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Bruxelles rêve de son musée d’art contemporain

Par Pauline Vidal · Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2016 - 1152 mots

BRUXELLES / BELGIQUE

Alors que le Musée royal d’art moderne et contemporain est dans l’impasse, la région bruxelloise envisage de créer un tel musée dans d’anciens bâtiments industriels.

BRUXELLES - La capitale belge  affiche aujourd’hui avec fierté sa vitalité dans le domaine de l’art contemporain. Les initiatives privées se multiplient. La ville accueille un nombre croissant de collectionneurs. Les galeries émergentes ou de renommée internationale s’installent en nombre. La foire d’Art Brussels, bien qu’encore en quête d’une identité forte, joue un rôle structurant dans le paysage culturel. Notons aussi le dynamisme du centre d’art Wiels ou encore celle du centre d’art BPS22 à Charleroi, transformé tout récemment en musée. Toutefois, contrairement à de nombreuses autres capitales européennes, Bruxelles ne dispose toujours pas à ce jour d’un musée d’art moderne et contemporain digne de ce nom.

Les projets contrariés de Michel Draguet
Pourtant, l’art du XXe siècle était bel et bien présent dans les espaces des Musées royaux des beaux-arts de Belgique, jusqu’à la fermeture de ces espaces en février 2011. En lieu et place de cette partie de la collection, dans les étages du dit « Puits de Lumière », fut installée en décembre 2013 une section consacrée à la création artistique de 1868 à 1914 sous l’appellation « Musée Fin-de-Siècle ». Le directeur des Musées, Michel Draguet, projeta de déployer ensuite les œuvres de 1914 à nos jours, hors les murs, dans les anciens établissements Vanderborght, un espace industriel de 8 000 mètres carrés près de la Grand-Place. Mais le changement politique qui intervint en 2014 mit un coup d’arrêt brutal à ce projet. La nouvelle Secrétaire d’État à la Lutte contre la pauvreté, à l’Égalité des chances, aux Personnes handicapées, et à la Politique scientifique, chargée des Grandes villes du gouvernement fédéral issue du NVA (le Nieuw-Vlaamse Alliantie, parti nationaliste flamand), Elke Sleurs, exige désormais une réinstallation de la collection XXe siècle au sein du musée au Puits de lumière et dans les espaces fermés au public depuis 2003, en attente de rénovation. « Il est logique que nous rénovions les espaces non exploités pour la collection d’art moderne. Elle pourra ainsi être rattachée à la collection d’art ancien. On ne peut pas comprendre Permeke sans avoir vu Rubens ou Jordaens, ni Alechinsky sans Bosch ou Bruegel », souligne cette dernière. En attendant, le problème demeure entier puisque aucun véritable engagement budgétaire n’a depuis été pris pour faire avancer les choses. « L’État aujourd’hui n’a plus les moyens de rénover cette aile du bâtiment pour laquelle on parle d’un budget de 25 millions d’euros. Et la régie des bâtiments est rigoureusement incapable pour des raisons budgétaires et structurelles de gérer un chantier de cette ampleur. Il ne se passera rien dans les vingt prochaines années », affirme Michel Draguet. Et Rudi Vervoort, le ministre-président socialiste de la région bruxelloise, de poursuivre : « On a maintenant au gouvernement fédéral un parti communautaire qui inscrit la fin de la Belgique dans ses statuts et ne porte pas la capitale dans son cœur, et qui est clairement rentré dans un jeu politique, puisque l’on est dans une situation sans solution. Les collections dorment dans des caves et en même temps, le gouvernement ne veut pas s’engager dans un projet ambitieux qui permettrait de solutionner cela. »

