Tribune

Honneur aux vaincus

Par Jean-Michel Géridan · lejournaldesarts.fr

Le 20 octobre 2020 - 659 mots

CHAUMONT

Le directeur du Centre national du graphisme réagit à certains propos dans notre article sur le mécénat de compétence.

Jean-Michel Geridan. © Virgile Laguin
Jean-Michel Geridan.
© Virgile Laguin

Honneur aux vaincus ! Dans un article du Journal des Arts daté du 18 septembre 2020, Mathias Rabiot de l’agence Graphéine soulève avec force l’exclusion de studios de communication qu’une forme de mécénat permet.

Dans un débat interposé mais déséquilibré qui l’oppose à 3 structures, on peut lire les motivations de chacun.

Comment ne pas voir dans ces prises de parole une opération de communication visant à disqualifier tout un pan du monde de la communication, des acteurs du design graphique et leurs potentiels commanditaires.

« Il plaît aux stratèges de se rendre utiles » peut-on lire, alors même qu’il nous apparaît que nous ne sommes pas en guerre, quand bien même il s’agirait d’une guerre d’audience(s). Concevoir des signes, informer, accompagner, rendre visible un horizon porté par un commanditaire, il y a moins besoin de stratèges que de comprendre l’institution d’intérêt général pour laquelle on est appelé afin de trouver un langage juste et inédit pour son propos.

Une structure culturelle ou non peut-elle se satisfaire de solutions marketing prêtes à l’emploi, dictées par les seuls « stratèges » au risque d’une raréfaction des signes aux profits de boîtes à outils dont on perçoit les limites normatives ?

« Effectivement, pour des petites entreprises, la présence du mécénat de compétences peut être délicate, mais le dispositif se doit d’exister pour les structures et associations qui ne peuvent faire autrement » signifie le directeur du développement à l’Admical. Peut-on une seconde croire que des institutions nationales, collectivités et associations — terme qui masque une pluralité d’échelles économiques et sociales — ne seraient-elles pas en capacité d’inventions et d’imagination pour se donner les moyens de financer ce qui est donné à la vue en premier lieu à leurs publics ? Y-aurait-il donc tant de structures d’intérêt général dans un besoin tel que le mécénat de compétences tendrait à devenir la norme ?  

« À BETC, je passe ma vie à refuser des propositions de mécénat de compétences ! Il n’y a pas tant de gens que ça qui le font… » nous informe Madame la Présidente du conseil d’administration de l’Établissement public du Palais de la Porte dorée. Pour la seule année 2017, l’agence BETC aura donc accompagné 25 acteurs par le biais de ce dispositif. Le chiffre est phénoménal si on le rapporte aux prestations devisées qui feront l’objet d’un crédit d’impôt à la charge du contribuable. C’est autant de marchés équitables perdus pour les studios aux tailles plus modestes, ainsi qu’aux graphistes indépendants, disqualifiés du dispositif. 

Concernant « le pauvre graphiste qui avait été seul sans stratégie », peut-être que sa compétence est moins à trouver dans l’habillage d’une manœuvre, tel un Cheval de Troie, que d’accompagner une réflexion globale et précise sur le lieu, l’histoire dans laquelle elle s’inscrit ? C’est dans un élan bienveillant, inclusif, suscitant la curiosité, la découverte, l’expérimentation, que s’appuient les graphistes à l’aide de la sémiologie, la sociologie, des histoires de l’art et des signes. 

Lorsque l’on lit les mots du General Manager de Landor Paris, dévoilant que le dispositif permet de « Profiter de retombées médiatiques qui améliorent sa réputation en général », on pourrait en miroir s’interroger sur les raisons de ces besoins de valorisation ; où se trouverait le curseur d'un "Culture Washing". Si le mécénat peut être un formidable levier désintéressé d’accès à la culture pour toutes et tous, et c’est l’esprit de la loi, il serait bon de s’interroger sur le mécénat de compétence, ses effets d’aubaines et de ses répercussions profondes. 

Honneur aux vaincus donc dans cette lutte contre les « stratèges ». Il me semble qu’il ne faudra pas, en résistance à la normativité, aux pouvoirs du capital, mais surtout pour l’intérêt public, pour les artistes-autrices, pour les artistes-auteurs, que capitulent les structures qui devant une possible ressource économique à court terme renoncent aux communs.
 

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