Chine - Musée

DIPLOMATIE CULTURELLE

Un Centre Pompidou à l’essai en Chine

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 14 novembre 2019 - 985 mots

SHANGHAI / CHINE

Ouvert au public le 8 novembre dans un quartier réaménagé de Shanghaï, le « Centre Pompidou x West Bund Museum » dispose de cinq années pour montrer son utilité aux deux parties contractantes.

Shanghaï.« Il y aura des œuvres qui seront difficiles à montrer plus que d’autres. C’est ainsi. Mais il y aura toujours des silences qui diront, des contournements qui aideront à faire, un art de l’esquive qui permettra d’avancer. » Profitant de son voyage de trois jours en Chine, le président Emmanuel Macron a inauguré le 5 novembre le Centre Pompidou tout juste installé à Shanghaï, et évoqué dans son discours les difficultés de cette collaboration.

Cela n’est pas nouveau. Il y a une vingtaine d’années, alors qu’un premier projet avait failli aboutir, l’histoire raconte qu’un prédécesseur de Serge Lasvignes, sur le point de prendre l’avion pour sceller un accord, renonça à embarquer pour cause de veto chinois. Cette fois encore, les négociations ont bien failli tourner court. Sans l’intervention d’Emmanuel Macron en 2018 auprès du président chinois Xi-Jinping, « il y avait un risque d’enlisement », confie l’actuel président du Centre Pompidou.

Un partenariat de cinq ans

On ne saurait pour autant affirmer qu’un « grand musée international ouvre ses portes ici », comme l’a déclaré avec enthousiasme le président de la République. En décembre 2018, le West Bund Development Group et le Centre Pompidou ont en effet seulement signé un partenariat pour cinq ans. Son contrat d’application comprend les prêts d’œuvres du musée français, la conception d’expositions, la programmation, la formation de professionnels, et enfin la présentation à Paris de projets et d’expositions d’artistes chinois. Selon les termes de cet accord, la société chinoise parapublique de développement est l’exploitant des lieux tandis que le Centre, simple prestataire, fournit le contenu culturel. Un succès modeste donc, même si Serge Lasvignes souligne qu’il « n’allait pas de soi » : la politique de la Chine ne favorise pas, c’est un euphémisme, l’installation d’institutions étrangères.

En 2016, le désir renouvelé du Centre Pompidou de s’y implanter coïncida avec un vaste plan d’aménagement autour des arts, de la culture et de la haute technologie coordonné, à Shanghaï, par le West Bund Group, qui avait déjà passé commande d’un musée de 25 000 mètres carrés à l’agence David Chipperfield Architects. L’institution française s’est glissée dans cette coquille vide – et austère – en y apportant un certain nombre d’ajustements. En plus des galeries d’exposition, dont la surface représente moins de 3 000 mètres carrés, le musée comporte au final un auditorium polyvalent, un espace dévolu à l’éducation artistique, des ateliers, un lieu consacré aux pratiques corporelles, enfin « The Box », accueillant des installations audiovisuelles destinées à rendre visible la partie immatérielle de la collection.

Une attente pour des œuvres importantes

Au départ, il y avait« une page blanche », rappelle la conservatrice Marcella Lista, cheffe du service des nouveaux médias du Musée national d’art moderne, qui a repensé le bâtiment pour en faire « un outil pluridisciplinaire » et conçu les deux expositions inaugurales.

Pas de consignes donc, mais en revanche « une attente du partenaire d’avoir des œuvres importantes de la collection », explique-t-elle. C’est pourquoi ce premier volet d’un parcours semi-permanent présentant une vision de l’art des XXe et XXIe siècles, « The Shape of Time », aligne un florilège de chefs-d’œuvre, signés Picasso, Duchamp, Klee, Miró, Joseph Beuys, Cy Twombly, Gerhard Richter… Le parcours de l’exposition montre également un ensemble d’art cinétique rarement présenté, dont une installation de Julio Le Parc. La programmation a été soumise pour validation au Bureau de la culture chinois. « C’est un dialogue qui se noue par le biais de notre partenaire, explique Marcella Lista. Il est clair qu’il y a des choses qu’on ne peut pas montrer, sans qu’il y ait de règles fixes. […] Le but, c’est aussi de comprendre ce qui présente des difficultés et faire en sorte de dépasser les malentendus. » Toute allusion directe à la violence ou à la sexualité a ainsi été évacuée. Sans pour autant renoncer à créer les conditions d’une « véritable expérience de l’art ». Première exposition temporaire, « Observations », dont la scénographie évoque un labyrinthe, interroge ainsi discrètement l’omniprésence des caméras de surveillance, à l’image des œuvres de la série « Switch (Theory vs Everyday Experience) » réalisée par Tony Oursler en 1995, qui toisent le visiteur dès l’entrée.

Attirer les touristes chinois au Centre Pompidou, à Paris

Les enjeux économiques ? Tandis que le West Bund Group encaisse les recettes de la billetterie, le Centre Pompidou bénéficie de deux types de versements. Le premier couvre les frais de transport des œuvres, l’ingénierie et le conseil. Le second correspond à une redevance en échange de l’usage de la marque. Son montant doit faire l’objet d’une communication commune, tandis que circulait début novembre le chiffre de 4 millions d’euros par an. Cependant l’intérêt pécuniaire n’est pas tout, souligne Serge Lasvignes. Rappelant qu’à Paris le Centre Pompidou n’est pas sur le circuit des touristes chinois, qui constituent 1 % seulement de son visitorat, le président du Centre veut croire « qu’un public différent est en train de se constituer, issu de la classe moyenne, éduqué, avec de nouveaux moyens et une volonté d’épanouissement familial ». « Notre présence ici nous sert à se faire connaître de ce public », justifie-t-il. Ce poste d’observation pourrait également permettre d’identifier une génération d’artistes de la scène locale et de les faire rentrer dans la collection avant qu’ils ne deviennent trop chers.

Au-delà des cinq ans, que se passera-t-il ? « Il faut que notre dialogue continue, pour voir comment le projet va évoluer », temporise Serge Lasvignes, qui insiste sur la dimension expérimentale de ce partenariat. « C’est le contraire de l’idée selon laquelle on s’installe ici coûte que coûte pour y rester vaille que vaille. » Parmi les détails à régler, et alors que le directeur du West Bund Group se présentait soudain comme un « curator » [commissaire d’exposition], on attend de savoir qui sera à la tête de ce Centre Pompidou x West Bund Museum Project et quel sera le périmètre d’action de cet interlocuteur.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°533 du 15 novembre 2019, avec le titre suivant : Un Centre Pompidou à l’essai en Chine

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