Collection - Musée

PATRIMOINE

Sursis pour la collection de la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 1 avril 2022 - 1114 mots

MARSEILLE

Après la polémique suscitée par la mise aux enchères d’une partie de son patrimoine, la CCI de Marseille explique ses contraintes et ouvre la porte du dialogue.

Le Palais de la Bourse à Marseille, qui abrite la Chambre de commerce et d'industrie. © Robert Valette, 2008, CC BY-SA 3.0
Le Palais de la Bourse à Marseille, qui abrite la Chambre de commerce et d'industrie.
Photo Robert Valette, 2008

Marseille. La chambre de commerce et d’industrie métropolitaine d’Aix-Marseille-Provence (CCIAMP) a lancé, début mars, un marché public en vue d’une mise aux enchères d’une partie de son patrimoine riche de 11 500 peintures, gravures, estampes, 1 100 objets historiques divers, 15 œuvres d’art contemporain, 5 100 affiches publicitaires. Mais, dans les Bouches-du-Rhône, cette démarche a créé un « tollé général », comme le rapporte Jean-Marc Coppola, adjoint au maire de Marseille chargé de la culture. Même Renaud Muselier s’y est opposé, dans une lettre adressée à Jean-Luc Chauvin, président de la CCIAMP, rappelant « que font partie du domaine public les biens présentant un intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de la science et de la technique ». Selon le président de la Région, sans procédure de désaffection et de déclassement, la vente « serait frappée d’illégalité ».

Le marché public comporte une liste indicative de 187 œuvres (qui vont d’un buste de Colbert signé François Girardon à une sculpture en impression 3D de Mohamed Bourouissa). Jean-Marc Coppola craint que l’ensemble des objets, outre ceux de la liste, puisse être vendu : pour l’élu, l’urgence est de garder ces œuvres dans le domaine public. « Je ne dis pas que toutes les œuvres peuvent entrer dans les collections des musées de Marseille, mais nous devons au moins avoir une discussion sur la base de celles acquises avec le concours de la Ville », précise l’adjoint à la culture. Les conservateurs municipaux ont entamé un inventaire des œuvres afin d’identifier celles qui pourraient être récupérées par la Ville.

Bruno Terrin, quatrième génération d’entrepreneur dans l’industrie navale, et porteur d’un projet de centre d’interprétation du patrimoine maritime, s’offusque aussi de la vente de l’ensemble conservé par la CCIAMP, dont certains objets ont été donnés : « Mon grand-père, qui a dirigé les chantiers de La Ciotat, a donné des documents à la CCIAMP, se disant que tout serait bien gardé et en sécurité. »

Une décision ancienne

Pour répondre à la polémique, le président de la CCIAMP, Jean-Luc Chauvin, a précisé ses intentions lors d’une conférence de presse. Il a expliqué les circonstances qui ont présidé au lancement de ce marché public, après dix ans de tractations avec les musées locaux pour reprendre tout ou partie de cet ensemble patrimonial, et des « quatre kilomètres d’archives » qui lui sont associés : le Mucem, les musées municipaux de Marseille et les archives départementales ont tous décliné l’offre. « Toutes les solutions ont été étudiées depuis 2016, a-t-il fait savoir. Il n’y a que la direction régionale des Affaires culturelles et le Musée national de la marine [de Paris] dont on ne s’est pas rapproché. On le fera. » Jean-Marc Coppola a, pour sa part, admis qu’il avait « découvert ces discussions qui ont eu lieu par le passé avec le Mucem et avec l’ancienne mandature et qui n’ont pas abouti, en découvrant le dossier », et veut croire que la sortie de cette crise passera par une intervention de l’État : « J’attends une initiative du préfet, de la Drac pour mettre tout le monde autour de la table. »

Des chambres de commerce sous pression

À l’origine de la démarche de la CCIAMP, se trouvent les mêmes contraintes qui avaient poussé la chambre de commerce et d’industrie lyonnaise à mettre en sursis l’existence du Musée des tissus et des arts décoratifs en 2016. Les chambres de commerce sont en effet confrontées à une baisse de leurs dotations depuis 2010 (la taxe pour frais de chambre qui les financent ayant été divisée par quatre entre 2010 et 2022), entraînant la réduction des effectifs et un recentrage de leurs missions. « Un effort de réduction des coûts de 15 millions d’euros a été demandé à la CCIAMP. En trente ans, elle est passée de 1 100 employés à 188 », rappelle Bruno Terrin, qui ne souhaite pas « tirer sur l’ambulance consulaire ».

Depuis la loi Pacte de 2019, Bercy exige que les chambres consulaires ne financent pas d’autres activités que le soutien aux entreprises. Dans ce cadre de restriction budgétaire, la CCIAMP cherche-t-elle à renflouer ses caisses en se séparant d’un patrimoine, dans lequel son ministère de tutelle lui défend d’investir ? « Notre ambition est claire, créer un vrai musée maritime à Marseille, pour mettre en avant ces objets et permettre aux Marseillais de se les réapproprier », répond Jean-Luc Chauvin, qui verrait bien ce musée prendre place dans le projet de « Port Center », envisagé par le grand port maritime de Marseille. Cette nouvelle institution redonnerait vie à l’ancien musée consulaire de la Marine, installé dans le palais de la Bourse, et démantelé à partir de 2009 avec une première vente aux enchères bien moins médiatisée, avant d’être définitivement fermé en 2018 faute de fréquentation.

Créer un fonds de dotation et un comité du patrimoine

Le président de la CCIAMP a présenté ce marché public comme le troisième acte d’un plan patrimoine lancé par la chambre dès 2019, et retardé par la crise due au Covid-19. Deux outils ont été mis en place en ce sens : un fonds de dotation, « qui permet de financer la préservation des collections, et qui sera le réceptacle d’un appel à la générosité des entreprises et des Marseillais » et un « comitéde connaisseurs, d’experts », chapeauté par Patrick Boulanger, ancien conservateur du patrimoine à la CCIAMP.

Jean-Luc-Chauvin a justifié l’utilité du marché public « pour que ce comité du patrimoine puisse avoir des éléments précis et vendre certains objets, sur la base d’une liste de 187 œuvres dont on a la certitude qu’elles ont été acquises dans le cadre des activités de la chambre ». Le risque d’une mise aux enchères de ces œuvres persiste, mais Jean-Luc-Chauvin espère que « la générosité sera au rendez-vous » du fonds de dotation pour permettre d’éviter cette vente, faisant valoir l’attachement de la chambre à son patrimoine depuis son mandat : « C’est nous qui avons demandé le classement de notre bâtiment, architecture remarquable de Pascal Coste [voir ill.], au début de l’année 2021 ! »

La chambre a aussi annoncé la création d’un Groupement d’intérêt public (GIP), une structure associant les collectivités locales à des partenaires privés, qui avait permis en 2017 le sauvetage du Musée des tissus lyonnais avec le concours de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. « C’est une occasion unique de réunir tout le monde autour de notre patrimoine, affirme Jean-Marc Chauvin. J’espère que cet émoi se transformera en espèces sonnantes et trébuchantes. » L’adjoint au maire de Marseille ne dit pas autre chose, voyant dans ce « tollé général » une opportunité de valoriser ce patrimoine. Toutefois, pour lui, la solution viendra d’ailleurs : « C’est une question qui va vite remonter au niveau de l’État. »

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°586 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : Sursis pour la collection de la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque