Ukraine

La difficile estimation des destructions patrimoniales en Ukraine

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 1 mars 2024 - 637 mots

UKRAINE

Les chiffres publiés par l’Unesco mettent en lumière les difficultés à évaluer les dommages et l’efficacité des actions sur le terrain depuis deux ans.

Ukraine. Comment évaluer les destructions d’un secteur économique lors un conflit armé ? Cette question sous-tend les activités de l’Unesco en Ukraine depuis 2022, depuis que l’organisation internationale a ouvert un bureau à Kiev, sous la direction de Chiara Dezzi Bardeschi. Une de ses principales activités a été de chiffrer les dommages du secteur culturel, et de contribuer à évaluer les besoins en vue de sa reconstruction. Témoignages à l’appui, le bureau de Kiev a recensé les destructions de sites patrimoniaux, de bâtiments historiques, de musées, d’œuvres d’art et de monuments publics. L’Unesco estime les dégâts à « 3,5 milliards de dollars en date de février 2024 » [3,2 Md€]. Les sites patrimoniaux représentent l’essentiel des dommages, pour environ 2,4 milliards de dollars. À ce chiffre s’ajoutent « 19,6 milliards de pertes économiques » du secteur culturel et touristique, puisque les musées, les théâtres, les festivals et le secteur hôtelier fonctionnent au ralenti et qu’il n’y a plus de touristes étrangers : la capitale Kiev aurait perdu 10 milliards de dollars de revenus depuis 2022 selon cette estimation.

La méthode d’évaluation en question

L’Unesco fournit cependant d’autres chiffres, qui brouillent la compréhension de la situation. En effet, elle annonce que la reconstruction de la culture en Ukraine nécessiterait « 9 milliards de dollars sur dix ans », alors que Chiara Dezzi Bardeschi estime à « 180 millions de dollars en 2024, les besoins prioritaires du secteur culturel ». Ces besoins couvrent la réparation et le nettoyage des sites, la documentation des dégâts et la protection des collections muséales ou des archives. Il n’est pas question de « reconstruction » pour autant, selon l’Unesco.

Il y a donc plusieurs temporalités qui se juxtaposent, ce qui suscite des interrogations sur la pertinence de la méthode utilisée. La directrice Culture et Situations d’urgence à l’Unesco, Krista Pikkat, précise que la méthode d’évaluation a été élaborée « avec les autres agences des Nations Unies et la Banque mondiale », ajoutant que « c’est la première fois que l’Unesco intervient dans un conflit en cours ». L’Unesco est effectivement intervenue avec cette méthodologie en Irak et au Mali, après les combats, notamment pour la reconstruction de Mossoul à partir de 2018.

Si l’Ukraine constitue « un cas spécial » selon Chiara Dezzi Bardeschi, cela n’explique pas, par ailleurs, l’écart entre les montants avancés et ceux versés jusqu’à présent : l’Unesco annonce « 66 millions de dollars » d’aides à l’Ukraine depuis 2022 (le Japon est le principal contributeur), mais le secteur culturel n’a reçu que 15 millions. Le reste est allé à l’éducation et à la protection des journalistes, deux autres secteurs pour lesquels l’Unesco a un mandat.

Les chiffres du ministère de la Culture ukrainien révèlent que le secteur du patrimoine et de la culture a des besoins conséquents puisque les bombardements et les pillages ont affecté des milliers de sites, notamment dans la région de Kharkiv. La base de données du ministère recense près de 5 000 atteintes au patrimoine depuis février 2022, alors que l’Unesco n’a pu confirmer les dégâts que sur 341 sites jusqu’à présent. Krista Pikkat explique que « les dommages sont évalués grâce au Centre satellite des Nations Unies » et que cela prend du temps : il faut confirmer l’ampleur des destructions, leur profondeur, les traces de pillages ou d’incendie, sans avoir la possibilité de se rendre sur place. Aucun montant pour la remise en état de ces sites n’a été communiqué.

Face à des besoins immenses, les actions menées jusqu’à présent semblent limitées, comme la formation du personnel des musées sur laquelle insiste Krista Pikkat, ou des résidences d’artistes qu’annonce Chiara Dezzi Bardeschi. Alors que la guerre entre dans sa troisième année, la question de l’efficacité des organisations internationales en Ukraine risque de se poser rapidement dans le secteur culturel.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°628 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : La difficile estimation des destructions patrimoniales en Ukraine

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque