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ENTRETIEN

Didier Fusillier « Pourquoi pas à la Villette ? »

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 20 avril 2018 - 2225 mots

PARIS

À l’occasion des 35 ans de la Villette, son président depuis bientôt trois ans s’explique sur sa ligne directrice, sa politique d’accueil du grand public comme des artistes, et ses projets, depuis les expositions d’art contemporain jusqu’aux Micro-Folies qui ont commencé à irriguer le territoire.

Didier Fusillier
© William Beaucardet

Didier Fusillier (59 ans) est un entrepreneur de la culture venu du terrain et du théâtre qui aime les grandes manifestations populaires, à l’instar de celles qu’il a organisées pour « Lille 2004, Capitale européenne de la culture ». Il a été directeur de la scène nationale Le Manège à Maubeuge (Nord) de 1990 à 1993 puis de la Maison des arts et de la culture de Créteil. Il préside depuis 2015 l’Établissement public du parc et de la Grande Halle de la Villette.
 

La Villette vient de fêter ses 35 ans, mais à quoi correspond cet anniversaire ?

Le parc n’est pas un bâtiment, c’est un ensemble d’architectures, de promenades et beaucoup ont travaillé là. Nous avons donc pensé que le plus beau symbole était le jour exact du choix de [l’architecte] Bernard Tschumi par le jury. C’était par ailleurs un des premiers grands travaux lancés par le président Mitterrand. Les architectes disent souvent que le grand moment pour eux est l’annonce de leur désignation car, à partir de là, « il faut y aller ».
 

L’ensemble dénommé « la Villette » est constitué de plusieurs entités. Quelles sont les missions de l’établissement public que vous présidez depuis 2015 ?

C’est un vaste établissement, un parc avec 2 800 arbres, le plus grand parc de Paris et le plus grand parc européen à dominante culturelle. Il a la particularité de regrouper de grands établissements autonomes dans leur gestion comme la Cité des sciences et de l’industrie, la Cité de la musique-Philharmonie de Paris, le Zénith (une concession), le Trabendo, le Cabaret sauvage, le Théâtre Paris-Villette propriété de la Ville de Paris… Notre mission est de gérer la Grande Halle et les 26 folies mais également de favoriser la bonne entente globale entre les différents établissements à travers un comité de site.
 

Diriez-vous que c’est un « parc de quartier » ?

Pas du tout ! Récemment, dans les Alpes, des gens m’ont demandé ce qu’il se passait au « studio la Villette » : là-bas ils connaissent la Villette, ne serait-ce que par la Cité des sciences. À l’étranger aussi, la Villette est vu comme un grand parc. Il y a un imaginaire des grands parcs urbains, comme celui de Londres ou de Roppongi à Tokyo. Le parc attire 10 millions de visiteurs par an, dont beaucoup d’étrangers, par exemple des Asiatiques au printemps. Il est fréquenté à toutes les heures, depuis le taï-chi à l’aube jusqu’à des musiciens la nuit. Les équipements font le plein, la Cité des sciences attire par exemple 3 millions de visiteurs venus de toute la France. Même succès pour la Philharmonie – on disait au début que le public ne s’y rendrait jamais, c’est maintenant un succès absolu ! Le Théâtre Paris-Villette, c’est “bourré à craquer” tout le temps. Donc ne vient pas seulement le public de quartier, même si nous sommes fiers de participer grandement à la vie du 19e arrondissement.
 

Quelle est sa place dans le futur Grand Paris ?

Le Grand Paris, c’est une nouvelle logique qui n’écarte pas Paris mais qui permet de relier des points aujourd’hui excentrés, et de les rattacher à des pôles qui deviennent eux-mêmes des mini-centres. Nous ne sommes pas sur la logique des périphériques chinois ou des phénomènes d’îlots comme aux États-Unis, mais plutôt sur une structure nodale qui permet, sur ces nœuds de communication, de développer énormément d’activités.

Nous sommes desservis par deux lignes de métro, quatre lignes de bus, le tramway et bientôt par une des premières gares du Grand Paris (Aubervilliers), de sorte que la Villette va être l’un des centres du Grand Paris. Le parc est un endroit où l’on se donne rendez-vous, un parc moderne où l’on se déplace par des petits liens de communication, comme les vélos. Et je pense que le développement des vélos électriques va tout changer, beaucoup de gens vont utiliser le vélo pour de petits trajets. D’ailleurs Hermès, Chanel, l’agence de publicité BETC se sont installés à 10 minutes d’ici à vélo. Cet écosystème créatif nous pousse à être aussi un grand lieu de production artistique. Beaucoup d’artistes sont venus à la Villette, que ce soient des musiciens, des marionnettistes ; il y a des stars qui ont commencé chez nous parce que nous leur mettions des moyens à disposition, ce qui est très rare. Nous accueillons 152 compagnies en résidence par an, dans six endroits différents dont la halle aux cuirs. Nous avons la plus grosse activité de résidence en France, avec des artistes du spectacle vivant mais aussi, depuis peu, des artistes plasticiens.
 

