Livre

CORRESPONDANCE

Mathilde et Courbet, une romance pornographique

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 18 avril 2025 - 597 mots

En 2023, la découverte de lettres intimes de Courbet a fait l’effet d’une bombe. Désormais publiées, elles dévoilent un peu plus la personnalité du peintre.

Gustave Courbet, Correspondance avec Mathilde. © Gallimard / Ville de Besançon
Gustave Courbet, Correspondance avec Mathilde.
© Gallimard / Ville de Besançon, 2025

C’est ainsi que Gustave Courbet (1819-1877) présente, dans une lettre adressée à son ami Jules Castagnary et datée du 16 janvier 1873 à Ornans, l’entrée dans sa vie de Mathilde Montaigne Carly de Svazzema. Sous ce nom avantageux, celle-ci a ébloui le peintre qui l’a crue sans difficulté comtesse. Mais, début mai 1873, il écrit à Cherubino Patà [son assistant de 1868 à 1877] : « Je vous envoie la dernière lettre de cette saloperie de femme. » Il l’appelle maintenant « Madame Montaigne » : elle les a escroqués et le fait lui-même chanter avec les lettres compromettantes qu’il lui a adressées.

En 1991, Jean-Jacques Fernier a publié 16 lettres de Mathilde à Courbet conservées à l’Institut Gustave-Courbet. Mais on ne connaissait pas celles que Courbet avait envoyées à Mathilde. C’est chose faite depuis qu’elles ont été redécouvertes en novembre 2023 dans le grenier de la bibliothèque municipale de Besançon (Doubs) où elles avaient été cachées en raison de leur caractère « scabreux », selon la note qui les accompagnait. Cette correspondance, publiée aujourd’hui, n’est pas complète et on sait qu’il manque au moins quinze lettres de Gustave et une de Mathilde. Si l’on en croit celles qui sont réapparues et le témoignage d’Émile Gros-Kost, auteur de Courbet, souvenirs intimes (1880), le corpus d’origine échangé entre le 21 novembre 1872 et le 2 mai 1873 est estimé à152 lettres dont 119 sont désormais publiées.

Portrait de Gustave Courbet (1819-1877) réalisé par Etienne Carjat, vers 1870. © Paris Musées / Musée Carnavalet
Portrait de Gustave Courbet (1819-1877) réalisé par Etienne Carjat, vers 1870.
© Paris Musées / Musée Carnavalet
Dans le négoce de tableaux

On en sait désormais plus sur Mathilde, que Gros-Kost présentait comme une « rouleuse d’hommes en vogue ». Elle est née le 22 octobre 1839 d’un ancien soldat. Élevée à la Maison de la Légion d’honneur d’Écouen après le décès de celui-ci, elle épouse en 1859 un bookmaker anglais qui la quitte en juillet 1872. « À la lire, si promptement habile dans ses manœuvres, si immédiatement prolixe en fantaisies charnelles, se dessine l’hypothèse d’une existence déjà longue d’expédients plus ou moins honnêtes lorsqu’elle jette son dévolu sur Courbet », écrit Laurence Madeline dans un essai publié en tête de la correspondance. De son éducation, la jeune femme a gardé une certaine culture et de bonnes manières qui lui permettent de paraître dans les salons et d’y chercher des hommes auxquels soutirer un peu d’argent. Elle est aussi une intermédiaire dans le négoce de tableaux et objets d’art, et elle jouera ce rôle pour Courbet exilé à Ornans. On peut imaginer que c’est en pensant pouvoir vendre des tableaux du peintre qu’elle l’a choisi pour victime.

Mais Courbet fut-il le naïf que l’on a dit ? Dès le début, il demande à Mathilde une photographie, ce qui laisse à penser qu’il a immédiatement compris quel type de relation ils pourraient avoir. Les courriers échangés ensuite reprennent le topos des romans épistolaires pornographiques du XVIIIe siècle. Elle feint d’être une oie blanche et de se laisser peu à peu gagner par la sensualité mais elle se met vite au diapason de Courbet. Celui-ci décrit par le menu ses fantasmes tout en assurant qu’il n’a plus la santé qui convient à un amant insatiable. Tout porte à croire qu’il n’a pas l’intention de passer à l’acte et veut profiter de l’entregent de la jeune femme pour vendre des œuvres. Dans ce jeu, il y a deux manipulateurs et deux dupes. Et Courbet qui s’apitoie sur lui-même et demande à sa correspondante si elle a de l’argent pour l’entretenir n’a pas le plus beau rôle. Peut-être, finalement, étaient-ils faits pour se rencontrer… ce qui n’advint jamais.

Gustave Courbet, Correspondance avec Mathilde,
édition de L. Carrez, P.-E. Guilleray, B. Hartwig et L. Madeline, coéd. Gallimard, coll. « Art et artistes »/Ville de Besançon, 368 p., 25 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°653 du 11 avril 2025, avec le titre suivant : Mathilde et Courbet, une romance pornographique

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