Une initiative de la région bruxelloise
C’est dans ce contexte surréaliste que la région bruxelloise a eu l’idée de créer un musée d’art moderne et contemporain indépendant du gouvernement fédéral. En mai 2013, le projet d’installer ce musée dans d’anciens garages Citroën fut annoncé. Puis en mars 2015, un accord de principe fut conclu avec le groupe PSA, propiétaire des lieux, avant signature de l’acte notarié le 29 octobre dernier. Pour un montant de 20,5 millions d’euros, la Région est ainsi devenue propriétaire d’un bâtiment moderniste, emblématique des années 1930, construit par les architectes bruxellois Alexis Dumont et Marcel Van Goethem. Pour se transformer en musée, d’importants travaux de mise aux normes sont à prévoir. Le montant n’est pas encore déterminé, mais certains annoncent déjà des coûts exorbitants que personne ne sera en mesure de payer. De plus, les défenseurs du patrimoine, comme Pétitions-Patrimoine, s’inquiètent de la dégradation de ce qu’ils considèrent comme un témoignage du mouvement moderniste belge et dont les tentatives de classement ont malheureusement échoué. Car si la partie avant de l’édifice doit être conservée, les vastes ateliers de l’arrière risquent d’être détruits au profit d’un projet immobilier qui financerait le tout.

15 000 m2 d’exposition attendent leur collection
« Le bâtiment se situe dans une zone stratégique en termes de redéveloppement et de redéploiement territorial, le long du canal, et aux confins des quartiers délaissés de Molenbeeck », explique le ministre-président Rudi Vervoort. « On a lancé une étude patrimoniale visant à déterminer quelles étaient les options de développement du bâtiment. Dans la mesure où ce bâtiment fait 45 000 mètres carrés, a priori d’autres fonctions pourraient être développées à côté de la fonction muséale », et notamment une fonction de logements dans un quartier en plein « boom » immobilier.
S’agissant du musée, un minimum de 15 000 mètres carrés pourrait être attribué aux espaces d’exposition. « Notre idée est de faire du moderne et du contemporain, mais avec une attention particulière portée à l’art contemporain, puisque c’est devenu aujourd’hui en terme culturel un produit phare à l’échelle mondiale », confie Rudi Vervoort. Mais pour l’heure, le bâtiment est une coquille vide. La Région ne possède aucune collection d’art moderne et contemporain, et aucun programme scientifique et culturel n’est clairement annoncé. Le dépôt des collections modernes des Musées Royaux qui dorment dans des caisses est dans l’immédiat écarté. Le changement gouvernemental d’ici deux ans entraînera peut-être une redistribution des cartes… Côté art contemporain, il faudra de toute façon trouver d’autres solutions, car la collection des Musées royaux s’arrête dans les années 1980. « La communauté française (qui soutient très fortement l’initiative) a une vraie collection d’art contemporain, c’est à peu près le seul domaine où elle investit. Une partie de cette collection se trouve au Mac’s du Grand-Hornu. On peut imaginer que la communauté mette aussi en dépôt des œuvres dans un musée régional bruxellois. Cela aurait du sens. » souligne le président du Conseil des musées de la Fédération Wallonie-Bruxelles, André Gob. « Il y a aussi un gros potentiel de collectionneurs en Flandres, ajoute ce dernier, comme vous avez pu le voir dans l’exposition “Passions secrètes” au Tripostal de Lille, mais reste à savoir s’ils accepteront de mettre en dépôt des œuvres à Bruxelles. » Une autre question reste en suspend : comment articuler le rapport entre collectionneurs privés et l’autonomie scientifique d’une institution publique sans compromettre cette dernière ?

L’affaire est complexe et éminemment politique. « Nous nous fixons au plus tard le premier trimestre 2016 pour définir de manière plus concrète un programme et le calendrier pour le concrétiser », conclut Rudi Vervoort qui prévoit l’ouverture du musée pour 2018-2019.

Légende photo

Le bâtiment Citroën, édifice moderniste du quartier Yser, à Bruxelles, sera le siège du futur musée d'art contemporain de la ville. © Belga.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°448 du 8 janvier 2016, avec le titre suivant : Bruxelles rêve de son musée d’art contemporain

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