Église

Les églises sonnent le tocsin

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 12 février 2014 - 1571 mots

PARIS

Le patrimoine bâti historique de la Ville comprend 85 églises. Nombre d’entre elles requièrent d’urgents travaux de restauration. Face à l’insuffisance des moyens publics, les paroisses font appel au privé.

Avec la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905, l’État et les communes sont respectivement devenus propriétaires de toutes les cathédrales et églises bâties avant cette date. La Ville de Paris possède aujourd’hui 96 édifices cultuels du XIIe siècle à nos jours – dont 85 sont affectées au culte catholique – qui abritent 130 orgues et 40 000 œuvres d’art.
Cette liste comporte 61 monuments protégés au titre des monuments historiques (MH), dont 6 sont inclus dans les plans de sauvegarde et de mise en valeur (PMSV) du Marais et du 7e arrondissement, et 17 bénéficient d’une protection Ville de Paris indiquée dans le plan local d’urbanisme (PLU). Au total, 88 % des édifices sont ainsi reconnus pour leur importance artistique et historique, et protégés de toute destruction.
En octobre 2013 (lire le JdA no 398, 4 oct. 2013), le World Monuments Fund, ONG états-unienne, n’en attire pas moins l’attention sur le mauvais état de deux églises parisiennes, déclarant les édifices du XIXe siècle Saint-Merri (4e arr.) et Notre-Dame-de-Lorette (9e arr.) en péril. Les associations SOS Paris et l’Observatoire du patrimoine religieux (OPR) lancent alors un « cri d’alarme », qui sera très relayé, dénonçant un entretien insuffisant de ces monuments par la Ville. Demandant aux élus de droite comme de gauche de s’engager en faveur de ce patrimoine, elles font aujourd’hui du sort des églises parisiennes un enjeu électoral. « Nous n’avons pas abandonné les églises, rétorque Danièle Pourtaud, adjointe au maire chargée du patrimoine. L’état des églises n’était pas satisfaisant quand elles nous ont été cédées par le RPR en 2001. »

« Plan églises »
Retour en arrière : en 1991, la Mairie, détenue alors par Jacques Chirac, avait mis en place un « plan églises » prévoyant l’investissement d’un milliard de francs pour la restauration d’une vingtaine d’édifices, la logique étant de rénover le plus largement possible le bâtiment. Saint-Étienne-du-Mont (5e arr) et l’intérieur de Saint-Roch (1er arr.) ont ainsi été restaurés et témoignent aujourd’hui d’un bon état de conservation. Des coupes budgétaires ont lieu dès 1993, faisant tomber le budget annuel de 80-100 millions de francs à 50 millions, avant que le plan églises ne soit interrompu sur décision de Jean Tiberi. Si de nombreuses opérations ont été menées par son successeur Bertrand Delanoë – avec un budget en hausse par rapport à la mandature précédente –, celles-ci se limitent souvent à quelques parties d’un même édifice. Plusieurs églises se trouvent ainsi actuellement dans un état critique.

Attention, chute de pierres
Protections temporaires et pansements en tout genre se multiplient sur les églises parisiennes en attente de travaux. À Notre-Dame-de-Lorette, des papiers japon, cataplasmes provisoires empêchant la matière picturale des peintures murales de se décoller, sont fixés sur les murs depuis plusieurs années déjà. Saint-Philippe-du-Roule (8e arr.), autre église néoclassique, en proie durant plusieurs années à d’importantes fuites d’eau provenant de la toiture, a reçu en 2012 la pose d’un parapluie d’un coût de 700 000 euros. « Maintenant que l’intérieur de l’édifice est protégé, on craint que le parapluie ne s’éternise et ne vienne se substituer à de vrais travaux de restauration », déclare un membre de son personnel.

Si la façade de Saint-Merri a vu ses filets remplacés en octobre 2013 par des échafaudages pour accueillir des travaux, ce n’est pas le cas de celle de la Madeleine (8e arr.), déstabilisée à la fin des années 1990 par la construction de la ligne 14 du métro et arborant depuis lors à l’entrée des filets de protection. Les corniches de la Sainte-Trinité (9e arr.) sont quant à elles emmaillotées de filets depuis une dizaine d’années, tandis que des porte-gravats ceinturent l’édifice, dessinant un périmètre de sécurité près du square attenant. Quant à Saint-Augustin (8e arr.), élevée par Baltard, elle devrait prochainement, selon le curé Denis Branchu, recevoir un échafaudage de protection. Depuis la chute d’une des statues ornant la façade, survenue en novembre 2013, l’entrée principale et ses abords sont condamnés au public. « Ces échafaudages pourront servir pour des travaux à venir », précise le prêtre. Aucun programme de rénovation des toitures et de la façade n’a cependant été planifié pour ce bâtiment aux pierres poreuses et en proie aux infiltrations que l’OPR qualifie d’église « la plus meurtrie de Paris ».

