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ENTRETIEN

Laurence des Cars veut limiter le nombre d'entrées au Louvre

Laurence des Cars, présidente-directrice du Louvre: « Je plaide pour une fréquentation maîtrisée »

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2023 - 2313 mots

PARIS

Le Louvre veut limiter le nombre d’entrées bien en dessous des 10 millions de visiteurs reçus en 2018. C’est l’une des nombreuses annonces de cet entretien exclusif.

Laurence des Cars. © Nicolas Guiraud / Musée du Louvre
Laurence des Cars.
© Nicolas Guiraud / Musée du Louvre

Arrivée il y a un peu plus d’un an à la présidence de l’établissement public du Louvre, succédant à Jean-Luc Martinez, Laurence des Cars commence à mettre à œuvre sa feuille de route qu’elle explique en exclusivité au Journal des Arts. À 56 ans, la conservatrice du patrimoine a gravi tous les échelons depuis son premier poste au Musée d’Orsay en 1994. Elle a été la directrice scientifique de l’Agence France-Muséums de 2007 à 2014 avant de prendre la direction du Musée de l’Orangerie (2014-2017) puis celle du Musée d’Orsay.

Comment se porte la fréquentation du Louvre au sortir du Covid-19 ?

Le public est revenu. En 2022, le Musée du Louvre aura accueilli au total environ 7,8 millions de visiteurs avec des moyennes de 25 000 personnes par jour début décembre et 30 000 pendant les fêtes.

C’est très en dessous du record de 10 millions en 2018 !

Pour tout dire, je ne cours pas après les records, surtout quand il s’agit d’hyper-fréquentation. C’est un sujet auquel j’ai longuement réfléchi et sur lequel j’ai beaucoup échangé en interne depuis mon arrivée. Ce nombre de 10 millions de visiteurs pose une vraie question sur le confort de visite, et c’est en outre une situation mal vécue par nos équipes avec des moments de tension et d’inquiétudes pour la sécurité des visiteurs et des œuvres. J’ai donc décidé, en accord avec la tutelle, d’instaurer une jauge de 30 000 billets journaliers, alors que nous dépassions parfois les 45 000. Il est difficile d’offrir un bon confort de visite quand on dépasse cette jauge de 30 000 visiteurs. Pour moi, fondamentalement, le temps passé au musée doit être un temps de plaisir. Plaisir de la découverte ou de la redécouverte, plaisir de l’étonnement, plaisir de la compréhension, plaisir du partage… Pour atteindre cet objectif, il faut sans doute dépassionner la question des chiffres. La mise en place de cette jauge nous amène à une fréquentation annuelle entre 7,5 et 8 millions d’entrées. C’est une petite révolution, je suis la première présidente du Louvre à plaider pour une fréquentation maîtrisée qui, par ailleurs, ne doit pas être la seule mesure du succès. Il faut sortir de la culture du chiffre et retrouver un point d’équilibre pour favoriser la rencontre entre le public et les collections au Louvre.

Comment allez-vous limiter la fréquentation ?

Une des rares bonnes conséquences du Covid-19, s’il en est, c’est que les visiteurs ont pris l’habitude de réserver sur Internet, cela concerne près de 80 % des visites. Cela nous permet de lisser les flux de visiteurs et d’assurer un accès immédiat à ceux qui ont pré-réservé, tout en conservant la possibilité à un certain nombre de nos visiteurs de venir sans réservation. Les retours sont positifs.

Une solution à l’hyper-fréquentation ne passe-t-elle par une augmentation des plages horaires comme s’y était engagé votre prédécesseur ?

Oui bien sûr, et le succès des nocturnes du vendredi soir – 8 500 visiteurs accueillis en moyenne chaque soir de novembre – nous y encourage. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé d’engager une réflexion sur une ouverture tous les jours de la semaine jusqu’à 19 heures (sauf le vendredi qui garde sa nocturne), tout en conservant le même taux d’ouverture de salles. Cela modifierait en profondeur les habitudes de visite en fin de journée. Le public pourrait, par exemple, visiter les salles puis poursuivre sa soirée au musée s’il le désire, en allant à l’auditorium Michel-Laclotte pour assister à une conférence ou un concert. Ce sujet doit être discuté avec le ministère de la Culture et les organisations représentatives du personnel. Il demande des moyens et nous avons obtenu du ministère, que je remercie de son soutien, la faculté de faire quatre-vingt-dix recrutements d’agents en 2023 pour faire face aux départs en retraite et pour réussir cette évolution des horaires.

Je voudrais aussi assurer un rééquilibrage entre le public parisien et nos visiteurs étrangers. Au moment du Covid-19, les Français étaient majoritaires et la tendance s’est de nouveau inversée avec 70 % de visiteurs étrangers. Pour réussir le pari de la proximité, je veux changer la perception des Parisiens et des Franciliens qui pensent que le Louvre est un musée pour les touristes et donc n’est pas fait pour eux. Je veux qu’ils reviennent prendre du plaisir au Louvre, et plusieurs fois même, car le Louvre ça se « grignote » par petits bouts. Fort heureusement, cela commence à changer, le système de réservation, la nocturne, la programmation font que les Parisiens reviennent progressivement.

