Royaume-Uni - Musée

Ce musée qui rebat les cartes

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 13 octobre 2025 - 618 mots

La National Gallery rebat les cartes : son projet « Domani » promet une relecture de l’histoire de l’art à Londres.

La National Gallery à Londres. © National Gallery, London
La National Gallery à Londres.
© The National Gallery

Prodigieuse National Gallery, à Londres ! On dit les musées devenus anémiques après l’épidémie de Covid-19, à cause de la restriction des subventions publiques, de l’augmentation des coûts structurels, comme ceux de l’énergie, de la désaffection des mécènes, en particulier vers les musées d’art ancien par de jeunes générations plus attirées par le contemporain, les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle. Eh bien voilà que la vénérable institution de Trafalgar Square – qui a fêté l’an dernier son bicentenaire en rouvrant sa Sainsbury Wing après deux ans de travaux pour un coût de 98,3 M€ – annonce la construction d’une nouvelle extension, grâce à des fonds privés, uniquement. Ce sera le projet londonien le plus ambitieux depuis l’ouverture de la Tate Modern, il y a vingt-cinq ans. Une décision qui pourrait aussi permettre une autre lecture de l’histoire de l’art en rebattant la répartition des collections muséales.

Ce projet, baptisé « Domani » (demain en italien) par le directeur, Gabriele Finaldi, a réussi à mobiliser 433,5 M€ en s’appuyant sur deux très riches donateurs, la Michael Moritz’s Crankstart Foundation et le Hans and Julia Rausing Trust, connus outre-Manche pour leur large philanthropie envers des institutions éducatives ou culturelles, et qui ont versé chacun 172 M€. À titre de comparaison, la rénovation du Centre Pompidou – qui vient de fermer ses portes – est d’un coût proche, en étant estimée à 460 M€. Mais l’État en assure 280 M€. L’institution parisienne a recueilli 100 M€ de mécénat et cherche encore 80 M€ d’ici À 2030, fin annoncée du chantier. Année d’ouverture également du nouveau bâtiment de la National Gallery, qui sera construit derrière la Sainsbury Wing. Le concours d’architecture vient d’être lancé. « Domani » va non seulement ouvrir une extension mais surtout un nouveau champ de l’histoire de l’art à cette institution. Depuis des années, un accord régissait à Londres la répartition des collections : à la Tate Britain, l’art britannique depuis 1500 jusqu’à nos jours, à la Tate Modern, l’art international après 1900 et à Trafalgar Square, l’art de 1300 à 1900. Cette barrière dressée à l’entrée du XXe siècle était de plus en plus jugée arbitraire et frustrante pour soutenir un récit pertinent vis-à-vis du public. Par exemple montrer les inspirations, les prémices du cubisme mais être interdit d’accrocher ses réalisations. D’autant que la National Gallery a toujours voulu manifester son lien avec la création contemporaine, l’inspiration qu’elle pouvait offrir à des artistes d’aujourd’hui. Ainsi en l’an 2000, l’exposition « Encounters » avait invité 24 artistes vivants, dont Balthus, Louise Bourgeois, Lucian Freud, David Hockney... à dialoguer avec une œuvre des collections de leur choix. Elle a tenté aussi, dans ses acquisitions, quelques incursions au-delà de 1900, une quarantaine, dont Cézanne, Picasso… Mais à quoi bon, si les espaces pour les montrer manquaient. Le dilemme est donc résolu. Et apparemment en bonne intelligence puisque la directrice de la Tate Modern, Maria Balshaw, a salué cette décision et va activer un groupe de travail pour étudier en commun une nouvelle répartition des collections. Plusieurs pistes peuvent être envisagées, la Tate Modern se délestant par exemple progressivement de la première moitié du XXe siècle au profit de sa consœur qui enrichirait sa collection par des dépôts, des donations et des acquisitions. Ainsi, la National Gallery deviendrait l’un des rares musées en Europe à raconter une histoire de l’art allant du milieu du XIIIe siècle au milieu du XXe. Elle pourrait alors peut-être offrir un récit différent de la modernité, s’appuyant sur des évolutions, des transformations inscrites dans une continuité plutôt que brutales ruptures, comme aime le souligner la vision américaine de l’art moderne. Passionnant chantier à suivre.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°662 du 3 octobre 2025, avec le titre suivant : Ce musée qui rebat les cartes

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