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Galeries : fragilisation, ou consolidation ?

Par Stéphane Corréard · Le Journal des Arts

Le 3 juillet 2025 - 651 mots

Le marché de l’art déprime ; depuis février 2022 (guerre en Ukraine), octobre 2023 (guerre à Gaza), novembre 2024 (élection de Donlad Trump), la situation géopolitique internationale n’en finit plus de percuter une économie encore essoufflée après le Covid-19.

Les ventes publiques ralentissent, en volume comme en valeur, et, malgré leurs bonnes résolutions, les collectionneurs n’ont pas retrouvé le chemin des échoppes – ou en tout cas leur appétit d’achats.

Aussi la plupart des galeries réduisent-elles la voilure : diminution des équipes, moins de publications, participations aux foires plus ciblées… Bien souvent, cela ne suffit malheureusement pas, et les défaillances se multiplient. Le plus souvent, les marchands annoncent – bravaches – désirer faire évoluer leur modèle, travailler en appartement, se concentrer sur moins d’espaces et de projets. Mais certains font preuve d’une franchise alarmante. En annonçant il y a quelques jours la fin de leur galerie romaine Apart, active depuis plus de vingt ans, Fabrizio Del Signore et Armando Porcari ont clairement affirmé qu’« il n’est pas nécessaire d’indiquer les raisons de [leur] décision, tant les signes d’une crise qui ébranle les fondements d’un secteur dont la marginalisation progressive, notamment dans ses expressions de soutien réel aux artistes, finira par affaiblir davantage le tissu culturel du pays, sont évidents ».

De fait, le marché de l’art est plus que jamais clivé entre galeries mastodontes (Hauser & Wirth – 19 lieux dans 6 pays, ou Gagosian – 20 lieux dans 7 pays) et galeries artisanales, se concentrant sur un seul espace, avec une équipe réduite au minimum. Ce sont celles-ci qui souffrent le plus de cette polarisation, car elles sont progressivement renvoyées à la périphérie d’un marché de l’art mondialisé dont elles ne captent même plus les miettes. Persuadées que cette marginalisation s’explique d’abord par leurs faiblesses intrinsèques, elles subissent pour la plupart, sans bruit.

Dans ce silence, l’annonce de la galerie Air de Paris, participant sans interruption à Art Basel Bâle depuis 1999, a surpris par sa franchise. Menacée d’être déplacée vers un emplacement peu valorisant, la galerie parisienne a choisi de ne pas prendre part à l’édition 2025. S’« il est compréhensible que les récentes évolutions d’Art Basel vers un modèle plus “corporate” donnent la priorité à l’efficacité managériale, conduisant à de nouvelles structures et de nouveaux comportements, a-t-elle souligné, nous ne voyons pas pourquoi Air de Paris a été déplacé de son emplacement de premier plan vers une place secondaire, ce qui discrédite la galerie. » La surprise est d’autant plus grande que sa codirectrice, Florence Bonnefous, a été choisie depuis l’implantation en 2022 de la foire Art Basel Paris pour intégrer son prestigieux comité de sélection : vérité en deçà des Alpes, erreur au-delà ?

Efficacité managériale contre crédit artistique ? Nouveaux comportements ? C’est exactement ce qui se joue dans le phénomène de « consolidation » à l’œuvre dans notre secteur. Si les milieux d’affaires s’en approchent de plus en plus (plusieurs maisons d’enchères étant par exemple propriétés de conglomérats), l’annonce en avril de la prise de contrôle de la galerie Perrotin par le fonds d’investissement Colony Investment Management ouvre une ère nouvelle, qui peut en inquiéter certains. Quand Emmanuel Perrotin déclare que « ce partenariat stratégique inédit en ces temps incertains est un message fort et positif de notre désir de faire évoluer notre métier avec le soutien de nos 80 artistes, de nos 160 collaborateurs et de nos nombreux collectionneurs », on ne peut que le croire : mais l’évolution que cette consolidation nous prépare est-elle si positive ?

Choisir le terme « consolidation » (qui peut s’opposer à celui de « fragilisation », nettement moins enviable), c’est déjà répondre à la question, car il évite d’utiliser celui de « concentration ». Et, au pays de l’exception culturelle, on sait ce que cela promet inexorablement : perte de diversité des opérateurs et des œuvres, marchandisation, financiarisation… et finalement, déshumanisation. Cruel retournement, quand André Malraux postulait pour sa part que « l’art, c’est le plus court chemin de l’homme à l’homme. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°659 du 4 juillet 2025, avec le titre suivant : Galeries : fragilisation, ou consolidation ?

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