Street art - Droit

De la rue aux tribunaux

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 30 septembre 2014 - 1258 mots

L’art apposé sans autorisation dans l’espace urbain emporte de multiples conflits entre l’artiste, la puissance publique, le propriétaire du support et les tiers utilisant ces œuvres aux fins de promotion ou spéculation.

De la rue aux cimaises, du poste de police aux salles des ventes, le street art n’est nullement oublié par le droit. Au contraire, sa spécificité est accueillie, voire consacrée. Le tribunal de grande instance de Paris le définissait même, le 15 mars 2013, comme « le mouvement artistique (…) qui, depuis les années 1960, vise à s’approprier la ville en recourant à des techniques variées ». En effet, ce mouvement est marqué par une pratique protéiforme aboutissant parfois à substituer au mur la toile afin d’insérer plus aisément une œuvre dans le circuit du marché de l’art. À cet égard, la véritable spécificité juridique du street art s’exprime avant tout à l’occasion de la réalisation d’une œuvre
sur un support appartenant à autrui et sans le consentement de ce dernier.

RATP contre M.Chat
Cette première source de conflit a permis à la cour d’appel de Paris, le 27 septembre 2006, de retenir le caractère éphémère de ces œuvres,  la cour rejetant la demande de la SCNF visant à interdire la publication d’un ouvrage reproduisant des photographies de trains tagués, notamment en raison du caractère accessoire de la reproduction des wagons. Au-delà de la représentation de l’œuvre, l’apposition même peut être poursuivie. La très récente procédure initiée par la RATP à l’encontre de Thoma Vuille, alias M. Chat, visant à obtenir le paiement de 1 800 euros en réparation de la « dégradation » de la station de métro Châtelet, actuellement en rénovation, en raison de l’apposition de plusieurs réalisations non autorisées, en donne une parfaite illustration. Convoqué à comparaître le 29 octobre prochain, l’artiste devra donc répondre de l’infraction visée à l’article 322-1 du code pénal. Ce dernier, composé de deux alinéas, prévoit une gradation en fonction de l’intensité du dommage. Ainsi, « la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, sauf s’il n’en est résulté qu’un dommage léger ». Au contraire, « le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, (…) est puni de 3 750 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général lorsqu’il n’en est résulté qu’un dommage léger ». Mais la gradation s’avère délicate à cerner. L’utilisation d’une peinture à caractère indélébile, ou encore l’impossibilité d’enlever aisément les inscriptions sans porter atteinte au bien, pourrait emporter dégradation du support sur lequel est réalisée l’œuvre, tandis que la même œuvre réalisée avec d’autres techniques n’emporterait qu’une contravention fondée sur le second alinéa. Les réalisations de M. Chat, opérées avant la pose du carrelage blanc définitif, ne peuvent ainsi être poursuivies qu’au regard du deuxième alinéa. Miss. Tic, condamnée en 1999, a fait depuis évoluer son travail, n’intervenant désormais qu’après autorisation des propriétaires des murs accueillant ses œuvres.

Des œuvres récupérées et patrimonialisées
À l’inverse, certains propriétaires se saisissent des œuvres réalisées sur leur propriété afin de les déposer et de les vendre. La vente de Slave Labor de Banksy, déposée d’un mur londonien pour être vendue aux enchères à Miami, avait fait grand bruit. Juridiquement, le pochoir appartenait au seul propriétaire du mur. L’artiste anonyme aurait néanmoins pu faire valoir une atteinte à ses droits d’auteur, mais ici ces derniers s’avèrent paralysés du fait de l’absence d’autorisation préalable. C’est pourquoi, depuis 2008, l’artiste laisse le soin à l’organisation Pest Control d’authentifier ses sérigraphies numérotées et signées, les œuvres réalisées dans la rue ne bénéficiant d’aucune authentification. Or, les grandes maisons de vente exigent encore l’obtention d’un tel certificat pour la dispersion de ses œuvres. La notion même de « dégradation » perd alors tout sens au regard de la cote atteinte par certaines œuvres, celles-ci bénéficiant même d’une protection renforcée. Ainsi, depuis quelques années, un petit cercle d’artistes voit ses œuvres protégées par des plaques en plexiglas ou même restaurées. Un phénomène de patrimonialisation s’opère. D’autres artistes ont trouvé une parade à la récupération de leurs œuvres en travaillant uniquement sur des murs mitoyens ou en utilisant des matériaux rendant la dépose techniquement très délicate.

