Archéologie

Les saccages du Dakar

La première édition sud-américaine du rallye-raid a eu des conséquences dramatiques sur les sites précolombiens au Chili

Le Journal des Arts

Le 29 septembre 2009 - 966 mots

SANTIAGO (CHILI) - Le Dakar, rallye-raid qui s’est tenu pour la première fois en janvier 2009 au Chili et en Argentine, a provoqué des dommages irréparables sur nombre de sites archéologiques majeurs, et ce malgré les mises en garde répétées d’archéologues et de spécialistes de l’environnement avant et pendant la course.

Au début du mois de juillet, un rapport du Conseil des monuments nationaux remis au gouvernement chilien a dressé un triste état des lieux. Version plus détaillée d’un rapport préliminaire publié après la course en février, ce document – dont des extraits ont été publiés dans le quotidien chilien Santiago Times – avance que des « dommages irréparables » infligés sur six sites archéologiques auraient pu être évités si les recommandations formulées par le Conseil en 2008 avaient été suivies.

Campement dévasté
Originellement disputée entre Paris et Dakar (Sénégal) sur une période de quinze jours, le célèbre rallye regroupe environ 500 véhicules, motos, 4x4 et voitures de rallye. En 2008, l’organisateur français de l’événement, Amaury Sport Organisation (ASO), avait préféré annuler la course à la suite de menaces d’actes rebelles et terroristes, et avait choisi de transposer le rallye en Amérique du Sud en 2009. Cette version sud-américaine du Dakar a remporté un franc succès, et les préparatifs de la prochaine édition (du 1er au 17 janvier 2010) sont déjà bien avancés. ASO annonçant des retombées financières à hauteur de 74,5 millions de dollars (50,7 millions d’euros) au profit du Chili et de l’Argentine, la plupart des archéologues et spécialistes de l’environnement ont, en dépit de leurs inquiétudes, renoncé à demander l’annulation de l’édition 2010. Il ont affirmé que la menace sur les sites pouvait être amoindrie si le tracé était vérifié en amont en proche collaboration avec les organisateurs. D’autres se sont montrés plus vindicatifs : « [Cette course] est tout à fait illégale », tonne Carlos Aldunate, directeur du Musée d’art précolombien du Chili, à Santiago, s’exprimant par la voix du quotidien El Mercurio : « Si vous détruisez un site archéologique, vous détruisez un monument national. » Selon le fameux rapport du Conseil des musées nationaux, quatre des sites endommagés se situent dans la région de l’Atacama et deux autres dans la région de Coquimbo, à environ 500 kilomètres au nord de Santiago.

Ainsi de Pelican Creek, près de la commune de La Higuera à Coquimbo, où une équipe d’archéologues membres du Conseil a découvert que la moitié d’un campement de chasseurs-cueilleurs précolombiens avait été dévastée par le rallye. Les véhicules ont détruit des outils en pierre comme des couteaux, des pointes de flèche, des pointes de lance et des grattoirs, mais aussi des fragments de céramiques, de coquillages et de structures en roc datées entre 9 000 ans av. J.-C. et 1500. D’après Óscar Acuña, secrétaire du Conseil, seuls 120 kilomètres, soit 10 % du tracé, avaient effectivement été inspectés. Des dommages supplémentaires sont par ailleurs susceptibles d’apparaître. La protection des sites archéologiques du désert de l’Atacama ne concerne pas seulement le Dakar. En janvier, au moment même de la course, le garde forestier et tour-opérateur Sergio Cortes faisait savoir aux autorités locales que, dans la région de Tarapacá, au sud d’Iquique, les géoglyphes d’Alto Yape et les superbes dunes témoignant de 18 000 ans de motifs dessinés par le vent avaient déjà été sérieusement endommagés par les véhicules à quatre roues motrices des touristes et des amateurs de conduite hors piste.

Les 5 000 et quelques géoglyphes préhistoriques du désert de l’Atacama forment d’immenses représentations de figures humaines, d’animaux et de formes géométriques mystérieuses ; celles-ci sont réalisées à partir de cailloux et de galets répartis sur la surface du désert et ne sont correctement visibles que depuis les airs. Selon Cortes, les véhicules ont laissé des traces de pneus en long, en large et en travers des géoglyphes, dont certains étaient en cours d’étude par des archéologues britanniques. Si ces derniers avaient demandé au garde forestier de tenir le lieu secret, aujourd’hui, alors que ces géoglyphes ont été localisés, les mesures adéquates de conservation pourraient être prises, invoque Cortes.

Relévé cartographique
S’adressant au Santiago Times, le représentant du Dakar pour le nord du Chili, Jose Cornejo, indique que le problème des 4x4 de tourisme et des pilotes amateurs de tout-terrain ne saurait concerner les organisateurs du rallye – la douzième étape avait en effet été réduite de 33 kilomètres après qu’il eût été constaté que le parcours devait traverser des sites archéologiques. Le principal problème, soutient-il, est l’absence d’infrastructure et de signalétique permettant de préciser aux touristes la localisation exacte des géoglyphes. Le pilote de rallye chilien Rodrigo « Yiyo » Illanes a renchéri, expliquant au Santiago Times que, malgré un code d’éthique strict interdisant aux pilotes de s’approcher des géoglyphes et autres sites archéologiques, ces lieux étaient rarement indiqués et qu’il était crucial qu’un relevé cartographique soit fait avant la prochaine course. « Parfois ces sites sont tout simplement invisibles.

À d’autres occasions, le désert est envahi par un brouillard si épais qu’il est impossible de voir au-delà de cinq ou six mètres. » Mais les géoglyphes seraient également menacés par l’activité minière dans la région, et le Conseil chilien des monuments nationaux a annoncé le lancement d’une enquête à ce sujet, menée auprès de toutes les compagnies responsables de la préservation des sites sur les zones exploitées. Au début de l’année, la compagnie minière Doña Inés de Collahuasi a dépensé 143 500 dollars pour la conservation des « Geoglifos de Pintados », dans la région de Tarapaca. Un combat similaire est mené par un groupe d’écologistes qui craignent pour la survie d’une espèce unique de fleurs du désert qui poussent en dessous de la surface du sable. Parmi leurs autres revendications figure la manière dont le rallye-raid encourage et promeut l’utilisation de véhicules tout-terrain qui consomment et polluent énormément.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°310 du 2 octobre 2009, avec le titre suivant : Les saccages du Dakar

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