Musée

Faut-il déplacer « La Joconde » ?

Par Jacques Attali · Le Journal des Arts

Le 15 mars 2018 - 521 mots

PARIS

La suggestion, récemment lancée, d’envoyer La Joconde au Musée du Louvre-Lens, pour une exposition temporaire, pose une question passionnante.

Pour certains, les grands chefs-d’œuvre de l’art, dont cette œuvre iconique, doivent se déplacer vers un public qui n’aura jamais ni l’envie ni les moyens de venir les admirer là où ils se trouvent exposés en permanence et qui, s’ils y venaient, seraient pris dans la foule des touristes empêchant quiconque d’approcher sérieusement de ces trésors.

Pour d’autres, déplacer une telle pièce est impossible, en raison de sa fragilité, du coût de ses assurances et de la sécurité qu’elle exige. De plus, disent-ils, les spectateurs n’iront pas plus la voir à proximité de chez eux qu’à Paris, qui n’est pas si loin.

De fait, personne ne conteste la nécessité des prêts d’œuvres d’un musée à l’autre. Et c’est même le cœur de l’activité de bien des conservateurs et des directeurs de musée que de planifier, plusieurs années à l’avance, des expositions provisoires, en demandant aux autres musées du monde entier de leur prêter des œuvres, en faisant valoir, dans leurs requêtes, les prêts qu’ils ont déjà consentis ou qu’ils sont décidés à accepter en échange. Ainsi, dans ce gigantesque troc artistique, des milliers, des dizaines de milliers d’œuvres voyagent tous les ans à travers le monde d’un musée à l’autre. Et cela permet d’organiser des expositions thématiques, des rétrospectives, absolument indispensables à la connaissance de l’art, à la critique et à la vie des musées. Mais malheureusement ces expositions ne sont visibles que par un très petit nombre de gens, même si leur public se compte parfois en millions de personnes.

On pourrait imaginer aujourd’hui de se préparer à bien plus, en utilisant les moyens que donnent les technologies d’aujourd’hui : au lieu de déplacer des œuvres si délicates, pourquoi ne pas numériser le million d’œuvres les plus importantes, disséminées dans des milliers de musées du monde (et certaines œuvres majeures sont dans des musées négligés, souvent mal entretenus), et les exposer en réalité virtuelle, en trois dimensions, à la disposition de tous ceux qui disposeraient des lunettes nécessaires pour y avoir accès.

Cela fournirait aux conservateurs la possibilité, absolument passionnante, d’imaginer et d’organiser des expositions avec infiniment plus d’œuvres et sans les tracas des transports d’aujourd’hui. Les technologies existent. Elles sont, comme c’est toujours le cas, déjà utilisées dans les activités militaires. Rien n’interdirait de les mettre massivement à la disposition de l’art. Les conséquences en seraient révolutionnaires. Peut-être y aurait-il un peu moins de monde dans les très grands musées ; mais ce ne serait plus des dizaines de milliers de gens, ou au plus quelques millions, qui verraient les œuvres ainsi rassemblées, cette fois virtuellement et pour l’éternité, mais des centaines de millions ou même des milliards. Avec une précision telle que l’on ne pourrait plus discerner l’original de la copie.

Un jour peut-être même, toutes les œuvres d’art réelles seront définitivement rangées dans des coffres-forts, et accessibles seulement par leurs répliques virtuelles. Après tout, c’est déjà le sort des œuvres littéraires, dont plus personne n’imagine plus lire la version manuscrite de l’auteur.

Meilleure ou pire des mondes ?

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°497 du 16 mars 2018, avec le titre suivant : Faut-il déplacer « La Joconde » ?

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