Paris - Urbanisme

L’esthétique urbaine de Paris bientôt réglementée

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 7 février 2022 - 935 mots

PARIS

Bouleversée par la crise sanitaire, critiquée par le mouvement #SaccageParis sur les réseaux sociaux, l’esthétique du paysage parisien sera encadrée par un nouvel arsenal de règles et référentiels.

Édicule Guimard de la station de métro Porte Dauphine à Paris. © Chabe01, 2018, CC BY-SA 4.0
Édicule Guimard de la station de métro Porte Dauphine à Paris.
Photo Chabe01, 2018

Paris. En 1607, c’est à Paris que l’un des tout premiers textes réglementant l’urbanisme voit le jour : l’Édit de Sully ordonne l’alignement des constructions sur le tracé des voies et introduit une distinction entre l’espace privé et l’espace public. Quatre cents ans plus tard, c’est la Mairie de Paris (PS) qui utilise la nouvelle doctrine d’aménagement de l’espace public pour harmoniser un paysage urbain dégradé, mais aussi pour adapter la ville aux enjeux environnementaux et sociaux. Accusé de « laisser-aller » par de nombreux Parisiens – réunis sur les réseaux sociaux sous le très populaire mot-clé « #SaccageParis » –, l’exécutif parisien se dote d’un « Manifeste pour la beauté de Paris » en quatre volumes et d’une commission spéciale.

Premier adjoint d’Anne Hidalgo, chargé de l’urbanisme, Emmanuel Grégoire présentait le 18 janvier ce nouveau « référentiel ». L’objectif du texte concilie deux enjeux qui peuvent être contradictoires : la préservation du patrimoine parisien – son harmonie et son héritage haussmannien – et l’innovation, notamment dans l’adaptation de la ville aux bouleversements climatiques. « Il s’agit de définir les lignes parisiennes. Le manifeste est un guide d’application pour tous ceux qui interviennent sur cet espace public, un référentiel d’actions créé par l’administration, pour l’administration », explique Emmanuel Grégoire.

Les Parisiens consultés par Internet

Cette « grammaire commune » est le fruit d’une réflexion lancée en novembre 2020, menée par les adjoints à la maire de Paris réunis en groupes thématiques (esthétique, végétalisation, rénovation urbaine…). La démarche a déjà fait l’objet d’une restitution lors de l’exposition « La beauté d’une ville » au Pavillon de l’Arsenal, mais aussi d’une consultation publique sur Internet où les Parisiens pouvaient indiquer leurs préférences esthétiques en matière de mobilier urbain.

Perdants de ce suffrage, les assises « champignon » et les bancs « mikado » (ces blocs de bois empilés, que l’on trouve entre autres place de la République) disparaîtront de l’espace public. La Mairie a également tenu compte du rejet des Parisiens pour les « GBA » (glissières en béton armé) qui délimitent les pistes cyclables temporaires installées durant le premier confinement. « J’ai moi-même fini par m’en lasser », souffle l’adjoint à l’urbanisme, annonçant leur retrait définitif en 2022. Autre opération d’urgence, un « plan pied d’arbre » à 12,5 millions d’euros sur trois ans. Sur les réseaux sociaux, les fosses ouvertes autour des arbres lors d’une replantation sont devenues le symbole des négligences de la Mairie parisienne, les adeptes du « #SaccageParis » collectionnant les photographies de pieds d’arbres-dépotoirs sur Twitter ou Facebook. La ville adopte désormais une « doctrine pied d’arbre » revue et corrigée, qui exige la fermeture de toutes les fosses de replantation, par des grilles ou de la végétation.

Au-delà de ces réponses immédiates aux flots de critiques, le « Manifeste pour la beauté de Paris » détaillera en quatre volumes des « prescriptions fortes », qui seront intégrées dans le cahier des charges de toute intervention sur l’espace public parisien. Le premier tome introductif sera suivi d’un volume consacré aux sols (voirie et végétalisation) et d’un autre détaillant les injonctions en matière de mobilier urbain. Ces trois premiers livres publiés en mars prochain seront suivis d’un quatrième consacré au bâti et à l’insertion paysagère. La parution de ce dernier volume attendra la prochaine modification du Plan Local d’Urbanisme (PLU), avec lequel il doit être harmonisé.

Une commission de régulation de l’espace public sera garante de la bonne application de cette nouvelle charte, réunissant les élus concernés par l’espace public et tous les acteurs de son aménagement. « Pas un clou ne sera planté dans Paris sans l’accord de cette commission », annonce Emmanuel Grégoire.

Préservation et création du mobilier urbain

Ce nouvel arsenal de prescriptions prend en compte la préservation du mobilier historique – fontaines Wallace, entrées de métro Guimard [voir ill.] et bancs Davioud – que la Ville a recensé. Au premier semestre 2022, une cartographie de ce patrimoine mobilier sera publiée en ligne. L’atelier Parisien d’Urbanisme (APUR) publiera également en mars un atlas du mobilier parisien, inventaire détaillé et exhaustif de toutes les typologies d’équipements urbains patrimoniaux présents dans les rues de la capitale. La protection de ce mobilier sera intégrée au PLU, selon des modalités qui ne sont pas encore fixées par la Mairie. « Cela passera probablement par une Orientation d’aménagement et de programmation (OAP) », laisse entrevoir l’adjoint au patrimoine : ce dispositif du PLU est utilisé dans de nombreuses villes pour la protection d’éléments patrimoniaux, mais demeure l’un des plus souples en la matière.

Le patrimoine devrait également être une source d’inspiration pour les prochaines créations de mobilier, qui puiseront dans un répertoire de couleurs et de formes (feuilles d’acanthes par exemple) répertoriées par la Mairie. Difficile toutefois d’imaginer à quoi ressembleront ces nouveaux aménagements qui devront concilier volonté d’« innovation » et patrimoine. Annoncé en novembre 2020, le concours de designers autour d’éléments « totémiques » de ce mobilier aurait permis de donner corps à ce programme vague, mais la Mairie y a renoncé en 2021. « Nous ne pouvons plus penser les objets de manière isolée, il faut les relier à leur environnement et leurs usages », justifiait alors Emmanuel Grégoire dans les colonnes de l’hebdomadaire Le Moniteur.

Pour se projeter dans le Paris de demain, la seule certitude reste le vert : la végétalisation est un axe fort développé par la Mairie pour lutter contre les effets du dérèglement climatique. Le « Manifeste » en tient compte, en recensant notamment les nombreux lieux où des plantations en pleine terre sont envisageables. Dans ce cadre, la Ville maintient aussi ses projets de forêts urbaines, un aménagement dont l’efficacité est pourtant remise en question jusqu’aux écologistes de la majorité municipale.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°582 du 4 février 2022, avec le titre suivant : L’esthétique urbaine de Paris bientôt réglementée

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