À la présidence de l’ordre des architectes, Christine Leconte défend la réhabilitation comme une priorité de l’architecture. Elle en détaille les enjeux patrimoniaux, tout en déplorant l’absence de ligne politique claire sur le sujet en France.
Depuis son élection en juin 2021, Christine Leconte occupe le terrain médiatique pour promouvoir une nouvelle vision du métier d’architecte. Présidente de l’Ordre des architectes d’Ile-de France, puis du conseil national, l’architecte formée à l’école de Versailles considère que 80 % de la ville de 2050 est déjà là, et que sa profession doit la réhabiliter plutôt que la construire. Une conception patrimoniale de l’architecture, qu’elle nous présente dans ses bureaux de la tour Montparnasse.
Compte tenu des crises, notre discours ici est de dire que tout est héritage, ou patrimoine. Composer avec l’existant devient une priorité absolue pour les architectes. Nous avons le devoir de faire avec la matière, et le patrimoine devient à la fois culturel, et environnemental. Culturel, pour l’approche sociale, l’histoire, ce qu’il représente du témoignage d’une époque. Et environnemental, parce que le patrimoine est le premier allié de cette question : il permet de consommer moins de matière, dans un monde où cette dernière est de plus en plus énergivore ; de moins émettre de gaz à effet de serre ; d’artificialiser moins de terrain, dans un pays où on a pour objectif le « zéro artificialisation nette ». Réhabiliter, c’est utiliser 70 fois moins de matériaux et émettre cinq fois moins de gaz à effet de serre.
Tout cela a un impact dans nos pratiques quotidiennes, parce que l’on ne construit pas du tout pareil quand on a un terrain vierge pour faire du neuf ou quand on se retrouve devant un bâtiment à réhabiliter. Nous avons tout un éventail de portes d’entrée sur l’architecture qui se rouvrent : réhabiliter, ce n’est pas seulement refaire à l’identique. Cela peut vouloir dire augmenter, surélever, épaissir, restructurer l’intérieur, retravailler une façade. L’idée n’est pas de dire « on arrête le neuf », mais l’attention doit nécessairement se porter sur les 80 % du bâti existant qui composent déjà la ville de 2050 !
Nous sommes aussi dans un moment de frictions sociales fortes, et savoir dans quelle ville on vit, ce que veulent dire nos villes, et quel est l’héritage que l’on laisse pour qu’elles soient durables sont des questions qui deviennent primordiales. C’est là tout l’intérêt d’une politique patrimoniale forte, elle apporte une forme de spatialisation démocratique : de beaux espaces publics, une qualité de bâti pour tous et pas uniquement pour ceux qui peuvent se le permettre. C’est aussi une question d’égalité.
Nous avons une problématique qui est l’isolation thermique par l’extérieur comme unique solution. Ce n’est pas l’alpha et l’oméga : selon l’époque, l’usage, tout bâtiment demande un vrai diagnostic, il n’y a pas de formules miracles, on ne peut pas poser un K-Way sur tous les édifices et se dire « ça va fonctionner » ! La rénovation thermique, c’est un peu la fin de la ville facile, on est obligé de se poser la question de la ventilation, du chauffage, du traversant.
C’est une amorce, il faut que ce soit renforcé. Comme on doit travailler sur l’existant, le ministère qui s’occupe de la ville ne peut pas avancer sans le ministère chargé du patrimoine. Il y a des choses qui se font, mais ce n’est pas assez : par exemple, le dispositif « Denormandie » [pour faciliter l’investissement locatif] dans l’ancien n’a pas bien fonctionné pour défiscaliser. Dans les projets de loi de finances, les crédits ne sont toujours pas orientés sur la réhabilitation. C’est beau d’avoir des ambitions politiques, mais sans outils fiscaux, sans renforcer la présence des architecte des Bâtiments de France auprès des élus locaux, cela n’est pas très efficace. Toute l’économie de la construction doit basculer dans un nouveau logiciel, et nous sommes laissés un peu dans le flou.
J’ai croisé le général Jean-Louis Georgelin il n’y a pas longtemps : il expliquait la complexité du suivi du chantier de Notre-Dame, mais aussi l’immense savoir-faire mis en œuvre pour réhabiliter la cathédrale. Ce dont on se rend compte, c’est qu’en l’absence d’une politique forte vis-à-vis des métiers d’art, du patrimoine, on aboutira à une disparition progressive de ces savoir-faire. Concrètement, j’ai suivi une équipe de jeunes architectes du pays d’Auge, qui souhaitaient réhabiliter un bâtiment avec des matériaux locaux et des techniques originelles : ils ont eu du mal à trouver des gens vivants qui disposaient de ces savoir-faire. Sans la restauration des monuments historiques, on perdrait aujourd’hui beaucoup de compétences nécessaires à la réhabilitation du patrimoine commun.
Pour les architectes, on a coutume de dire : il y a trop d’architectes pour faire ce qu’on leur demande aujourd’hui, mais pas assez pour ce qu’il faudra faire demain. Ces dernières semaines, les écoles d’architecture étaient en grève, avec la demande d’adapter l’enseignement aux pratiques de demain. Il y a une vraie demande des étudiants d’être formés à la réhabilitation, et un formidable élan des professeurs. En même temps il n’y a pas assez de moyens, pas les bons outils pédagogiques pour mettre cela en œuvre, et surtout pas de ligne politique claire sur la rénovation. La France n’instaure pas de politique patrimoniale forte sur la restauration, où les architectes seraient engagés sur la qualité de leurs projets. Comment accueille-t-on sur le marché du travail de jeunes architectes qui veulent faire de la rénovation ? C’est encore compliqué.
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Christine Leconte : « Composer avec l’existant, une priorité pour les architectes »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°611 du 12 mai 2023, avec le titre suivant : Christine Leconte, présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes : « Composer avec l’existant, une priorité pour les architectes »