Urbanisme - Politique

TERRITOIRES

Le patrimoine, levier de revitalisation urbaine

La revitalisation passe par le patrimoine

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2021 - 1188 mots

Le programme de revitalisation des centres-bourgs, lancé en décembre 2017 sous l’intitulé « Action Cœur de ville », est parvenu aujourd’hui au terme de sa phase d’étude. La valorisation du patrimoine en est l’un des leviers et s’inscrit dans les pas des politiques urbaines en la matière.

Marché de producteurs sur la place de la République à Limoges, pendant la phase de travaux financée en partie par le programme Action Coeur de Ville. © Ville de Limoges/Thierry Laporte
Marché de producteurs sur la place de la République à Limoges, pendant la phase de travaux financée en partie par le programme Action Cœur de Ville.
© Ville de Limoges /Thierry Laporte

France. Sur les 222 villes moyennes retenues par le plan national « Action Cœur de ville » (ACV), une large majorité (141) est dotée d’un site patrimonial remarquable, opérationnel ou à l’étude, et 96 sont labellisées Ville et Pays d’art et d’histoire. La question patrimoniale ne pouvait donc être absente de ce programme de revitalisation des centres-villes, bien que les textes restent à cet égard discrets. Parmi les cinq axes de travail fixés par le ministère de la Cohésion territoriale (lire l’encadré), la notion de « patrimoine » n’apparaît en effet que timidement, au détour du quatrième axe, sous le libellé : « Mettre en valeur les formes urbaines, l’espace public et le patrimoine ».

Dans un rapport d’étape réalisé en juin 2020, l’association Sites & Cités remarquables de France montre pourtant que les actions de nature patrimoniale dépassent largement ce quatrième axe, pour venir irriguer de manière transversale l’ensemble des volets d’ACV. « On voit bien que la place du patrimoine n’existe pas ou peu dans les conventions. Il est traité comme un objet architectural qui aurait trait à l’embellissement des villes… Ce qui n’est pas tout à fait faux, mais pas tout à fait vrai », note Jean-Michel Galley, chargé de mission de l’association.

Ainsi, sur les 4 056 actions programmées par les communes, la moitié d’entre elles peuvent être « considérées comme déployées sur ou dans les patrimoines ». Et si une bonne partie de celles-ci participent à la mise en valeur de l’espace public (519), concernent également le patrimoine : la réhabilitation du logement (368 actions), la mutation urbaine (316 actions), la création d’équipements (252 actions) ou la revitalisation du tissu commercial (106 actions).

Le rapport recense aussi 317 actions de « mise en valeur, valorisation et médiation ». À Auxerre (Yonne), ACV finance ainsi la mise en place d’une Micro-Folie, le lancement d’une application mobile de médiation culturelle et l’ouverture d’un tiers lieu. Tandis que 86 actions patrimoniales relèvent de la planification urbaine, avec notamment la création ou révision de 36 sites patrimoniaux remarquables, comme à Mâcon (Saône-et-Loire).

Une conception large du patrimoine

Pour les municipalités déjà engagées dans des projets patrimoniaux, le financement apporté par l’ACV est un accélérateur. « L’accompagnement financier, mais aussi l’accompagnement en ingénierie sont deux éléments qui ont accéléré des opérations pour lesquelles nous n’avions pas les fonds », témoigne Jean-Marc Fournel, maire de Longwy (Meurthe-et-Moselle). Dans cette ville fortifiée par Vauban, ACV finance la réhabilitation de l’ancienne poste en un hôtel, la transformation d’un beau bâtiment en grès des Vosges en un musée de la faïence, et la reconversion d’une halle de fonderie du XIXe siècle en une salle de spectacle. Commerces, équipements municipaux et vie culturelle s’appuient ici sur le patrimoine.

