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La Saline royale d’Arc-et-Senans pimente son offre culturelle

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 22 avril 2022 - 981 mots

ARC-ET-SENANS

« Cercle immense », nouvelle salle de spectacle, muséographie repensée autour du numérique : l’ancienne saline inscrite sur la Liste du patrimoine mondial étoffe ses propositions.

Vue aérienne de la Saline royale d'Arc-et-Senans et du Cercle immense en cours d'aménagement. © Yoan Jeudy / Sosuite photographie, mai 2021
Vue aérienne de la Saline royale d'Arc-et-Senans et du Cercle immense en cours d'aménagement.
© Yoan Jeudy / Sosuite photographie, mai 2021

Arc-et-Senans (Doubs). Difficile de croire que la Saline royale d’Arc-et-Senans était encore endormie sous la végétation il y a une soixantaine d’années. Ce printemps, profitant du relâchement des mesures sanitaires, le bien inscrit à l’Unesco depuis 1982 multiplie les inaugurations, activités et projets. Sont au programme en 2022 quatre nouveaux outils de médiation numérique, des sculptures grandeur nature de l’artiste allemand Robert Schad, une salle de spectacle, et surtout un « Cercle immense » qui donne enfin vie au projet de l’architecte Claude Nicolas Ledoux. L’établissement public de coopération culturelle (EPCC) qui gère le lieu (réunissant État, Région Bourgogne-Franche-Comté et Département du Doubs) a mis à profit les fonds structurels de la Commission européenne pour redéployer son offre culturelle.

Édifiée entre 1775 et 1779 pour intensifier l’exploitation des sources saumâtres de la région, dont l’eau est transformée en sel par évaporation, la saline d’Arc-et-Senans fut le premier site industriel à intégrer la Liste du patrimoine mondial, ceci en dépit de ses airs de complexe palatial. « Ledoux ne voulait absolument pas que ça ressemble à une usine, explique Hubert Tassy, directeur des lieux. Il a tellement bien réussi son coup que c’est assez compliqué aujourd’hui de deviner à première vue quelle était la destination de ces bâtiments ! » Architecte théoricien dont l’œuvre est en pierre autant qu’en papier (beaucoup sont restées à l’état de projet), Ledoux avait imaginé autour de la saline une ville idéale, en commençant par fermer le demi-cercle de l’édifice grâce à une « forme aussi pure que celle du Soleil dans sa course ».

Achever le dessein / dessin de Ledoux

Début juin sera inauguré le « Cercle immense » qui réalise le rêve de Ledoux sous la forme d’un demi-cercle paysager. L’Agence Mayot & Toussaint a fait appel pour ce chantier unique à Gilles Clément. Le paysagiste star est sorti de la retraite qu’il s’était promise pour se joindre à la réalisation de ce jardin à vocation pédagogique et expérimentale. « Notre monde est en grande transformation et nous, paysagistes, que faisons-nous avec ce métier-là ? Comment envisager l’avenir ? », interroge Denis Duquet, responsable des jardins de la Saline, pour présenter ce chantier. Si le nouveau cercle intègre deux jardins permanents à ses extrémités (un jardin de l’arc jurassien et un labyrinthe), la majorité de sa surface sera destinée à accueillir des étudiants en paysagisme, qui pourront y mener des projets grandeur nature.

Avec un budget de 3 millions d’euros (financé principalement par le programme « Leader » de la Commission européenne et le plan d’accélération d’investissement de la Région), le chantier paysager et patrimonial a été mené rapidement depuis l’appel à projets lancé en 2019. Modifiant la physionomie d’un site « Unesco », ce qui aurait pu être considéré comme une atteinte à la valeur universelle exceptionnelle du bien, le Cercle immense a pu être autorisé grâce à la phrase conclusive du dossier de candidature de 1982, qui ouvrait sur la possibilité d’achever le dessin de Ledoux. « Sans cette phrase-là, ça aurait été très compliqué !, assure Denis Duquet. Nous nous sommes appuyés dessus pour faire passer ce projet. »

Nature, architecture, musique, tels sont les trois domaines d’investissements de l’EPCC. Pour le premier, le demi-cercle paysager vient conforter une orientation qui se traduit depuis 2001 par un Festival des jardins, là aussi axé sur la transmission et la pédagogie. Le volet musique classique est également bien installé, avec des concerts et master class qui rythment l’année, attirant en résidence des pointures comme le chef d’orchestre catalan Jordi Savall. La Saline se dote parallèlement d’un équipement en transformant une des bernes – les bâtiments de production entourant la maison centrale du directeur – en une salle de concert de 600 places, qui abritera dans ses combles un studio d’enregistrement.

Le patrimoine et l’architecture sont quant à eux valorisés par un arsenal de dispositifs numériques que les visiteurs peuvent utiliser depuis mars. « Au départ, il y a le constat que nos audioguides sont très obsolètes, depuis une dizaine d’années, et plus du tout en accord avec nos orientations », explique Mathilde Sallez, responsable des projets européens. Le programme européen Feder, dont l’un des axes principaux est l’innovation numérique, favorise cette médiation multimédia.

Une médiation numérique sophistiquée et poussée

Plutôt que de mener à une ludification de la visite de la Saline, ces différents projets poussent un peu plus loin l’exigence scientifique du parcours, composé de deux musées (le Musée Ledoux et un parcours Histoires de sel) et d’un excursus sur le patrimoine mondial. Ainsi, la visite augmentée – grâce à une tablette que propose la société Histovery – permet de reconstituer la disposition des lieux et la vie de la saline durant son exploitation à la fin du XVIIIe siècle, et de contextualiser les pièces présentées dans les musées. Mais « ce n’est pas un jeu vidéo !, souligne André de Sá Moreira, chef de projet chez Histovery. Ce que l’on souhaite apporter au visiteur, c’est une vérité scientifique, aussi proche que possible de la réalité. »

Une grande table tactile dans le Musée Ledoux présente là encore un contenu exigeant, avec l’œuvre littéraire et graphique de l’architecte numérisée dans une très haute définition, contenu enrichi par le travail de chercheurs de l’université Paris-Nanterre sur les écrits de Ledoux. Dans l’un des berniers – bâtiments où étaient logés les ouvriers des bernes –, l’outil numérique rencontre l’artisanat de haute spécialité franc-comtois dans une salle consacrée à l’histoire récente de la saline, de sa fermeture en 1890 à aujourd’hui. La Saline profite d’un mécénat de compétences en la personne de Philippe Lebru, horloger d’art à Besançon, qui a conçu une douzaine de machines mêlant mécanismes horlogers et écrans numériques pour raconter chaque épisode de la renaissance de la manufacture. La médiation numérique sert ici de prétexte à développer une installation plus artistique que didactique, qui valorise les savoir-faire locaux.

Saline royale,
Grande-Rue, 25610 Arc-et-Senans.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°587 du 15 avril 2022, avec le titre suivant : La Saline royale d’Arc-et-Senans pimente son offre culturelle

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