« Nous avons eu à faire à de nombreuses urgences », plaide Danièle Pourtaud. Ainsi en 2011 s’achevait la restauration de la tour Nord de l’église Saint-Sulpice – menaçante pour la sécurité publique –, et, en 2012, celle de la façade Saint-Paul-Saint-Louis, dont une pierre s’était précédemment décrochée. Le chantier de Saint-Sulpice (lire le JdA no 350, 24 juin 2011) a, à lui seul, coûté 28 millions d’euros, financés équitablement entre la Ville et l’État. Une somme qui correspond pour la municipalité à 10 % de son budget alloué aux églises depuis 2001.
« Nous avons dépensé 150 millions d’euros en treize ans pour les édifices cultuels », indique Daniel Pourtaud, soit un budget en baisse entre la première et la seconde mandature, passant de 90 millions d’euros pour la première à 60 millions pour la seconde. Un budget insuffisant pour répondre à des dégradations qui s’amplifient d’année en année. Selon SOS Paris et l’OPR, 500 millions d’euros seraient nécessaires, sur dix ans, à la remise en état des églises parisiennes.
À la Commission du Vieux Paris, des grognements se font entendre en sourdine à l’encontre des architectes des monuments historiques, dont les partis pris de restauration viennent alourdir les factures. Telles les restitutions à l’identique d’éléments architecturaux disparus, comme cela fut le cas sur la façade Saint-Paul-Saint-Louis.

Recours au privé
Anne Hidalgo, candidate PS à la Mairie de Paris, a annoncé un plan d’investissement de 80 millions d’euros sur six ans, réactualisant la formule « plan églises ». Un budget insuffisant pour remédier aux urgences et mettre en place un véritable plan pluriannuel. Nathalie Kosciusko-Morizet, sa rivale pour l’UMP, a simplement indiqué dans son projet vouloir « restaurer le patrimoine architectural et en particulier les lieux de culte dépendant de la Ville ». Toutes deux ont exprimé leur désir d’avoir recours à du mécénat pour financer ces chantiers.
Ce mode de financement a déjà été adopté par des paroisses. C’est sous l’impulsion de la Mission catholique polonaise de France, grâce au concours de la Fondation Sisley – à hauteur de 1 million d’euros – et d’une somme réunie par la Fondation du patrimoine, que la Mairie a restauré l’église Notre-Dame-de-l’Assomption (1er arr), en particulier la coupole peinte par Charles de La Fosse. Les travaux s’achèvent en février 2014.
La situation de l’église Saint-Germain-des-Prés (6e arr.), très encrassée, a quant à elle été prise à bras-le-corps par la paroisse. Constatant que la Mairie ne prévoyait pas de restauration dans les années à venir, celle-ci a créé en 2011 le « Fonds de dotation pour le rayonnement de Saint-Germain-des-Prés » afin de récolter du mécénat.
Plus d’1 million d’euros venus de fonds privés ont permis la restauration du plateau liturgique et du pavement de l’église, travaux pour lesquels le fonds de dotation a été nommé maître d’ouvrage à la place de la Ville. Ces deux acteurs ont par la suite signé une convention de mécénat pour restaurer à partir de 2015 différentes parties de l’église, dont la fresque d’Hippolyte Flandrin qui sera nettoyée à la charge d’un fonds new-yorkais créé sous l’impulsion du fonds de dotation parisien. « La Drac [direction régionale des Affaires culturelles] participera aux travaux à hauteur de 30 %, mais on ne sait pas encore dans quelle mesure la Ville, qui a récupéré la maîtrise d’ouvrage, financera », explique Michel Hautsch, administrateur du fonds de dotation.
Aux paroisses de Saint-Augustin ou de Saint-Philippe-du-Roule (qui ne bénéficient pas à l’étranger du même pouvoir d’évocation que l’église qui a donné son nom au quartier emblématique de Saint-Germain-des-Prés) de lorgner aujourd’hui vers ce type de mécénat.

Patrimoine funéraire à restaurer

D’année en année, les sépultures des cimetières historiques de Paris (Père-Lachaise, Montmartre, Montparnasse…), à la charge des héritiers des concessionnaires, ont été de plus en plus nombreuses à rejoindre le giron de la Ville (lire le JdA no 399, 18 oct. 2013). Les service municipaux ne disposent pas pour l’instant d’un outil informatique permettant de connaître le nombre exact de concessions reprises après abandon et conservées par la Ville pour leur intérêt patrimonial. Guénola Groud, conservatrice dirigeant la cellule patrimoine des cimetières parisiens créée en 2007, les évalue cependant à plusieurs milliers. Un patrimoine architectural et sculpté que la Ville a entretenu à l’aide de moyens faibles : 49 000 euros en 2013. Ce budget de fonctionnement, utilisé notamment pour restaurer ses tombes inscrites MH, ne lui a pas permis d’effectuer plus de quelques restaurations par an, telle la sépulture en terre cuite de Christine Henriette Louise de Cibeins (1844) du Père-Lachaise, en 2012, pour presque 11 000 euros. Celle des ossements d’Héloise et Abélard, imposant tombeau néogothique classé MH, et dont les fragiles colonnettes sont soutenues par des étais, attend des crédits d’investissement pour être restaurée. Tandis que le tourisme funéraire se développe et que les inhumations se raréfient au sein des divisions protégées, la question de la conservation du patrimoine funéraire va devenir de plus en plus pressante pour la municipalité parisienne. Et pour son enveloppe budgétaire.

Les articles du dossier : La Culture dans les municipales à Paris

 

  • La Culture, arbitre des municipales ? ></a></li>
	<li>Une campagne sans enjeux <a  data-cke-saved-href=></a></li>
	<li>Anne Hidalgo : « Considérer de façon plus globale la question des lieux de création » <a  data-cke-saved-href=></a></li>
	<li>Nathalie Kosciusko-Morizet : « La Ville a été inexistante en matière culturelle » <a  data-cke-saved-href=></a></li>
	<li>Musées, une longue série de travaux<a  data-cke-saved-href=></a></li>
	<li>Art contemporain, des ambitions relatives <a  data-cke-saved-href=

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°407 du 14 février 2014, avec le titre suivant : Les églises sonnent le tocsin

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque