États-Unis - Musée

Un « Musée de la Bible » peu orthodoxe

Par Shahzad Abdul (correspondant à Washington) · Le Journal des Arts

Le 29 novembre 2017 - 605 mots

WASHINGTON / ETATS-UNIS

À Washington, deux hommes d’affaires chrétiens évangéliques financent 40 000 mètres carrés consacrés à l’histoire du livre saint.

Washington. Prenez un livre saint. Ajoutez-y un scandale judiciaire et des soupçons d’évangélisation. Politisez le tout. Remuez. Bienvenue au tout nouveau et très imposant musée de la Bible, qui a ouvert ses portes le 17 novembre en plein cœur de Washington. L’avalanche de controverses qui a accompagné l’inauguration a contraint les instigateurs de ce projet pharaonique (500 millions de dollars pour raconter la Bible sur huit étages et 40 000 mètres carrés) à la retenue et à une communication millimétrée, dans un pays où le poids de la religion reste considérable [lire le JdA no 485, 22 septembre 2017].

À l’origine, les sulfureux frères David et Steve Green, hommes d’affaires chrétiens évangéliques et collectionneurs d’art biblique à leurs heures. Ils sont surtout connus comme patrons de la chaîne de magasins de décoration Hobby Lobby ayant obtenu de la Cour suprême en 2014 que, au nom de ses convictions religieuses, un employeur pouvait refuser à ses salariés une assurance-santé comprenant la contraception. Cet été, les Green et leur entreprise ont été épinglés pour avoir importé illégalement quelque 5 550 objets d’art biblique d’Irak. Concédant une « imprudence » mise sur le compte de la naïveté, Hobby Lobby a réglé l’affaire en s’acquittant de 3 millions de dollars d’amende. La polémique n’a « pas lieu d’être car les objets en question n’étaient pas liés au musée », a argué Steve Green, président du conseil d’administration du musée, lors d’une présentation à la presse avant l’ouverture. « Des erreurs ont été commises et nous avons appris de nos erreurs. »

L’emplacement de l’ancien entrepôt transformé en espace moderne et technologique, à deux rues du Capitole, a également soulevé de nombreuses questions sur la proximité avec le pouvoir législatif. Les dirigeants nient farouchement les accusations de ceux qui prêtent au musée un rôle de succursale du lobbying chrétien fondamentaliste au Congrès.

Ils se défendent aussi de toute mission évangélisatrice : « Le but a toujours été d’ouvrir un musée non confessionnel », reprend Steve Green, qui explique vouloir une « présentation factuelle de la Bible ». « Il s’agit d’une vision journalistique de la Bible, pas d’épouser notre foi. » Aux sceptiques, Tony Zeiss, directeur du musée, répond clairement : « Nous ne cherchons pas à évangéliser, nous voulons simplement piquer la curiosité [du visiteur]. »

Des curiosités, le visiteur du musée gratuit n’en sera pas privé. Il y a des bibles, beaucoup de bibles et encore plus de fac-similés, mais aussi des tablettes cunéiformes, des statues, un « jardin biblique », une reconstitution de ce à quoi Nazareth ressemblait à l’époque de Jésus-Christ… Une collection riche qui se veut sans arrière-pensée. Le quatrième étage, par exemple, présente une chronologie de l’évolution du livre à travers les âges et les cultures.

La partie la plus accessible au grand public, au deuxième étage, est une plongée dans l’« impact de la Bible » notamment sur la société américaine. On y « raconte toute l’histoire : la bonne, la mauvaise, la moche ! », se félicite Norman Conrad, commissaire de l’exposition. La conversion des Amérindiens, l’esclavage, la guerre de Sécession, l’accès aux droits civiques… : la Bible joue, dans l’Histoire, un rôle à double tranchant. Il a fallu trouver l’équilibre, souligne M. Conrad, « parce qu’on touche aux périodes les plus noires de notre histoire ».

La collection colossale, riche de 40 000 objets, parmi lesquels des prêts du Louvre, ne parvient toutefois pas à dissiper les doutes sur les intentions de ses fondateurs. Encore moins sur l’authenticité de certaines pièces. Le musée, d’ailleurs, ne cherche pas à s’en cacher et l’inscrit sur une vitrine : « Ces fragments sont-ils vrais ? La recherche continue. »

Musée de la Bible,
400 4th St SW, Washington DC, www.museumofthebible.org

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°490 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : Un « Musée de la Bible » peu orthodoxe

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