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Moscou exile l’art contemporain

MOSCOU / RUSSIE

La Russie s’est enfin décidée à construire un vaste musée national d’art contemporain, dont la politique d’acquisitions et le projet restent flous.

MOSCOU (RUSSIE) - Le nouveau bâtiment du Centre d’État pour l’art contemporain (CEAC) bénéficiera d’une architecture novatrice et d’un budget de 100 millions d’euros. Le bureau d’étude irlandais Heneghan Peng Architects a remporté le concours pour la conception du CEAC. Ce cabinet s’est rendu célèbre en remportant le concours du Grand Musée égyptien de Gizeh en 2003.
La silhouette modulaire du futur CEAC est dessinée par cinq parallélépipèdes disjoints et de tailles inégales, empilés. Il se dressera à la limite de l’ancienne piste d’atterrissage du premier aéroport moscovite, hors d’usage depuis des décennies, et s’entourera d’un parc et de rampes pour les amateurs de roller. La conception architecturale a été plutôt bien accueillie par la communauté artistique russe. Depuis plusieurs années le CEAC étouffait dans un bâtiment de taille modeste tout proche du centre-ville, qui ne pouvait apparemment pas être agrandi.

Là où le bât blesse, c’est qu’il sera loin du centre de Moscou (10 km à vol d’oiseau), soit la distance qui sépare le Centre Pompidou de l’aéroport du Bourget. « Bien sûr que c’est triste », réagit Elena Kolovskaïa, directrice du fonds pétersbourgeois Pro Arte. « C’est une décision du ministère de la culture… Bien sûr que le musée aurait gagné à se trouver dans le centre. S’il n’est pas dans le centre, il faut au moins qu’il existe un environnement intéressant. Le musée ne doit pas être le seul but de la visite. » Le quartier choisi, Khodinskoïe Pole, est un désert culturel, reconnaît Mikhail Mindlin, le directeur du CEAC. « C’est un point négatif. Nous aurions préféré que le musée se trouve au centre d’un cluster [NDLR : regroupement] culturel ». Il voit toutefois deux aspects positifs à l’emplacement : « Il existe une bonne infrastructure de transport, alors que le centre-ville de Moscou est totalement saturé. Nous serons aussi à côté d’un grand parc, et j’espère beaucoup que nous pourrons l’utiliser pour nos besoins. »

Le monde culturel s’était largement réuni autour d’un autre projet de musée qui devait être construit dans le quartier de Baoumanskaïa, beaucoup plus près du centre-ville, qui compte surtout déjà plusieurs galeries d’art contemporain renommées. Une lettre ouverte signée à l’automne dernier par de nombreuses personnalités avait été envoyée au ministre de la Culture. Sans effet. Défendant le ministère, Mikhaïl Mindlin, souligne le choix judicieux d’une conception architecturale « novatrice ». Selon lui l’un des principaux points forts du projet de Heneghan Peng est « la séparation des flux de visiteurs, pour qu’ils ne se gênent pas entre eux ». En clair, les files d’attentes pour les différentes expositions seront plus courtes.

Une politique muséale en souffrance
Mais avant de se soucier des problèmes d’affluence, encore faut-il déterminer ce qui va attirer les visiteurs. Or, sur ce point, de grandes interrogations demeurent. De quoi sera composée la collection et quelle est la politique d’acquisition du CEAC ? Dmitri Axionov, patron de Viennafair, une foire d’art contemporain, qui siège aussi au conseil d’administration du CEAC avance : « Nous en sommes aujourd’hui à organiser un concours pour attirer des compétences, qui n’existent pas au sein du ministère de la Culture. Est-ce qu’il y aura des programmes destinés à attirer des investissements privé ? Aujourd’hui ces questions restent sans réponses. Nous en sommes à l’étape de la formation d’une politique entre nous. Pour l’instant, les efforts sont essentiellement concentrés sur la construction du projet. Bien que ce soit une question centrale pour n’importe quel musée, dans les faits, cette question est remise à plus tard. »

Mikhaïl Mindlin affirme, lui, que la politique d’acquisition du CEAC « est définie depuis longtemps » et que la collection compte déjà des dizaines de milliers d’œuvres. « Nous avons reçu beaucoup de donations depuis vingt ans, et nous en rejetons beaucoup car nos critères sont très stricts. Nous ne prenons que ce qui correspond à nos besoins, c’est-à-dire pour l’essentiel des œuvres postérieures à 1990. Les principales tendances à ce jour sont représentées. Ce sont des œuvres russes, mais aussi étrangères ». Le fonds comprend aussi des œuvres plus anciennes : « Nous n’excluons pas de faire des rétrospectives, mais ce n’est pas notre priorité ».

Marat Guelman, galeriste et théoricien, reste beaucoup plus circonspect sur la formation de la collection. « Au début, il y avait un fort enthousiasme pour ce projet [qui court depuis le début des années 1990], mais aujourd’hui, tout le monde est devenu méfiant. Tant qu’il n’y aura pas une ligne claire, une direction compétente au ministère de la Culture, personne n’a envie de faire des donations. Donner à l’État russe ? Personne n’en a l’envie. Nous donnerons à des gens qui inspirent confiance. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°406 du 31 janvier 2014, avec le titre suivant : Moscou exile l’art contemporain

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