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Académie des beaux-arts

Ni fonctionnaire ni marchand

Par Pascal Ory · Le Journal des Arts

Le 25 décembre 2022 - 625 mots

PARIS

Il y a un an et demi, j’exposais ici les raisons pour lesquelles un public d’amateurs d’art devait désormais prendre au sérieux cette institution dont il n’est pas exagéré de dire qu’elle a traversé le siècle (on parle du XXe) sous l’opprobre des modernes : l’Académie des beaux-arts. J’écris ce qui suit à la lumière d’une expérience toute récente puisqu’elle a eu lieu l’après-midi du mercredi 30 novembre.

Séance solennelle sous la coupole de l'Académie
Séance solennelle sous la coupole de l'Académie
© Académie des Beaux-Arts / Photo Patrick Rimond

Le lieu en question est cette « Coupole » mythique, construite par l’architecte Louis Le Vau. Pour ceux qui n’en auraient pas conscience, le palais de l’Institut de France, avec sa façade en demi-lune ouverte sur la Seine et son dôme dédoublé, circulaire à l’extérieur et ovale à l’intérieur, n’est rien de moins que le plus remarquable bâtiment baroque de Paris. Ce 30 novembre-là, les fauteuils accueillaient un rassemblement exceptionnel d’artistes et de critiques de bande dessinée, tout surpris de se retrouver là pour saluer le premier auteur de BD élu aux « Beaux-arts », de surcroît autrice, quadragénaire et rescapée de l’attentat contre Charlie Hebdo, autrement dit Catherine Meurisse.

Petite date historique, assurément, pierre blanche sur le chemin de la légitimation des « petits miquets » en « neuvième art », mais qui prend une autre signification quand on la rapproche de la présence, cet après-midi-là, des deux prochains reçus : Ernest Pignon-Ernest et Hervé Di Rosa. On voit que, d’élection en élection, la configuration change. Les sections qui réunissent les artistes plasticiens de l’Académie apparient maintenant des esthétiques aussi différentes que celles de Georg Baselitz et de Jean-Michel Othoniel, de Sebastião Salgado et de Dominique Issermann.

Et, dans la foulée, c’est la notion d’« académisme » qui se reconfigure. Elle est apparue en France et en français dans le dernier quart du XIXe siècle (1876), au moment même où s’édifiait, autour de l’« impressionnisme », un contre-système artistique désormais autonome par rapport aux institutions publiques (Académie et École des beaux-arts, Grand Prix de Rome…) puisque son fondement était le marché et son nouveau médiateur le marchand d’art. Chemin faisant l’académisme devint un synonyme, abstrait donc très efficace dans une perspective polémologique, de « conservatisme ».

Sauf que, les générations passant et les avant-gardes se transformant, les unes après les autres, en orthodoxie, il fallut bien, au milieu du XXe siècle, rappeler que si l’on voulait continuer de prendre au sérieux le concept, il fallait lui redonner un sens plus conforme à ce qu’était le système académique français sous la monarchie : une hégémonie esthétique labellisée par les institutions d’État et dont les ressortissants reçoivent de l’État en question les signes de reconnaissance que sont les acquisitions ou les commandes et, plus encore, le contrôle des établissements d’enseignement artistique et de patrimoine. Il suffit d’analyser les choix esthétiques dominants en ces lieux pendant la période s’étendant du milieu des années 1970 aux approches du XXIe siècle pour comprendre que, par exemple, dans un domaine aussi structuré et hiérarchisé que celui de la composition musicale, l’approximation la plus juste de cet « académisme » s’exprima alors au travers de la forte personnalité de Pierre Boulez.

De tout ce qui précède on peut conclure qu’au XXIe siècle la circulation du pouvoir dans les arts (question rarement traitée en face par la critique d’art dans la mesure où elle est, par fonction, en constant « conflit d’intérêts ») se pose en des termes très différents de ceux d’il y a un siècle. Dépouillée de ses dernières fonctions de tutelle, l’Académie des beaux-arts est ainsi ramenée à son essence : celle d’une société d’auteurs, disposant d’un ensemble d’instruments d’aide à la création mais dont l’origine de la légitimité – l’élection par cooptation – la rend étrangère à la double légitimation alternative du marché et de l’État. Au fond, c’est de cela qu’il s’agit : l’académicien peut faire sourire mais lui, au moins, n’est ni un fonctionnaire ni un marchand.

Pascal Ory. © Michel Monsay
Pascal Ory.
© Michel Monsay

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°601 du 16 décembre 2022, avec le titre suivant : Ni fonctionnaire ni marchand

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