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MONUMENT HISTORIQUE

Prison Montluc : le Mémorial consolide ses fondations

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 25 mars 2022 - 998 mots

LYON

Créé dans l’urgence d’un sauvetage patrimonial il y a douze ans, le Mémorial national de la prison de Montluc à Lyon va bénéficier d’une restauration tout en étendant son projet scientifique et culturel. Des associations et personnalités ont réagi au remodelage de la présentation historique.

Mémorial national : couloir desservant les cellules de la prison de Montluc. © Bertrand Pichene, 2021
Couloir desservant les cellules de la prison de Montluc.
© Bertrand Pichene, 2021

Lyon. « L’idée n’est pas de révolutionner mais de compléter » : Aurélie Dessert, directrice du Mémorial national de la prison de Montluc, prend soin de déminer le terrain avant de présenter le futur projet muséographique de l’ancien pénitencier lyonnais. Annoncé le 27 janvier par la ministre chargée de la mémoire et des anciens combattants, Geneviève Darrieussecq, le plan de réhabilitation et de refondation du parcours permanent du Mémorial – toujours en discussion – a en effet suscité des réactions vives. Des représentants d’associations ainsi que des personnalités comme Serge Klarsfeld ou l’ancien maire de Lyon Michel Noir voient dans cette nouvelle orientation une « confusion des mémoires ». Le nouveau parcours « diluerait » (S. Klarsfeld) l’histoire de la prison sous l’Occupation – lieu de détention des Juifs et des résistants avant leur déportation – au profit des périodes antérieures (prison militaire) et postérieures (lieu d’incarcération des militants du FLN [Front de libération nationale], prison civile mixte).

En 2009, alors que les trois prisons lyonnaises situées intra-muros sont fermées, l’Association des rescapés de Montluc et l’Association des fils et filles de déportés juifs de France s’opposent à la destruction de ce lieu symbolique, en vue d’en faire un mémorial. Leur action aboutit à l’inscription au titre des monuments historiques de la prison de Montluc, puis à l’ouverture du Mémorial en 2010. « Après le sauvetage de la destruction, il a fallu créer un dispositif muséographique à la hâte, qui retrace l’histoire du lieu de 1921 à 2009, explique Aurélie Dessert. Rapidement après la création du Mémorial, nous nous sommes rendu compte de la nécessité d’actualiser cette exposition. »

1921-2009

Pour l’heure, le parcours du Mémorial se divise en deux temps. Dans l’ancien réfectoire, une douzaine de cimaises suspendues racontent l’histoire des lieux, selon les bornes chronologiques posées par les associations à l’origine du Mémorial (1921-2009). Une part importante de ce parcours est consacrée au rôle de la prison de Montluc dans la déportation des Juifs français et des résistants, mais sont aussi évoqués la prison militaire de l’entre-deux-guerres et l’utilisation du lieu durant la guerre d’Algérie. Dans l’aile d’incarcération des hommes, c’est un parcours sur trois niveaux qui présente dans chacune des cellules un détenu, déporté, ou une famille juive passée par la prison Montluc. « Cette présentation mémorielle restera intacte, c’est un haut lieu de la mémoire nationale », précise Aurélie Dessert.

Depuis le sauvetage patrimonial de la prison en 2009, la connaissance de son histoire s’est considérablement enrichie. « Nous proposons d’actualiser la présentation historique, en gardant les bornes chronologiques posées par les créateurs du Mémorial, indique la directrice. L’idée est d’en dire un peu plus sur les périodes antérieures et postérieures à l’occupation allemande, tout en maintenant centrale la période de la Seconde Guerre mondiale, et précisément 1943-1944, puisque nous connaissons aujourd’hui bien mieux le rôle de l’administration nazie. »

Ce chantier muséographique, encadré par un comité scientifique, donnera bientôt lieu au premier projet scientifique et culturel (PSC) du Mémorial. Il se double d’un chantier patrimonial et de mise en accessibilité chiffré à 8 millions d’euros, entièrement financé par le ministère des Armées. Les hauts murs qui ceinturent la prison sont construits sur un remblai meuble, avec des matériaux de piètre qualité. Fragilisés par l’humidité, ils nécessitent une reprise complète. Le Mémorial profite de ces travaux de consolidation pour réhabiliter des espaces contigus à cette enceinte, et pour l’heure non exploités par le parcours muséal.

Une surface de 400 mètres carrés sera gagnée pour héberger une salle d’exposition temporaire ainsi qu’une salle d’accueil du public scolaire, qui représente la moitié des 35 000 visiteurs annuels du Mémorial. L’aménagement de cette salle pédagogique fait partie des griefs exprimés par certaines associations : celle-ci prendrait place dans le baraquement où les enfants de la maison d’Izieu (Ain) passèrent une nuit avant leur déportation, et leur extermination à Auschwitz. Pour la directrice, la valeur mémorielle du lieu n’est pas incompatible avec son futur usage pédagogique : « Cette vocation mémorielle doit s’incarner dans ces nouvelles salles, et nous travaillons avec le comité scientifique à l’élaboration d’un dispositif qui puisse concilier les deux. »

Prendre en compte l’histoire de l’espace carcéral

Lieu de mémoire, la prison de Montluc est aussi l’un des très rares espaces carcéraux ouverts à la visite en France, avec l’espace d’accueil de la prison Saint-Michel de Toulouse. À Lyon, la prison Saint-Paul, fermée en même temps que Montluc, est devenu un campus étudiant : « Dans les faits, toutes les prisons françaises qui ferment sont soit détruites, soit réaffectées à d’autres usages, explique Élisabeth Lusset, historienne spécialiste du monde carcéral. À Saint-Paul ou à Montluc, on ne va pas visiter une prison mais des lieux réaffectés en université ou en mémorial. Aucun lieu ou musée ne rend compte aujourd’hui de l’espace carcéral dans notre société. » La directrice souhaite prendre en compte cette dimension dans le futur PSC, en réfléchissant en particulier à un parcours dans l’aile des femmes, qui n’est aujourd’hui pas intégrée au circuit de visite. « À Montluc, tout est conditionné par la nature carcérale des lieux, mais nous ne sommes pas des spécialistes de ces questions, admet Aurélie Dessert. Nous sommes accompagnés, dans le comité scientifique, par le ministère de la Justice et un spécialiste de l’histoire carcérale. »

La nature carcérale de Montluc freine également la visibilité de ce site, situé à seulement dix minutes de la gare de Lyon Part-Dieu mais caché derrière ses hauts murs et mal identifié par les Lyonnais. La lourde et petite porte d’entrée, peu engageante, ne sera pas changée, dans le respect de l’intégrité de ce monument historique. « La visibilité mérite d’être retravaillée, constate la directrice. Nous sommes en train de franchir une première étape après ces dix premières années qui sont celles d’une construction.Il faut se souvenir qu’en 2010 le Mémorial a ouvert sans effectifs dédiés. »

Mémorial national de la prison de Montluc,
4, rue Jeanne-Hachette, 69003 Lyon.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°585 du 18 mars 2022, avec le titre suivant : Prison Montluc : le Mémorial consolide ses fondations

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