En quoi se distingue la Villette du projet immobilier « EuropaCity », à quelques kilomètres d’ici, qui s’appuie également sur une gare du Grand Paris ?

« EuropaCity » va être créé de toutes pièces tandis que la Villette existe depuis trente-cinq ans. Mais ce n’est pas un nouveau centre commercial comme les autres ; il est destiné en partie aux passagers en transit à Roissy, qui au lieu de dormir dans l’aérogare ou dans ces hôtels où il n’y a rien, sont invités à se rendre dans ce lieu où il y aura des cinémas, des concerts, des arenas. On a le temps d’y aller entre deux avions. La Villette est aussi un endroit de repos, mais on y vient pour de multiples activités. On l’a vu au moment des Pokémon Go, la Villette a été l’un des sites, avec Versailles, où les Pokémon les plus rares surgissaient. Il y a des gens qui passaient la nuit dans le parc. C’est un parc qui favorise des irruptions de pratiques qui ne sont pas de l’ordre du centre commercial.
 

Quel a été votre chantier prioritaire ?

Les folies de Tschumi ! Quand je suis arrivé, il n’y avait plus que cinq folies qui étaient éclairées. Je suis allé voir Bernard Tschumi, pour lui dire que si l’on rénove les folies comme si c’était des monuments historiques, ce sera au rythme d’une tous les six ans, et comme il y en a 26 cela va durer une éternité. Il a tout de suite été d’accord pour les restaurer avec des matériaux disponibles dans les magasins de bricolage, de sorte que l’on a pu refaire des portes aux normes PMR (personnes à mobilité réduite), reconstituer des espaces, recréer des toilettes, choses qui n’avaient pas été pensées au début et qui rendaient ces folies inutilisables. Sur certaines folies il a fallu retirer chaque tôle – émaillée dans la masse –, les renvoyer en Allemagne puis les remonter. Si on n’avait pas fait cela, elles se seraient détériorées. Nous avons mis des ampoules LED pour reconstituer les lignes de Tschumi et révéler cette féerie.
 

Vous avez donné un nouveau souffle à la programmation de la Grande Halle. Peut-on dire qu’elle est plus tournée vers l’art contemporain et plus festive, un peu sur le modèle de Lille 3000 ?

Oui, c’est notre volonté. De la convivialité d’abord, nous avons installé des bars comme dans le Nord, où l’on vient plus pour boire une bière avec des copains que pour voir des spectacles – ce n’est pas le cas à Paris, mais la convivialité a vraiment été un point clef. Dans le même temps, nous avons quasiment doublé la programmation, qui se poursuit maintenant pendant l’été. Il y a toujours des salons, de la danse, du théâtre, de la musique, des conférences, des festivals pluridisciplinaires et nous avons remis en place une politique d’exposition. « 100 % Beaux-Arts », une exposition de jeunes artistes sortis des Beaux-Arts de Paris, vient de se terminer ; le 15 mai ouvre une installation immersive du collectif japonais teamLab. En septembre nous organiserons les 30 ans du festival Visa pour l’image de Perpignan. L’an prochain – c’est une exclusivité pour Le Journal des Arts–, nous accueillerons l’exposition « Toutankhamon », qui réunit actuellement 160 pièces de la tombe prêtées par le Musée du Caire au California Science Center de Los Angeles. C’est notre idée de la diversité, nous ne faisons que de la programmation hors sol. On imagine cette exposition au Grand Palais, au Petit Palais, au Louvre, et je suis sûr que l’on va me demander « pourquoi la Villette » ? Et ma réponse, comme je l’ai toujours eue à Lille, c’est « pourquoi pas ? »
 

Ce mélange d’art contemporain et de populaire peut-il fonctionner à Paris de la même façon qu’à Lille ?

