Après quatorze ans de fermeture, le Musée Bonnat-Helleu renaît et dévoile un parcours ambitieux reposant sur un fonds exceptionnel de maîtres anciens.

Bayonne Pyrénées-Atlantiques). Fermé dans une quasi-indifférence, il y a plus de quatorze ans, le musée des beaux-arts de Bayonne, pourtant plus que centenaire, semblait condamné à l’oubli. Mais grâce à l’opiniâtreté du maire, il revit aujourd’hui et s’impose d’ores et déjà comme une institution de référence par la qualité de sa collection et sa muséographie inventive.
Il revient de loin. Un premier legs en 1891 de Léon Bonnat (1833-1922), natif de Bayonne et grande gloire de la peinture académique incite la ville à construire en 1896 un bâtiment dans le style éclectique de l’époque conçu par l’architecte Charles Planckaert et destiné à accueillir les archives de la ville, une bibliothèque et un musée d’art. L’ensemble est inauguré en 1901, mais le musée n’ouvre réellement que quelques années plus tard. Il s’avère trop petit pour accueillir un second legs de la collection Bonnat au décès de celui-ci, constitué d’environ 2 000 œuvres supplémentaires, dont de nombreux chefs-d’œuvre. Ce n’est que dans les années 1970, après le déménagement de la bibliothèque que le musée peut pleinement occuper le bâtiment, accueillir les nouvelles donations et déployer toutes ses missions. En 2011, à la veille de sa fermeture en raison de risques d’effondrement de la verrière du patio, il occupait la 164e place dans le Palmarès des musées du Journal des Arts et accueillait 25 000 visiteurs.

Les interventions réalisées par le cabinet d’architecture BLP & Associés basé à Bordeaux sont d’ampleur sans être ostentatoires. Le cabinet s’était notamment illustré dans la rénovation du Musée de l’Orangerie à Paris entre 2000 et 2006. Le chantier le plus structurant a consisté à étendre le musée vers la construction adjacente datant des années 1930 et occupée jusqu’à peu par une école. Il a fallu percer des ouvertures entre les deux sites, mettre au même plan les niveaux et harmoniser les deux façades. L’entrée principale du musée a été déplacée sur la partie de l’ancienne école qui fait jonction avec le bâtiment historique. Le visiteur accède maintenant dans un hall d’accueil tout en longueur qui d’un côté donne sur l’ancien préau de l’école et de l’autre sur le patio intérieur du musée.
À l’angle opposé, les architectes ont construit une aile en hauteur, faite de parois vitrées modernes en rupture avec le style néo-classique. Cette extension a permis d’installer un monte-charge et d’offrir des lieux de repos ouverts sur l’extérieur pour les visiteurs. Retrouver les volumes initiaux et les éclairages naturels occultés par les rénovations des années 1970 dans le bâtiment historique a été une ligne directrice majeure pour les architectes. Et de ce point de vue, c’est plutôt réussi, la circulation entre tous les espaces est fluide et aérée, avec une impression de solidité apportée par la qualité des matériaux.
Ces travaux ont permis au musée de doubler sa surface pour atteindre 7 000 m² dont 2 500 m² pour le parcours permanent et 450 m² pour les expositions temporaires moins bien logées dans un hall qui sera difficile à aménager. Bureaux, réserves, salle de recherche ont été déplacés dans l’ancienne école, libérant tout l’espace du bâtiment de 1901 au profit de la collection permanente qui se déploie en partie autour du patio. Il n’est pas prévu d’aménager pour l’instant l’atrium afin de donner toute son ampleur à la mosaïque du début de siècle, réalisée par le même mosaïste que celui du Grand Palais de Paris et qui d’une certaine façon fait écho à l’immense fresque en triptyque qui occupe le haut de la façade nord (voir ill. p. 11). Celle-ci représente Léon Bonnat, déjà âgé, assis sur un banc surplombant les deux rivières qui traversent Bayonne, entouré de peintres de « l’école de Bayonne », avec un geste du bras symbolisant la donation des œuvres.