N’y a-t-il pas un goulet d’étranglement au niveau de l’accueil ?

Tout à fait, et cela a des conséquences sur les flux : congestion sous la pyramide, concentration dans l’aile Denon, long périple pour accéder à certains départements… Je veux casser le dogme de l’entrée unique sous la pyramide qui était adapté à une fréquentation de 4 millions de visiteurs – c’était avant la chute du mur de Berlin, avant l’ouverture de la Chine –, mais pas à 8 millions… Dogme qui est d’ailleurs remis en cause depuis longtemps puisqu’il y a aujourd’hui trois entrées ; mais il en manque une, à l’est, et c’est cela que nous sommes en train d’étudier. C’est d’autant plus justifié que le quartier s’est considérablement transformé avec notamment la Samaritaine, la Pinault Collection, la future fondation Cartier. Je souhaite faire respirer différemment le Louvre.

Quel est l’impact financier du nouvel objectif de fréquentation ?

Nous avons bâti notre budget sur des recettes de billetterie égales à celles de cette année, en sachant que 40 % de nos visiteurs entrent gratuitement au Louvre. La dotation de l’État passe de 84 millions en 2022 à 93 millions en 2023, ce qui nous permettra de faire face à l’augmentation du prix de l’énergie qui nous touche à hauteur de 10 millions d’euros cette année. Je voudrais en profiter pour saluer le soutien des pouvoirs publics qui nous ont apporté 120 millions d’euros en plus depuis 2020 pour traverser la crise du Covid-19.

Sachant que dans le même temps vous allez fermer le hall Napoléon où se déroulent les expositions temporaires…

Ces travaux étaient devenus indispensables, le hall Napoléon n’est pas facile. J’ai pris contact dès mon arrivée avec Chien Chung Pei, fils de Ieoh Ming Pei, et architecte lui-même, amoureux de la France, qui détient les droits sur les aménagements sous la pyramide, afin de lui exposer notre problème. Il m’a expliqué que ce problème était assez logique puisque son père avait dessiné ce hall pour quatre petites expositions desservies par la grande rotonde alors qu’à l’époque, les grandes expositions se faisaient au Grand Palais. Les cloisons entre ces quatre espaces ont très vite été enlevées. On va donc aménager la rotonde pour l’utiliser comme un espace d’exposition, ce qui va améliorer la situation. Les travaux vont démarrer fin janvier et se terminer à l’automne 2024.

Donc pas de grandes expositions au Louvre en 2023 et au moment des Jeux olympiques ?

En tout cas, pas dans le hall Napoléon. C’est la raison pour laquelle nous accueillons pendant six mois soixante chefs-d’œuvre du Musée de Capodimonte dans la Grande Galerie qui bénéficiera d’un nouvel accrochage pour l’occasion. Là aussi, c’est une façon d’inviter les Parisiens et les Franciliens à revenir au Louvre, à le parcourir différemment, pour redécouvrir nos collections permanentes. C’est ce que nous avons réussi à faire avec le remarquable spectacle de danse d’Anne Teresa De Keersmaeker qui s’est tenu en novembre et décembre au cœur de l’aile Denon. C’est aussi le sens du nouvel élan de l’auditorium Michel-Laclotte avec une programmation formidable. Le Louvre est le lieu de tous les arts, permettant de croiser le public des musées et celui du théâtre ou de la danse. Et tout cela avec une forte adhésion des agents d’accueil et de surveillance qui reprennent confiance dans l’institution.

Nous allons aussi faire prochainement des annonces concernant l’accueil des scolaires, qui n’est pas au niveau de ce que doit être la première visite au Louvre, un moment fondateur et intime pour beaucoup de gens.

Justement, pourquoi avoir fermé la Petite Galerie ?

Parce que ce format ne fonctionnait pas bien contrairement aux ateliers pédagogiques adjacents. Je ne crois pas aux espaces d’exposition consacrés strictement aux enfants. Il n’y a pas le Louvre des grands et le Louvre des petits. Il y a un Louvre pour les familles, pour partager ensemble le plaisir de la découverte, pour admirer les mêmes œuvres mais avec des regards et des approches différentes. C’est pourquoi je souhaite systématiser les « parcours familles » pour les expositions, constitués d’un livret et de cartels adaptés aux enfants. La Petite Galerie, renommée Galerie Richelieu, est donc redevenue un lieu d’exposition classique où se tient actuellement l’exposition sur l’Ouzbékistan et où se tiendra en 2023 une exposition sur les « Trésors de Notre-Dame ».

Vous plaidez pour le retour des Parisiens, mais dans le même temps vous semblez très attachée à ne pas réduire le Louvre à Paris ?

