Archéologie - Musée

Arles recompose pièce par pièce son trésor antique peint

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 7 octobre 2021 - 969 mots

ARLES

Les fresques romaines exceptionnelles retrouvées sur le site de la Verrerie, en 2017, sont réassemblées par les archéologues du « Musée bleu » et de l’Inrap : une opération longue et minutieuse.

Travail de recomposition de fresques romaines dans la salle d’exposition temporaire du Musée départemental Arles antique. © Rémi Bénali / Inrap-MDAA
Travail de recomposition de fresques romaines dans la salle d’exposition temporaire du Musée départemental Arles antique.
© Rémi Bénali / Inrap-MDAA

Arles. Si les collections du Musée départemental Arles antique (MDAA) offrent un panorama unique sur l’histoire gallo-romaine de la région, il leur manquait pourtant une pièce de choix pour être exhaustives : des enduits peints. Fouillé dès 2013, le site de la Verrerie a livré aux archéologues un vestige exceptionnel qui comble cette lacune. Scellées par une destruction volontaire à l’époque romaine, les fresques de la Villa de la Harpiste sont parvenues jusqu’à nous dans un état remarquable, mais éparpillées en milliers de fragments. Après le chantier de fouille achevé en 2017, s’est donc ouvert un second chantier, celui du remontage de ce « puzzle géant » deux fois millénaire.

« De la fouille au musée », tel est l’atout du MDAA, comme le rappelle sa directrice, Romy Wyche. Avec un service d’archéologie et un département de restauration intégrés à ses équipes, le musée arlésien a pu facilement obtenir l’autorisation du ministère de la Culture pour cette fouille programmée (et non préventive) du site de la Verrerie, sur la rive droite du Rhône. Ce qui a convaincu l’État du bien-fondé de ce chantier a sûrement été le projet d’intégrer les vestiges au parcours du musée, avant même le premier coup de pioche. Excavé une première fois dans les années 1980, le site avait déjà livré de remarquables mosaïques de l’époque impériale (200 ap. J.-C.). C’est en réalisant des sondages que Marie-Pierre Rothé, archéologue au MDAA, s’aperçoit du potentiel de la couche inférieure à cette première découverte. Une fois la fouille lancée, en collaboration avec un toichographologue (spécialiste des enduits peints) de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), « on a vu le potentiel de réassemblage. On a donc pris soin de prélever soigneusement les stucs, les seuils, les sols », explique l’archéologue. Dès la fouille, l’objectif était de présenter une fresque dans son contexte architectural.

800 caisses de fragments

Quelques années plus tard, le chantier de réassemblage des fresques a pris place dans la salle d’exposition temporaire du musée, avant de déménager début septembre au château d’Avignon. Avec 1 200 caisses, dont 800 pour la maison de la Harpiste, et à raison d’une journée de travail par caisse, l’assemblage entamé en 2020 devrait aboutir en 2022. Pour les archéologues du MDAA et de l’Inrap, il s’agit de recomposer les fragments afin d’obtenir une restitution satisfaisante de l’ensemble des fresques. Le travail porte sur deux pièces : la première, réassemblée à la fin de l’été, présente un décor architectural, avec une frise remarquable de scènes de chasse. Sa division en deux décors distincts laisse penser à la présence d’une antichambre devant une salle à manger. La seconde sera recomposée cette année : c’est la plus spectaculaire, celle où l’intrigant visage d’une harpiste a été mis au jour. Une fois les fragments réassemblés, les archéologues pensent obtenir une sorte de galerie de statues, parmi lesquelles la figure de la fameuse harpiste.

Aujourd’hui, les fragments livrent déjà des informations cruciales sur Arles et la villa. La datation du site, confirmée par un céramologue, avait rebattu les cartes de la chronologie de l’Arles antique : alors qu’on croyait la rive droite du Rhône inoccupée avant la colonisation romaine, les vestiges de la Villa de la Harpiste se situent entre 70 et 50 avant notre ère (la colonie d’Arles n’est fondée qu’en -45). L’étude du bâti et des fresques commence à brosser le portrait du propriétaire de cette villa : il s’agit d’un romain cultivé – comme l’attestent les éléments grecs, telle la harpe – et riche – l’emploi du cinabre, coûteux pigment rouge, le démontre.

On sait par ailleurs qu’il serait venu en Gaule narbonnaise avec des artisans romains. Les techniques de construction de la villa sont alors inconnues des autochtones, et la facture des fresques correspond au deuxième style pompéien : une rareté en France. Sur la qualité de ces artisans, l’hypothèse d’ouvriers peu qualifiés s’étiole alors que le réassemblage avance : « C’est l’hypothèse la plus courante, mais elle vole en éclats face aux plaques de la harpiste. Le travail y est beaucoup plus qualitatif que dans la première pièce », révèle Julien Boislève, toichographologue à l’Inrap. C’est le second style pompéien dit « mégalographique » que l’on peut observer dans cette salle, comme dans la Villa des Mystères, à Pompéi : une fresque composée de grandes figures humaines représentées à l’échelle 1.

L’étude des fresques permet également de saisir l’organisation architecturale de la villa : « Les peintures sont comme un moulage des pièces, plus le remontage sera complet, plus la compréhension de l’architecture de la villa sera importante », explique Julien Boislève. Le spécialiste de l’Inrap insiste sur ce point : il ne s’agit pas restituer quelques beaux morceaux de fresques encadrés tels des œuvres d’art, comme on le faisait encore il y a quelques décennies, mais de livrer l’interprétation la plus complète d’un site architectural témoin des premières occupations romaines à Arles.

Le pigment à l’épreuve de la lumière

Le prélèvement des sols incrustés d’éclats et des stucs sur le site de fouille permet d’envisager, en 2026, une présentation complète de l’ensemble architectural dans le parcours du musée. Mais subsiste un défi de taille pour montrer ce trésor aux visiteurs : le cinabre, ce rouge profond ostensiblement étalé sur l’ensemble des fresques, a une fâcheuse tendance à noircir une fois à la lumière. Un phénomène attesté dès l’Antiquité, mais qui n’a toujours pas trouvé de remède : « Jusqu’à maintenant les conservateurs ne s’étaient pas vraiment penchés sur le problème. Là, nous avons trois angles d’attaques possibles », explique Aurélie Martin, restauratrice au MDAA. En jouant sur l’éclairage, le taux d’humidité et sur un traitement des fragments, les restaurateurs espèrent rendre visibles au public les fresques qui manquaient aux collections arlésiennes.

Le Musée départemental Arles antique (MDAA), dit le « musée bleu » © Photo Ellevalentine, 2011
Le Musée départemental Arles antique (MDAA), dit le « musée bleu ».
Photo Ellevalentine, 2011

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°574 du 1 octobre 2021, avec le titre suivant : Arles recompose pièce par pièce son trésor antique peint

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