Architecture

ENSEIGNEMENT

Un tournant pour la recherche dans les écoles d’architecture

Par Geneviève Gallot · Le Journal des Arts

Le 5 septembre 2018 - 893 mots

FRANCE

Le nouveau statut d’enseignant-chercheur des architectes s’aligne sur le régime des enseignants dans le monde et questionne les enjeux de la recherche en France. Un modèle à trouver.

Façade de l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Paris-Belleville.
Façade de l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Paris-Belleville.

La réforme publiée en février 2018 par le ministère de la Culture constitue une indéniable avancée. Tous les enseignants des écoles nationales d’architecture sont désormais enseignants-chercheurs bénéficiant d’un statut aligné sur celui de l’université et d’heures de service consacrées à la recherche (lire article JdA no 442,septembre 2015). Les vingt écoles, qui toutes préparent aux mêmes diplômes nationaux en architecture (1), rejoignent ainsi le régime général de l’enseignement supérieur de l’architecture dans le monde. « Pourquoi développer la recherche en architecture ? La question ne se pose pas à l’étranger ! », s’étonne André Lortie, architecte, directeur de l’Institut parisien de recherche architecture, urbanistique et société (IPRAUS), équipe pionnière de recherche de l’École nationale supérieure d’architecture (Ensa) Paris-Belleville.

« L’architecture y est enseignée à l’université et la recherche est naturellement intégrée à la formation. Dans un monde qui change, il est indispensable d’avoir un regard critique. Comment l’exercer sans s’appuyer sur une certaine théorisation, sans des connaissances spécifiques ? » Après l’éclatement en 1968 du système des Beaux-Arts qui verrouillait l’enseignement de l’architecture, les nouvelles unités pédagogiques d’architecture se rapprochent des sciences humaines et sociales pour faire émerger des laboratoires de recherche. Anthropologues, sociologues, philosophes, urbanistes, géographes, historiens, historiens de l’art… et architectes façonnent ensemble les débuts de la recherche architecturale, procédant par enrichissement mutuel. Aujourd’hui, le laboratoire Ipraus relève de l’Unité mixte de recherche Architecture, Urbanistique, Sociétés : savoirs, enseignement, recherche (UMR AUSser) commune avec le CNRS, et Paris-Belleville coopère avec l’École doctorale « Ville, Transports et Territoires » de l’Université Paris- Est. Pour Cristiana Mazzoni, architecte, nouvelle directrice de l’UMR AUSser, l’un des enjeux majeurs est désormais d’articuler recherche fondamentale et recherche appliquée en faisant sa place à la recherche-action. « Face à des territoires de plus en plus complexes, l’enseignement, la recherche et la pratique en agence doivent se réinventer en se nourrissant les uns les autres ! » De jeunes chercheurs issus du laboratoire de Paris-Belleville témoignent.

Cas d’école

Dimitri Toubanos, 30 ans, architecte, auteur d’une thèse sur les enjeux architecturaux du développement durable, en est convaincu : « L’architecture durable ou responsable devrait être une évidence ! » Sensibilisé à la Ville durable par le cycle d’urbanisme de Sciences Po, il consacre son doctorat à l’analyse du logement bâti entre 2005 et 2015 et aux éléments qui font obstacle à la diffusion de l’architecture durable, comme son surcoût, qu’il estime de 5 à 15 %. Après sa thèse, le jeune architecte monte une structure d’assistance à maîtrise d’ouvrage et d’expertise sur le développement durable. « L’architecture ne s’exerce pas uniquement en maîtrise d’œuvre, mais sous diverses formes. Comme accompagner les bailleurs sociaux et les collectivités dans la défense du développement durable ! » Pour Jérémy Cheval, 36 ans, architecte, la thèse est l’occasion d’une plongée dans une nouvelle culture. Il apprend le chinois pour réaliser son doctorat sur les transformations des lilong (habitations traditionnelles) à Shanghaï, en cotutelle avec l’Université de Tongji et l’Ipraus. « Ce qui est fascinant en Chine, c’est la capacité à faire, même si c’est illégal. » Aujourd’hui recruté en « post-doc » par la nouvelle École urbaine de Lyon, il va développer un programme de recherche sur les constructions et destructions en Chine dont il espère tirer une riche matière à réflexion sur l’espace partagé. « Construire, détruire, c’est prendre des décisions spatiales… et politiques. » Angel Badillo, 27 ans, Mexicain, architecte et doctorant, évoque quant à lui la recherche – action conduite avec Cristiana Mazzoni dans le cadre de l’appel à projets lancé par la Ville de Paris : « Réinventer Paris 2 : les dessous de Paris ». À l’heure où les jeux vidéo ont fait leur entrée au MoMA de New York, l’idée est de transformer le tunnel des Tuileries en un lieu culturel vivant grâce aux technologies numériques, ouvert à la circulation piétonne et cycliste, en associant des recherches sur les matériaux recyclables et recyclés, la logistique urbaine, ou encore les ambiances lumineuses et sonores.

Zones d’ombres

Forte de ses réussites, la recherche en architecture se déploie-t-elle pour autant sans nuage ? « La réforme du statut des enseignants offre une grande opportunité. En même temps, on peut craindre une certaine confusion », souligne Nathalie Lancret, architecte, chercheure au CNRS, ancienne directrice de l’UMR AUSser. « Le projet n’est pas la recherche. Faire du projet architectural un objet de recherche, oui. Développer la recherche appliquée, oui. Mais faire du projet même une recherche, non. On ne peut valider la pratique du projet comme de la recherche. Tout n’est pas dans tout ! » Le nombre de contrats doctoraux mis à la disposition des doctorants (422) par le ministère de la Culture reste, par ailleurs, très faible (13 en 2018). Et le projet de loi ELAN (Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) en cours de discussion, après quelques prémisses vertueuses, marque sa défiance à l’égard des architectes : « Si, comme on doit le supposer, cette loi traduit la vision de nos élites sur le rôle de l’architecte, c’est catastrophique. Contrairement aux années 1970 lorsqu’elle était considérée “d’intérêt public” avec la loi sur l’architecture de 1977, l’architecture ne ferait plus partie de l’enjeu environnemental. L’architecte ne serait plus un partenaire ! », constate André Lortie. Les paradoxes ont la vie dure…

(1) Diplôme d’État d’architecte, habilitation à l’exercice de la maîtrise d’œuvre en son nom propre, Doctorat.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°506 du 7 septembre 2018, avec le titre suivant : Un tournant pour la recherche dans les écoles d’architecture

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