Le Louvre est presque partout. C’est un établissement certes parisien, mais qui a une vocation nationale et bien sûr internationale. Savez-vous que le Louvre a autant d’œuvres déposées en régions (35 000) que d’œuvres exposées dans ses murs ? À commencer par le Louvre-Lens, deuxième concentration d’œuvres après l’établissement parisien. Il n’est pas assez mis en avant à mon goût, notamment dans la presse nationale, malgré sa formidable réussite.

Je souhaite aussi que le rôle des grands départements patrimoniaux soit mieux connu. Sur seize grands départements patrimoniaux fixés par décret, le Louvre en abrite neuf. À la demande de l’État, ils remplissent des missions d’expertise, de recherche et de conseil dans le domaine de l’histoire de l’art et de la conservation des œuvres auprès des musées régionaux. C’est le socle sur lequel nous construisons notre politique territoriale, en soutien à nos collègues en régions et aux élus.

Vous venez de signer un partenariat avec le Musée d’Ornans (Doubs) et celui de Dijon, quelle direction voulez-vous donner à la politique territoriale du Louvre ?

Je veux lui donner plus de lisibilité, à commencer par de la lisibilité à l’intérieur du Louvre. Le grand défaut de notre belle maison, c’est que tout le monde fait des choses formidables, mais travaille en silo sans se parler. Je souhaite rendre visible notre politique territoriale pour qu’il y ait davantage de synergies internes et, accessoirement, mieux en rendre compte à nos tutelles. C’est aussi se donner la possibilité d’imaginer de nouvelles initiatives, à l’instar des expositions sur les arts de l’islam dans dix-huit villes de France qui ont servi de laboratoire et qui ont rencontré un formidable succès. Nous réfléchissons à une manifestation similaire, à l’occasion de la création du neuvième département consacré aux arts de Byzance et des chrétientés en Orient. C’est aussi une façon pour le Louvre de sortir de la caricature dans laquelle il est parfois enfermé : être uniquement un musée de chefs-d’œuvre de la Grèce antique et de la Renaissance italienne.

Une lisibilité aussi et surtout à l’extérieur, en nous focalisant sur quelques villes où nous pensons que notre contribution peut véritablement aider nos collègues et soutenir des élus particulièrement investis pour la culture. Nous avons des projets en cours avec Brest, nous avons signé des partenariats avec Rennes, avec Le Mans, ainsi qu’à Ornans et Dijon que vous venez de citer. Au-delà, on regarde les angles morts en particulier vers l’ouest et le sud-ouest avec, en discussion, un projet à Castres ou encore vers l’Outre-mer.

Pourquoi revenir sur la couleur de la peinture de la salle des Étrusques avec le plafond peint par Cy Twombly ?

Il y avait un contentieux et j’avais très clairement dit au président de la République que le Louvre ne pouvait pas être en conflit avec la succession d’un grand artiste au moment où le lieu veut s’ouvrir à toutes les créations. La salle est maintenant intégralement repeinte et les vitrines sont en train d’être refaites pour une réouverture définitive à la fin du printemps prochain. Les ayants droit de Cy Twombly ont bien compris notre objectif : refaire du Louvre la maison des artistes et nous avons travaillé ensemble.

Quel est votre style de management ?

Je délègue beaucoup car j’ai confiance dans mon équipe qui est très professionnelle et j’aime travailler en équipe. Je sais prendre des décisions rapidement ou à l’inverse ralentir, prendre le temps d’écouter quand c’est nécessaire. Je parle énormément avec les conservateurs car j’ai beaucoup de choses à apprendre sur le Louvre. J’apporte mon expérience et une forme de regard extérieur, même si j’ai été amenée à travailler sur le projet du Louvre Abu Dhabi, un des projets les plus complexes et les plus ambitieux. Je crois pouvoir dire que les conservateurs sont très fiers du Louvre Abu Dhabi et du Louvre-Lens, et même satisfaits de la qualité des installations à Liévin.

Je souhaite aussi avoir une organisation plus claire, plus lisible. Nous avons scindé en trois la grande direction de la Médiation et de la Programmation en une direction des Expositions et des Éditions, une direction des Ateliers d’art et de la Présentation des collections (une équipe très importante de cent dix doreurs, encadreurs, marbriers, tapissiers, installateurs, menuisiers, ébénistes, électriciens…) et une direction du Développement des publics qui va elle-même rassembler d’autres équipes. Dominique de Font-Réaulx va rejoindre la présidence.

Vous avez accompagné le président Emmanuel Macron lors de sa visite d’État aux États-Unis, qu’en retirez-vous ?

La confirmation que le Louvre est une chambre d’écho internationale dont je n’avais pas soupçonné l’ampleur avant d’y être. Les sollicitations, sujets, projets sont innombrables. Il n’y a pas une action à l’étranger qui ne soit pas partagée avec le Quai d’Orsay et la rue de Valois. Cela tombe bien car je suis très curieuse et passionnée par la géopolitique.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°602 du 6 janvier 2023, avec le titre suivant : Laurence des Cars, présidente-directrice du Louvre : « Je plaide pour une fréquentation maitrisée »

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