Le premier « 100 % » [« Afriques capitales » en 2017] n’a pas attiré énormément de monde parce que justement ce n’est pas simple à Paris. Pendant dix ans, il n’y a pas eu d’exposition ici, seulement de petites présentations dans le pavillon en face de la Grande Halle, alors tout à coup, l’idée que la Villette accueille des expos, il faut que ça fasse son chemin. Là, cela ne fait que deux ans. On va créer des temps d’art qui peuvent durer quelques jours, trois semaines ou quatre mois, comme nous avons commencé à le faire avec l’exposition « William Forsythe x Ikeda », dans le cadre du dernier Festival d’automne : deux installations immersives grand format se trouvaient tout à fait à leur place dans la Grande Halle. C’est ça notre force, ne pas être dans les schémas de l’exposition qui ouvre toujours en même temps, a le même format, se passe au même endroit. Cela nous amène une ouverture d’esprit très importante.
 

Pouvez-vous définir le concept de « Micro-Folie » ?

Le concept est assez simple. Tschumi, dès le départ avait imaginé 26 folies, toutes situées à 120 mètres l’une de l’autre ; il avait espéré en construire jusqu’au métro Stalingrad et une autre vers Pantin, sur le bord de l’eau. Il voyait un maillage, dans Paris, de ces petites folies qui étaient des lieux assez pauvres mais d’invention permanente. On est parti de ça pour un objectif qui est permanent dans mon action : faire en sorte que les gens puissent accéder à ce qu’ils ne connaissent pas. Les « grands prêtres » disent que « ce n’est pas compliqué », « ils n’ont qu’à aller au musée », ou alors « rien ne remplacera la vision de l’œuvre ». Sauf que tout le monde n’y va pas et ce, par exemple, malgré les entrées gratuites pour les plus jeunes. Il y a eu le « Centre Pompidou mobile », le MuMo (Musée Mobile) qui tourne toujours, mais la « Micro-Folie », c’est ce que j’appelle de l’itinérance fixe.

Une Micro-Folie n’est pas mobile, elle s’installe. La principale offre se présente sous la forme d’un écran numérique associé à plusieurs bornes individuelles. Sur les écrans est proposée une animation créée par nous à partir de fichiers conçus par de grands établissements culturels (Louvre, Opéra, Festival d’Avignon,…). C’est très simple à installer. Quand une œuvre passe sur le grand écran, il suffit pour chacun de cliquer sur son écran individuel et un développement apparaît, ça peut être un tableau de Léonard de Vinci ou Le Sacre du printemps de Stravinsky. Chacun est son propre médiateur. Il y a un contenu pour les enfants et un autre pour les adultes. Un prof peut y amener sa classe et faire une conférence, avec un programme préalablement établi par ses soins.

Ce dispositif, installé à Sevran [Seine-Saint-Denis] – d’autres villes ont suivi –, rencontre un grand succès avec plus de 60 000 personnes accueillies dans l’année. Sevran, c’est une ville de 52 000 habitants, à 30 minutes en RER de Paris et disposant de très peu d’équipements culturels. Dans le collège d’à côté, aucun élève de troisième n’était allé dans un musée parisien. Quand le président Emmanuel Macron, qui est venu aux Mureaux [(Yvelines), où a été inaugurée le 12 janvier, dans la médiathèque, une Micro-Folie], parle d’« assignation à résidence », aujourd’hui dans les quartiers c’est vraiment de cela qu’il s’agit, les gens ne sortent pas de leur quartier et c’est là que montent ces fondamentalismes terribles.

Nous avons créé une Micro-Folie comme une petite maison de la culture dans un quartier prioritaire. On peut y donner des spectacles, elle se transforme en cinéma, il y a une bibliothèque, un café tenu par des associations locales, un atelier pour réparer des objets personnels mais qui est aussi un fablab doté de machines numériques. Il y a aussi des casques de réalité virtuelle avec des films d’Arte ou du Festival d’Avignon. Par exemple, pour la pièce Richard III, on est assis sur la scène du Palais des papes, dans la cour d’honneur avec des acteurs autour. Tous les contenus sont les mêmes dans les Micro-Folies. Dans tous les cas, les lieux sont la propriété des Villes, c’est très important, il faut que les Villes s’investissent sinon ça ne marche pas. Nous avons pris pied à Avignon, à Denain (Nord) et même en Birmanie et à Izmir (Turquie)…
 

Maubeuge, Créteil, Lille 3000, la Villette, vous êtes toujours en mouvement ?

Toute mon action, depuis toujours, ça a été ça, de ne jamais être seul, d’ouvrir, ouvrir… Il faut se lâcher. Je trouve qu’on ne se lâche pas assez. Paul Delouvrier, un grand artisan de ce parc disait qu’il fallait voir grand, le plus grand possible, qu’il serait toujours temps de réduire la voilure plus tard. Si on voit petit au début, on ne va pas aller très loin.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°499 du 13 avril 2018, avec le titre suivant : Didier Fusillier « Pourquoi pas à la Villette ? »

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