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Le Louvre patrimonialise les plaques de sa Chalcographie

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 19 février 2019 - 999 mots

PARIS

Le Musée du Louvre s’apprête à réintégrer dans ses collections les plaques anciennes de sa Chalcographie, auparavant exploitées par la RMN-GP. Un tournant dans l’histoire de cette institution singulière.

Israel Silvestre, <em>Le Château de Versailles vu du Parvis</em>, 1682, plaque : 38 x 50.4 cm, drap : 49 x 67 cm. Collection Chalcographie du Louvre, vol. 22
Israel Silvestre, Le Château de Versailles vu du Parvis, 1682, plaque : 38 x 50.4 cm, drap : 49 x 67 cm. Collection Chalcographie du Louvre, vol. 22
Photo Pharos

Paris. Dix derniers tirages issus de huit plaques gravées du XVIIe siècle : c’est l’ultime production qui sera commercialisée le 20 février à partir des plaques de cuivre datant d’avant 1849 au sein des collections de la Chalcographie du Louvre, gérée par la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (RMN-GP). Ces matrices, devenues « patrimoniales », rejoindront les réserves du Louvre à Liévin (Pas-de-Calais) après un récolement complet. Cette annonce a un impact à la fois sur le Musée du Louvre et la RMN-GP, en partie en raison de l’histoire de cette institution singulière, à cheval entre patrimoine et artisanat, musée et commerce.

La diffusion des images

Née le 12 avril 1797 sous le Directoire, la Chalcographie du Louvre a d’emblée pour mission la diffusion des images, à une époque où l’estampe est le seul moyen de communication de masse et où l’image devient éminemment politique. Trois collections forment alors le noyau initial de la Chalcographie : le Cabinet du roi, constitué de près de mille plaques et fondé par Colbert en 1667 pour illustrer la gloire de Louis XIV ; le fonds des Menus-Plaisirs qui diffusa l’image des grandes fêtes et des cérémonies versaillaises et royales au XVIIIe siècle ; et la collection de l’Académie royale de peinture et de sculpture (1648). Cette dernière interprétait les morceaux de réception de ses membres et comprenait aussi des planches gravées anciennes acquises durant la seconde moitié du XVIIIe siècle pour alimenter un fonds éditorial.

Dès sa création, la Chalcographie du Louvre présente un intérêt bien compris par les dirigeants du musée nouvellement créé : elle fait rentrer de l’argent dans les caisses grâce à une boutique installée dans le musée. « Cela explique l’importance de ces plaques et la raison pour laquelle elles ont été réunies et existent encore », souligne Jean-Gérald Castex, conservateur au département des Arts graphiques du Louvre. Les œuvres phares du musée sont l’objet de commandes d’interprétation auprès des meilleurs graveurs. Ainsi, La Belle Jardinière d’après Raphaël, commandée au graveur Boucher-Desnoyers en 1801, devient rapidement un best-seller. Au XIXe siècle, les quelque 900 planches gravées de la Description de l’Égypte commandée par Napoléon enrichissent le fonds et contribuent à l’essor de l’égyptomanie en France. En 1895, en raison de l’importance de l’activité commerciale de la Chalcographie, la gestion des recettes issues de la vente des estampes est confiée à la Réunion des musées nationaux, qui vient juste d’être créée. Depuis, la RMN édite, diffuse et commercialise les tirages issus des plaques de la Chalcographie du Louvre.

« Longtemps, les plaques ont été considérées comme des outils», explique Jean-Gérald Castex. Mais à l’orée du XXIe siècle, un tournant a été pris au sein des grandes chalcographies européennes (lire l’encadré) et dans le monde des musées en général. « Les plaques sont des œuvres à part entière, témoignage de l’art de la gravure », rappelle le conservateur du Louvre, chargé de la surveillance des quelque 14 000 plaques conservées dans les ateliers de la RMN-GP à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Ce changement de statut explique la décision du Louvre et son choix d’intégrer les plaques anciennes aux collections du Centre de conservation du Louvre à Liévin. La borne de 1848 a été choisie car « elle correspond aux limites chronologiques des collections du Musée du Louvre », indique Jean-Gérald Castex.

Concrètement, cela signifie que près de 5 000 plaques, soit un gros tiers des plaques conservées dans les ateliers, vont être « muséalisées » et sorties du circuit d’une potentielle diffusion commerciale, aux termes d’une convention signée en 2017 par les deux institutions. Toutes les plaques ne donnaient toutefois pas lieu à des tirages : « Certaines plaques n’ont pas été tirées depuis cinquante ou même cent ans », confirme Sophie Prieto, cheffe du département des Ateliers d’art de la RMN-GP.

Transmission des savoir-faire

Si le Musée du Louvre est préoccupé par la conservation des œuvres, la RMN réfléchit, elle, en termes de transmission des savoir-faire. La décision du Louvre affecte l’activité des taille-douciers de son atelier, imprimeurs et artisans d’art spécialistes de la gravure en taille-douce. Auparavant au nombre de huit, ils ne sont actuellement plus que deux en activité au sein des ateliers de Saint-Denis. « Il faudra sûrement repenser le mode de tirage à titre pédagogique et scientifique », observe Jean-Gérald Castex.

À l’occasion de l’exposition « Graver pour le roi. Collections historiques de la Chalcographie du Louvre » (du 21 février au 20 mai), les Ateliers de la RMN-GP ont obtenu l’autorisation de tirer une estampe en dix derniers exemplaires à partir de huit plaques gravées au XVIIIe siècle. À l’avenir, il faudra se tourner vers la collection de plaques modernes et contemporaines. Depuis les années 1990 et le projet du « Grand Louvre », le musée a renoué avec la commande de gravures aux artistes vivants : Louise Bourgeois, Georg Baselitz, Geneviève Asse, Pierre Alechinsky, ou encore JR en 2017.

Les autres grandes chalcographies européennes

 

Rome, Madrid, Bruxelles. Les collections de plaques gravées de la Chalcographie du Louvre rivalisent avec trois autres collections situées à Rome, Madrid et Bruxelles. À Rome, au sein de l’Istituto centrale per la grafica, la collection de matrices gravées trouve son origine dans l’achat en 1737 du fonds d’atelier du graveur romain Filippo de Rossi. L’institution a « muséalisé » ses collections de plaques, « offrant une base de connaissances fondamentales pour l’étude du geste chalcographique et des dynamiques de production et de diffusion de l’image imprimée ». À Madrid, la Calcografía Nacional, créée en 1789 pour asseoir la diffusion de l’imagerie royale, est aujourd’hui gérée par l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando. Ses collections les plus précieuses, à l’image des plaques gravées de Francisco de Goya, ne sont plus tirées. À Bruxelles, la benjamine des chalcographies européennes est abritée au sein de la Bibliothèque royale de Belgique. Elle compte 5 000 plaques et n’a pour l’instant pas muséalisé ses fonds anciens, alliant conservation et diffusion dans ses missions premières.

 

Francine Guillou

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°517 du 15 février 2019, avec le titre suivant : Le Louvre patrimonialise Les plaques de sa Chalcographie

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