Une œuvre de l’esprit protégée
Les œuvres de street art, réalisées dans l’espace urbain, de manière illégale ou non, offrent à leur auteur les mêmes prérogatives pour venir défendre en justice leurs droits, dès lors que la condition d’originalité est remplie. À cet égard, le tribunal de grande instance de Paris reconnaissait, le 14 novembre 2007, qu’en raison de leur connaissance de l’œuvre de Space Invader et de sa relative notoriété, l’agence Saguez et Partners avait « profité indûment de la renommée de l’artiste auprès d’un public au fait de l’art urbain contemporain, sans obtenir l’autorisation de celui-ci » en proposant à la société Les Automobiles Peugeot « comme décor de l’exposition des formes inspirées du jeu Atari découpées dans du plexiglas, en les installant notamment dans la vitrine du showroom » sur les Champs-Élysées. À défaut de reconnaître l’originalité des Invaders, le tribunal retenait néanmoins l’existence d’un comportement parasitaire au détriment de l’artiste. Dénonçant une nouvelle atteinte à ses droits, en raison de la commercialisation de pull-overs reproduisant ou imitant certaines de ses figurines, l’artiste obtint gain de cause devant le tribunal de grande instance de Paris, qui, le 9 avril 2008 retenait expressément l’originalité de quatre figurines et la contrefaçon de trois d’entre elles. Une fois encore, le tribunal énonçait que « certains aspects de l’œuvre de M. S. sont protégeables par le droit d’auteur. Il en est ainsi de la transposition sous forme de carreaux » avant d’examiner en détail chacune des figurines pour en retenir ou non l’originalité. Par ailleurs, le contrefacteur soutenait que l’artiste « ne justifierait pas être l’auteur des quatre figurines, objet du litige, au motif qu’il revendiquerait le caractère viral de sa démarche et le fait qu’il revendique un travail en équipe et que le concept même à l’origine duquel il prétend être, repose sur la contribution d’un public nombreux et anonyme à l’invasion ». Toutefois, les quatre figurines arguées de contrefaçon figuraient au sein d’un ouvrage de Space Invader recensant l’ensemble de ses réalisations. En conséquence, le tribunal fit application de l’article L. 113-1 du code de propriété intellectuelle disposant que « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’ouvrage est divulgué ». Enfin, une transaction entre l’artiste et un fabricant de maroquinerie intervenait le 17 septembre 2010, en raison d’une utilisation non autorisée de ses œuvres. La défense des droits nés d’une œuvre de l’esprit n’est nullement amoindrie par l’absence d’autorisation de son apposition dans l’espace urbain. Et la saisine de la justice par les street artistes s’opère tant en France qu’à l’étranger. En juillet dernier, le graffeur David Anasagasti, alias Ahol Sniffs Glue, poursuivait la marque American Eagle Outfitters devant la cour fédérale de New York pour avoir utilisé l’une de ses fresques sans son autorisation. De même, une assignation était délivrée au réalisateur Terry Gilliam, le 12 août dernier, pour avoir fait figurer dans son dernier film The Zero Theorem, une fresque murale, sans l’accord de ses trois auteurs. Enfin, la reproduction de ces œuvres s’avère soumise à autorisation et au versement des droits corrélatifs, l’anonymat ou la réalisation collective perturbant parfois ce mécanisme. L’œuvre de street art est donc une œuvre de l’esprit comme une autre, seules  les prérogatives liées à son support revêtent une réelle spécificité, au détriment de l’artiste.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°420 du 3 octobre 2014, avec le titre suivant : De la rue aux tribunaux

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