Unesco

Les lieux de mémoire désormais admissibles au patrimoine mondial

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 6 mars 2023 - 647 mots

Auparavant exclus de la Liste de l’Unesco, les sites mémoriels des conflits du XXe siècle, notamment de la Grande Guerre, peuvent à présent candidater.

Blockhaus à Utah Beach, l'une des plages du débarquement en Normandie. © Archangel12, 2010, CC BY 2.0
Blockhaus à Utah Beach, l'une des plages du débarquement en Normandie.
Photo Archangel12, 2010

France. Les lieux de mémoire des conflits du XXe siècle, sont-ils conformes au cadre et aux objectifs de la Convention de l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) pour le patrimoine mondial ? Voilà une question sur laquelle experts et comités nationaux travaillaient depuis 2018, quand, lors de la 42e session du Comité à Manama (Bahreïn), l’inscription des sites liés à la mémoire de la Première Guerre mondiale avait été repoussée dans l’attente d’une réflexion plus aboutie. L’Unesco vient de mettre fin à ce moratoire : la prochaine session du Comité, cet automne à Riyad (Arabie saoudite), examinera ces propositions.

Comme le notent les chercheurs en sciences du patrimoine, Olwen Beazly et Christina Cameron – auteurs d’une étude sur le sujet pour l’Unesco –, les sites associés à une mémoire collective douloureuse et négative ne représentent qu’une fraction infime des biens inscrits au patrimoine mondial : seulement 1,6 %, et 0,4 % portant la mémoire d’un conflit récent (de la fin XXe ou XXIe siècle). Dès les premières années de la Convention du patrimoine mondial, l’Unesco s’est montrée très prudente au sujet de l’inscription de ces sites.

Ainsi, si l’examen de la candidature d’Auschwitz s’est soldé par une inscription en 1979, ce n’était pas sans mises en garde : « Des propositions d’inscription concernant, en particulier, des événements historiques ou des personnes célèbres, pouvaient être fortement influencées par le nationalisme ou autre particularisme en contradiction avec les objectifs de la Convention du patrimoine mondial », notait alors le Comité. Le site d’Auschwitz doit demeurer une inscription unique « dans laquelle tous les sites du même ordre seraient symbolisés », recommandait le rapporteur du Comité.

Quelques rares inscriptions ont la même valeur : l’île de Gorée au Sénégal (1978), le mémorial de la paix de Hiroshima au Japon (1996) ou l’île de Robben Island en Afrique du Sud (1999). Pour juger de la valeur universelle exceptionnelle (VUE) de ces sites, le critère VI prévaut : celui-ci sélectionne les biens « directement ou matériellement associés à des événements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle ».

Dans une étude menée par Conseil international des monuments et des sites (Icomos) en 2021, sont recensées les questions que soulève l’inscription des sites de mémoire au patrimoine mondial. À l’égard du mandat pour la paix confié à l’Unesco, ces inscriptions présentent un risque de raviver des concurrences mémorielles, d’être le support de récits nationalistes. Ainsi, l’inscription de Hiroshima avait été critiquée par la Chine et les États-Unis. Une telle utilisation de la Liste contreviendrait également à son objectif d’universalité et de représentativité pour l’ensemble de l’humanité.

L’Icomos notait également le caractère évolutif de la valeur mémorielle, qui entre en contradiction avec l’universalisme déclaré de la Liste. Il s’interroge aussi sur le caractère d’authenticité et d’exemplarité, exigé par la VUE : qu’est-ce qui fait d’un lieu de mémoire un symbole de paix plus authentique, plus exemplaire qu’un autre ? Se pose ainsi la question de l’analyse comparative, un exercice fondamental d’une candidature pour justifier de la VUE : sur quels critères comparer plusieurs sites mémoriels ?

Une admissibilité sous conditions

Bien que l’étude de l’Icomos, tout comme celle de Beazly et Cameron concluent à l’absence de rapport entre les objectifs de l’Unesco et les lieux de mémoire, et recommandent de trouver une autre manière de les reconnaître, la session extraordinaire du 25 janvier dernier autorise désormais l’examen de ces biens, en exigeant cependant des éléments supplémentaires pour les dossiers de candidature : une « stratégie d’interprétation » devant respecter la pluralité des points de vue, un « programme d’éducation et d’information » ainsi qu’un rapport sur le « processus de réconciliation ». Une dizaine de candidatures sur les listes indicatives des États sont ainsi débloquées. Parmi elles, le bien franco-belge des paysages et sites de la Première Guerre mondiale, et les plages du Débarquement en Normandie.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°606 du 3 mars 2023, avec le titre suivant : Les lieux de mémoire désormais admissibles au patrimoine mondial

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