplique parfaite de la grotte fait vite oublier la machinerie – silencieuse – des modules, et les jeux de lumière révèlent les gravures invisibles aux néophytes.

Seul Gilles Tosello trouvera quelque chose à redire en ce samedi d’inauguration : le grand panneau aux bouquetins gravés, au-dessus de la seule représentation anthropomorphe de la grotte – une créature mi-homme mi-phoque transpercée par une flèche – n’est pas assez mis en avant à son goût : « Quand on pense au temps qu’on a passé dessus... » Mais comme de nouvelles études de la grotte Cosquer viennent d’être relancées, le contenu de la visite et ses panneaux seront certainement amenés à évoluer et être améliorés en fonction des prochaines découvertes.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°592 du 24 juin 2022, avec le titre suivant : La grotte Cosquer, enfin visible

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