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St Ives, une ville redynamisée par l’art

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Pendant près d’un siècle, les artistes britanniques sont passés ou se sont installés dans cette petite ville de Cornouailles. L’effondrement économique du pays dans les années 1970 a eu raison de son attrait. Mais l’ouverture d’une antenne de la Tate en 1993 l’a fait renaître. St Ives est aujourd’hui une destination touristique prisée.

St Ives port © Photo Roman Grac
St Ives et son port en 2016.
© Photo Roman Grac

St Ives, Cornouailles. Un vent frais souffle sur St Ives. Cette petite ville du bout de la Cornouailles, la langue de terre qui étire l’Angleterre vers la pointe de la Bretagne, déborde de visiteurs en ce week-end de la fin mai. Les maillots de football se mêlent aux chemises sobres, la population touristique est socialement très diverse. Les commerces s’y sont adaptés. Les uns vont faire leurs courses dans un supermarché ; les autres optent pour la petite épicerie et ses produits locaux. Une salle d’arcades, marque distinctive des villes côtières touristiques anglaises, trône au centre de la promenade ; de nombreuses galeries d’art, pour la plupart très touristiques, lui répondent. Et des banderoles accrochées au-dessus des principales artères rappellent aux passants la principale attraction de la ville : « Tate St Ives ».

Inverser la courbe du nombre de touristes

Pourquoi le musée londonien a-t-il ouvert une antenne à St Ives, petite ville située à plus de cinq heures de train de Londres, campée au fin fond d’une région classée parmi les plus pauvres d’Europe par l’Union européenne ? En partie en raison d’une exposition. Entre le 13 février et le 14 avril 1985, la Tate présentait à Londres « St Ives 1939-64 : vingt-cinq années de peinture, sculpture et poterie ». Dix ans après le décès accidentel de la sculptrice Barbara Hepworth, les commissaires de l’exposition rappellent l’histoire de cette colonie artistique (lire ci-contre).

Une histoire oubliée car, entre-temps, les années 1970 ont effacé presque toutes ses traces. Comme tout le Royaume-Uni, alors surnommé « l’homme malade de l’Europe », St Ives périclite et redevient une ville de Cornouailles comme les autres, sans industrie, sans réel attrait. Les artistes déménagent ou meurent, comme Hepworth en 1975. « La colonie artistique de St Ives est quasiment tombée dans l’oubli », assure Janet Axten, l’une des responsables des archives de la ville et auteure de livres sur le sujet. « L’ambitieux projet d’ouvrir un musée n’aura tenu que quatre ans, le temps de fermer faute de moyens financiers. » Le principal legs de la période d’après guerre est l’ouverture au public en 1976 du jardin et de l’atelier de Barbara Hepworth. Un lieu géré depuis 1980 par la Tate.

Lorsque, après son exposition, le musée fait part de son intention d’ouvrir un lieu et d’y exposer les œuvres des artistes locaux gardées dans ses archives, la municipalité saute sur l’occasion. « Sa première préoccupation était d’inverser la chute du nombre de touristes, désormais plus tentés par la possibilité d’aller passer des vacances pas chères et ensoleillées à l’étranger, poursuit Janet Axten. La Ville de St Ives a rapidement vu le potentiel du musée. En peu de temps, elle a ainsi réuni assez de fonds pour s’assurer que le projet ait lieu. » La construction d’un bâtiment moderniste avec vue sur une plage de sable concrétise finalement le projet.

St Ives Tate © Photo Richard Penn
La rotonde de la Tate St Ives.
© Photo Richard Penn
Une destination touristique haut de gamme

« Les projets se multiplient aujourd’hui dans le monde pour tenter de relancer des villes grâce à l’art, mais, contrairement à la plupart d’entre eux, nous sommes partis d’un vivier artistique existant, précise non sans fierté Arwen Fitch, l’une des responsables de la Tate St Ives. Alors que le musée espérait 70 000 visiteurs, il en a reçu 140 000 la première année. Il est rapidement redevenu un catalyseur pour le tourisme. » De fait, 200 000 visiteurs se rendent en moyenne au musée chaque année. Lors des six mois qui ont suivi sa réouverture après rénovation le 14 octobre 2017, il a même accueilli 265 000 visiteurs.

Les pieds dans le sable, Matthew Stevens, fils et petit-fils de pêcheur, devenu l’un des principaux employeurs de la ville avec son entreprise de distribution de poisson, confirme son impact. « Vous ne le croiriez pas en vous y promenant aujourd’hui, mais il y a trente ans St Ives était une ville endormie. L’arrivée de la Tate a entraîné une vraie renaissance. »

« Même si certains visiteurs n’ont jamais entendu parler des artistes locaux historiques, une partie d’entre eux vient spécifiquement nous voir pour leurs lithographies », explique une assistante de la Porthminster Gallery, l’une des galeries commerciales de St Ives, ouverte en 2007. « Ces œuvres représentent la moitié de nos ventes. Elles attirent une clientèle typiquement londonienne, surtout à la recherche d’un nom et qui veut s’assurer que l’œuvre gardera sa valeur. Les touristes ont tendance à craquer pour les œuvres d’artistes locaux contemporains. »

Plutôt que de se tourner vers le tourisme de masse comme la plupart des villes côtières anglaises, St Ives disposait des atouts nécessaires pour devenir une destination plus haut de gamme. « Cette évolution a évidemment un contrecoup : les prix de l’immobilier sont devenus inabordables et les locaux ne peuvent plus se loger dans le centre, souligne Kirsty Kilmurry, nouvelle élue travailliste au conseil municipal. « Lors des dernières élections municipales, seuls 37 % des propriétaires des logements du centre-ville étaient autorisés à voter car ils résident ici à l’année. » En réaction, il y a cinq ans, la population a adopté par voie de référendum une législation qui interdit la construction de résidences secondaires. « Mais je remercie ce tourisme », poursuit la mère de deux enfants : « Il donne du travail aux locaux et de l’activité à de nombreux commerces. Ce n’est pas le cas dans le reste de la Cornouailles. »

St Ives, une colonie artistique  

XIXe-XXe. Depuis les années 1880, le charme et la lumière de St Ives attirent les artistes londoniens. Peintres, sculpteurs, écrivains, architectes et photographes passent de longs séjours sur la côte, au calme, loin de la bouillonnante capitale. Ils profitent notamment de la disparition progressive des industries halieutique et minière pour louer des espaces désaffectés. Parmi eux, Bernard Leach (1887-1979), qui deviendra l’un des maîtres de la céramique occidentale : il ouvre avec le Japonais Shoji Hamada une poterie aux abords de la ville. L’arrivée au début de la Seconde Guerre mondiale de Barbara Hepworth et de son mari Ben Nicholson va transformer l’image de St Ives. Ce couple de modernistes est bientôt rejoint par leurs amis ou confrères Wilhelmina Barns-Graham, Peter Lanyon, Patrick Heron, Terry Frost. Ils seront l’objet de l’exposition organisée en 1985 par la Tate.

 

Tristan de Bourbon

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°525 du 7 juin 2019, avec le titre suivant : St Ives, une ville redynamisée par l’art

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