Environ 30 % des opérations patrimoniales consistent en des travaux de réhabilitation ou de restauration. Et parmi ceux-là, ce n’est pas le patrimoine remarquable qui est le plus représenté, mais le logement, pierre angulaire de tout plan de revitalisation selon Yves Dauge, ancien sénateur (PS) et auteur d’un rapport sur la question remis en 2016 au Premier ministre Bernard Cazeneuve. « Ces projets devraient toujours avoir pour objectif principal de proposer du logement attractif en centre-ville pour des personnes qui iraient normalement en pavillon , explique-t-il. S’il y a du logement, et des habitants, il y aura du commerce, des services publics… » Le logement ancien, patrimonialisé lorsqu’il est inclus dans un plan de sauvegarde et de mise en valeur, illustre l’interdépendance des objectifs de revitalisation et de préservation du patrimoine. À Moulins (Allier) ou Louviers (Eure), la reconquête de logements anciens insalubres fait ainsi partie des opérations classées comme patrimoniales par l’association Sites & Cités remarquables. Au total, 71 % des 700 actions de l’axe « réhabilitation du logement » sont pointées comme des opérations patrimoniales.

Avec ACV, et les politiques de revitalisation en général, c’est une conception du patrimoine plus large que la simple préservation du bâti ancien, fondée en grande partie sur des outils coercitifs, qui s’impose. « Le programme ouvre cette perspective pour l’urbanisme patrimonial de pouvoir exister en tant que tel, observe Jean-Michel Galley. Que ce ne soit plus un détail, la cerise sur le gâteau des politiques patrimoniales, mais un vrai sujet. » « Le patrimoine bâti va au-delà de la simple question visuelle, abonde Yves Dauge. Il y a une vraie question culturelle profonde : comment peut-on faire revivre des gens dans ces petites villes ? »

Illustrée par la diversité des 2 000 opérations retenues dans le rapport, la notion d’urbanisme patrimonial inscrit le bâti ancien dans une politique globale dont logements, commerces et services publics sont les fers de lance. Quasi absent du programme ACV, le ministère de la Culture semble lui plus attaché, concernant le fait patrimonial, à la vision d’André Malraux, vision souvent dénoncée par des maires qui l’identifient à l’action jugée contraignante des architectes des Bâtiments de France (ABF). « Le ministère véhicule une idée bien en deçà de ce que devrait être le patrimoine, déplore Jean-Michel Galley, et les ABF [rattachés au ministère de la Culture en 2000] ont été ramenés à une conception classique du patrimoine. »

La nécessité de restructurer

À la fois document d’urbanisme et outil de protection patrimoniale, le plan de sauvegarde et de mise en valeur (mis en place dans les sites patrimoniaux remarquables) pourrait être le point de jonction entre politique de revitalisation et préservation du patrimoine. À condition de faire l’effort, coûteux et peu visible, d’une révision de ces documents : « Au départ les plans de sauvegarde sont marqués par la pure conservation, souligne Yves Dauge, mais pour faire revenir la vie il faut pouvoir restructurer, et on est obligés de faire de l’urbanisme. »

Alors que le programme entre dans sa phase opérationnelle en 2021, la nature des actions programmées tend à prouver que la préoccupation patrimoniale coule de source dans la plupart des villes, malgré l’absence d’un volet spécifique, et d’une implication de la Rue de Valois. Pour Yves Dauge, si ACV va dans le bon sens, il y manque tout de même l’essentiel : un atelier de maîtrise d’œuvre communal dévolu à ces questions d’urbanisme patrimonial. « C’est le point faible du plan actuel, déplore-t-il, un atelier de maîtrise d’œuvre patrimonial qui réunit toutes les forces de l’État, et ouvert sur le monde professionnel : ce serait une vraie révolution ! »

5 types d’action pour redonner vie aux centres-bourgs 

En décembre 2017, Édouard Philippe, alors Premier ministre, annonçait le lancement d’un plan sur cinq ans doté de 5 milliards d’euros pour la revitalisation des centres-villes. Trois ans plus tard, « Action Cœur de ville » achève sa phase d’étude. Les 222 villes sélectionnées par le ministère de la Cohésion territoriale – parmi les agglomérations françaises comptant entre 20 000 et 100 000 habitants – lanceront en 2021 la phase active du projet en réalisant les 4 000 actions planifiées. Ces dernières sont réparties selon cinq axes, dont le plus important est celui de la réhabilitation de l’habitat en centre-ville. Suivent la revitalisation commerciale, l’accès et les mobilités, la mise en valeur de l’urbanisme et le développement des équipements.

 

Sindbad Hammache

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°559 du 22 janvier 2021, avec le titre suivant : « Action cœur de ville »

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