Archéologie - Site patrimonial

Lillebonne veut mettre au grand jour sa cité antique Juliobona

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 2 mai 2022 - 919 mots

LILLEBONNE

L’intercommunalité Caux Seine Agglo lance un plan d’aménagement sur vingt ans et autant de millions d’euros pour valoriser son patrimoine antique : un projet culturel, scientifique et territorial.

Théâtre Gallo-Romain de Lillebonne. © Tourisme Caux Seine
Théâtre Gallo-Romain de Lillebonne.
© Tourisme Caux Seine

Lillebone (Seine-Maritime). Entre le parc des Boucles de la Seine et Le Havre, Lillebonne est un site archéologique majeur pour la période gallo-romaine. Bien loin d’Arles et de Nîmes, la petite ville normande s’appelait, sous l’empire romain, Juliobona, un point de jonction commercial entre la Chaussée Jules César et la Seine, cité capitale du peuple calète. Aujourd’hui, ce passé affleure à la surface grâce au théâtre dont les vestiges [voir ill.], en plein centre-ville, faisaient partie des dix-huit sites retenus par la Mission Stéphane Bern en 2020. L’intercommunalité Caux Seine Agglo souhaite désormais mettre la lumière sur les traces de cette histoire antique qui parsèment la commune : un plan ambitieux, et de long terme, pour cette communauté d’agglomération industrielle de 77 000 habitants.

L’investissement est planifié sur vingt ans, un projet de longue haleine qui permet une soutenabilité financière (au rythme de 1 million d’euros par an, au gré des appels d’offres et subventions de l’État et de l’Union européenne), et une meilleure adhésion des habitants au projet. « Les vestiges sont imbriqués dans la ville. Si tous les chantiers sont lancés en même temps les habitants seront contre. Pour qu’ils acceptent au mieux le projet, il faut le faire petit à petit », explique Virgil Langlade, directeur de la communication de l’agglomération. Car la première moitié de ce plan concerne des traces de la cité romaine intégrées au tissu urbain actuel, et aujourd’hui peu visibles. Caux Seine Agglo souhaite développer une « scénographie urbaine », un parcours en neuf stations à l’attention des habitants, comme des touristes.

Sur les traces de la ville gallo-romaine

À droite du petit Musée archéologique, installé dans l’ancienne mairie, le circuit commencera derrière le portail du jardin Jean-Rostand, sous les vestiges du château de Lillebonne, avec une introduction sous forme de trois maquettes : l’une de la ville antique, l’autre de la cité médiévale et une troisième pour l’époque moderne. Car, rappelle Benoît Sieurin, archéologue au département de la Seine-Maritime, « Lillebonne a un potentiel énorme pour l’archéologie gallo-romaine, mais aussi pour toute l’histoire de France ».

Les vestiges seront traités différemment d’une station à l’autre. Les restes des thermes romains, aujourd’hui ensevelis préventivement et signalés par un panneau explicatif vieillissant, retrouveront la lumière. Ils seront à l’avenir protégés par une couverture et entourés de panneaux restituant le contexte original de l’édifice thermal, dans une scénographie qui fera aussi du site un lieu de vie : des hamacs permettront aux habitants et visiteurs de s’asseoir ou de s’allonger au-dessus des vestiges [voir ill.]. À l’entrée de la ville, les restes d’une domus ne seront pas excavés, mais feront l’objet d’une médiation permettant de rendre lisibles le plan et l’organisation des lieux.

Projet du circuit d'interprétation des sites archéologiques de la cité antique Juliobona. Ici, les thermes. © Die Werft architectes/Kubik studio design
Projet du circuit d'interprétation des sites archéologiques de la cité antique Juliobona. Ici, les thermes.
© Die Werft architectes / Kubik studio design
Approfondir la connaissance de la cité antique

Sur la somme budgétée par l’agglomération, la moitié servira à l’aménagement du circuit urbain. L’autre sera investie dans l’agrandissement et le nouveau parcours du Musée archéologique, qui fait face au théâtre. « L’idée est vraiment que la scénographie urbaine vienne compléter le parcours muséal », explique Élise Cousin, responsable du pôle muséal de l’agglomération. Muséographie immersive, ouverture sur les réserves et extension sur la place Félix-Faure sont au programme du chantier.

Pour l’agglomération, il ne s’agit pas seulement de se doter de nouveaux équipements culturels, mais de lancer un programme scientifique qui permettra de mieux comprendre l’histoire de Juliobona. « L’histoire de la ville antique est finalement assez mal connue, note Élise Cousin, nous en savons peu sur les édifices monumentaux, excepté les éléments sculptés retrouvés. » Le site fouillé depuis le XVIIIe siècle recèle encore de nombreux mystères, malgré des conditions optimales de fouilles : « Le milieu humide de Juliobona permet un état exceptionnel de conservation, notamment pour les vestiges organiques, cuir, bois », indique Jonas Parétias, chargé d’étude archéologique à l’agglomération.

Développer le tourisme local et territorial

Un chantier archéologique a débuté à l’été 2021 devant le musée, prélude à une campagne de fouilles qui se déroulera durant plusieurs années. Ces fouilles pourraient révéler quelques trésors, mais surtout répondre à des questions qui restent sans réponses depuis les premières fouilles du site. Ainsi, l’emplacement du port commercial de la ville, aujourd’hui encore inconnu, pourrait être retrouvé. La stratigraphie n’a, pour l’heure, pas révélé de traces d’une installation gauloise pré-romaine : la ville a-t-elle été fondée sous l’empire romain ? ou les vestiges d’une cité calète sont-ils plus profondément enfouis ?

Ce projet culturel et scientifique s’inscrit dans une politique culturelle volontariste de l’agglomération, dont 40 % des emplois dépendent du secteur industriel (raffinerie, chimie et pétrochimie). Le pôle muséal rassemble aujourd’hui MuséoSeine, consacré à la navigation fluviale, le Musée archéologique et un futur atelier-musée du textile, porté par des habitants et anciens ouvriers, qui s’installera sur la friche industrielle de Bolbec.

Dans un contexte de développement du tourisme vert aux alentours de l’agglomération, cette politique semble s’adresser en premier lieu aux habitants du territoire, avec l’objectif de leur faire prendre conscience de la valeur patrimoniale de leur environnement. « Les habitants n’avaient, par exemple, pas conscience d’avoir un si beau monument, de cette qualité, dans la ville », indique Élise Cousin à propos du théâtre gallo-romain. Les habitants pourront entre autres se réapproprier un symbole de leur patrimoine antique, l’Apollon doré de 1 mètre 94, découvert en 1823 et conservé depuis au Louvre [lire page 20], grâce à un travail de réinterprétation collectif, qui donnera lieu à la restitution de la sculpture devant le musée rénové et agrandi.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : Lillebonne veut mettre au grand jour sa cité antique Juliobona

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