Car cet écrin modernisé est au service d’une collection au fond peu connue malgré les chefs-d’œuvre qu’elle contient. Elle repose d’abord sur les près de 3 000 œuvres données par Léon Bonnat aux musées nationaux – dans les faits Le Louvre – avec obligation de dépôt permanent au Musée de Bayonne. En raison de ce statut particulier, c’est donc le Louvre qui accorde ou non les prêts à d’autres musées. Un signe sur la qualité des œuvres : deux tableaux ont récemment été prêtés par le musée au MET de New York. Grâce à ses très confortables revenus tirés des commandes de portraits qu’il faisait payer très cher aux commanditaires, Léon Bonnat a pu acquérir de très nombreuses œuvres de maîtres anciens ou de sa génération précédente. On ne compte pas les Michel-Ange, Léonard de Vinci, Raphaël, Rembrandt, Rubens, Le Greco, Murillo, Simon Vouet, Goya, mais aussi Géricault et Ingres que le peintre a acquis.
Cet ensemble a été enrichi plus tard par des legs et donations d’Antonin Personnaz (1937), Jacques Petithory (1992) et de Paulette Howard-Johnston (1989 et 2011) fille du peintre Paul Helleu (1859, 1927). La donation Helleu, assortie d’une belle somme d’argent pour exposer la collection de l’artiste, stipulait que le musée devait aussi porter le nom du graveur, de sorte que le Musée des beaux-arts de Bayonne se trouve lesté d’un nom qui ne facilite pas son identification par le public. Malheureusement tous ces généreux donateurs, à commencer par Bonnat, n’avaient pas de sympathies particulières pour les « modernes », bornant chronologiquement le parcours permanent à l’art de la Belle Époque mais dans les faits à l’art académique du XIXe siècle. Un autre biais de la collection réside dans la quasi-absence des paysages XIXe et début XXe siècles et corrélativement une omniprésence de la figure humaine.
Malgré ces contraintes, mais grâce à la richesse de la collection, le directeur du Musée Barthélemy Etchegoyen-Glama a su bâtir un parcours chrono-thématique digne des meilleurs musées de beaux-arts et dont Pierre Rosenberg dit « qu’elle est la plus belle collection entre Paris et Madrid ». D’ailleurs, près de 300 chercheurs viennent chaque année au musée, étudier ce corpus ; le directeur espère qu’ils seront bien plus nombreux grâce à la nouvelle salle de recherche. La première salle, plus thématique que chronologique, permet de montrer la richesse de la collection à travers le thème du corps à toutes époques. Les 20 salles suivantes déroulent un fil temporel avec à chaque fois un sujet particulier : le pouvoir religieux puis civil pour le Moyen Âge et la Renaissance, les portraits du Siècle d’or hollandais avec plusieurs Rubens et Rembrandt, le XVIIe français avec un magnifique Simon Vouet, l’esquisse au XVIIIe, et bien sûr le XIXe sur-représenté par des focus sur Bonnat et Helleu.

Près de 1 000 œuvres sont ainsi exposées, dans un accrochage que le directeur a voulu fluide, aéré, qui laisse place à l’émotion. « Le “musée de l’émotion”, c’est un musée qui fait appel aux sens avant de faire appel à la raison. C’est un musée qui incite les regardeurs à se plonger dans les œuvres de manière immédiate », explique-t-il. « La Joconde » du musée qu’est la Baigneuse d’Ingres est ainsi montrée isolée sur un grand mur. La plupart des œuvres bénéficient d’un cartel pédagogique. Alors que dans de nombreux musées, les dessins sont exposés dans des salles à part, ceux de Bayonne sont présentés dans des vitrines insérées tout le long du parcours. Mais les visiteurs auront la possibilité, sur rendez-vous et avec un médiateur de consulter les chefs-d’œuvre graphiques dans un espace dédié. Aux deux tiers du parcours, une surprise attend les visiteurs : un immense mur présente dans un accrochage bord à bord typique des salons du XIXe, des dizaines d’œuvres de tout format qui se répondent dans un dialogue sémantique ou formel. Le spectateur peut apprécier cet ensemble au pied du mur ou dans une mezzanine à l’étage du dessus. Effet garanti, comme l’impression générale qui se dégage du parcours où chaque salle offre à voir des œuvres du niveau du Louvre ou du Musée des beaux-arts de Lyon, magnifiées par de très nombreuses restaurations.
CHANTIER. « Est-il maudit ? Quand va-t-il rouvrir ? » écrivait l’historien Adrien Goetz à propos du Musée Bonnat-Helleu en 2024 (Mes musées en liberté, Grasset). Symboliquement c’est le même élu, l’actuel maire Jean-René Etchegaray qui ordonna sa fermeture en 2011 à la suite de chutes de débris de la verrière au-dessus du patio, et qui a inauguré sa réouverture le 26 novembre. Mais pourquoi quatorze ans ? Le changement d’équipe municipale, en 2014, a fait repartir le projet à zéro avec un concours d’architecture en 2017. Plus tard, des fouilles archéologiques révélant la présence d’un ancien cimetière ont retardé le chantier d’un an. Puis est arrivé le Covid, puis la guerre en Ukraine qui a augmenté les coûts des matériaux… Entre-temps, il a fallu négocier avec les parents mécontents que l’école soit annexée au musée. Autant dire qu’une telle attente a épuisé plusieurs directeurs. Sophie Harent, directrice au moment de la fermeture est partie sept ans plus tard au Musée Magnin de Dijon, remplacée par Benjamin Couilleaux qui sera resté quatre ans jusqu’en 2022. L’intérim a été assuré par Sabine Cazenave, l’actuelle directrice du Musée basque, jusqu’à l’arrivée providentielle de Barthélemy Etchegoyen Glama, en février de cette année. L’ex-correspondant du Journal des Arts aux États-Unis a le CV idoine pour assurer l’ouverture du musée à la date promise, au prix d’une mobilisation considérable de toute l’équipe. Conseiller de Laurence des Cars au Louvre, il est aussi et surtout… basque qu’il parle couramment.
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Le Musée Bonnat-Helleu revient au premier plan
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°666 du 28 novembre 2025, avec le titre suivant : Le Musée Bonnat-Helleu revient au premier plan







