Politique culturelle

L’intronisation de l’ancien résistant Jean Zay au Panthéon

Jean Zay fut aussi un bâtisseur de la culture

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2015 - 851 mots

Jean Zay s’est rappelé au souvenir des Français. À l’occasion de son entrée au Panthéon, les journaux ont relaté la carrière du plus jeune ministre du gouvernement du Front populaire et son assassinat en 1944.

Ils ont pour l’essentiel célébré la réforme scolaire : aux yeux de l’opinion aujourd’hui, Jean Zay est bien « le père » du collège unique. Pourtant, sa progéniture fut plus nombreuse du côté de la culture. Dans les médias, il a été peu question de cette ambition, pourtant indissociable de la mission qu’il assignait à l’éducation. En réalité, Zay peut être considéré comme le véritable fondateur de ce qui s’appelle aujourd’hui « l’exception culturelle française ». Le portefeuille de l’Éducation que lui confie Jaurès en 1936, il le conçoit comme le ministère de l’intelligence. Depuis quelque temps déjà, une certaine gauche luttait contre le conservatisme de son camp pour investir la culture comme outil d’émancipation du peuple. La phrase lancée en 1921 au congrès de l’histoire de l’art par Henri Focillon mesure le chemin parcouru : « Je n’hésite pas à dire que les musées sont faits pour le public ! » En janvier 1936 encore, « la culture est pratiquement absente de la plate-forme du Comité national du Rassemblement » qui fait naître le Front populaire, rappelle l’historien Pascal Ory, dont la thèse a rouvert ce champ oublié (1).

Sur tous les fronts
Ministre à 34 ans, Jean Zay agit vite, sur tous les fronts. Il veut faire du droit d’auteur un « droit moral » inaliénable, protégeant la « création intellectuelle ». Il rédige des lois encadrant l’architecture, faisant reconnaître l’architecte comme un artiste. Il réforme la Comédie-Française. Les deux salles, à l’Odéon et au Palais-Royal, sont réunies, de même que Favart et Garnier. Dans le même esprit, il essaie de mettre en place des réseaux pour les théâtres ou musées de province en grande difficulté.

Il est très conscient du défi posé par l’essor des médias. Le cinéma parlant et le disque viennent de naître. Le nombre de récepteurs radio décuple en dix ans pour atteindre les cinq millions en 1939. Certains redoutent qu’ils n’entraînent la mort du théâtre ou du concert. Le parallèle avec l’Internet est tentant. Mais la gauche gouvernementale alors choisit de s’en servir, plutôt que de les contrer. La radio publique enregistre et diffuse des pièces de théâtre. Une taxe est prélevée sur sa publicité pour subventionner les salles.

Jean Zay rédige une loi organique du cinéma. Inquiet du déclin du nombre de films tournés en France, il opte pour des aides à la création, plutôt que pour une nationalisation de la production. Il s’indigne « d’apprendre que les négociations commerciales en cours avec les États-Unis interdiraient de ménager à la France une protection plus efficace de l’industrie cinématographique », un langage qui nous semble très actuel. Il fonde le Festival de Cannes, pour s’opposer à la Mostra de Venise, vitrine du fascisme.

Le Front populaire tente de soutenir les artistes vivants et de faire place à l’art contemporain. Selon Frédérique Peyrouzère dans sa thèse soutenue en 1999 à la Sorbonne et consacrée à la question, il ouvre une période de véritable « fièvre muséographique ». Le gouvernement achève un bâtiment destiné au Musée national d’art moderne. Il relance celui des monuments français et le Musée de l’Homme au Trocadéro, auxquels il ajoute un Musée des arts et traditions populaires (désormais disparu). Il réforme le corps des conservateurs et dote les musées nationaux de services scientifiques.

Un grand chantier est lancé au Louvre. Les premières expositions apparaissent sur des affiches et dans des documentaires, une publicité qui scandalise l’hebdomadaire Je suis partout. Les accrochages pêle-mêle sont repensés par des hommes comme Louis Hautecœur et René Huyghe, qui s’inspirent des exemples étrangers. Dans le journal Candide, l’historien de l’art Pierre du Colombier avoue ne pas comprendre pourquoi les cimaises s’encombrent d’explications. On porte intérêt aux statistiques des visiteurs, qui se chiffrent en centaines de milliers à Versailles et au Louvre. Il s’agit bien, dit un comité interministériel, « d’établir une communication étroite entre la masse et les musées ». Cette action est soutenue au-delà du ministère, alors qu’aujourd’hui celui-ci ne suscite au mieux que désenchantement. Avec Léo Lagrange, le fondateur des auberges de jeunesse, Jean Zay crée l’Association populaire des amis des musées, pour faire de ces derniers des « instruments d’éducation populaire ». C’est l’époque des bibliobus et des maisons de la culture, où André Malraux tient ses premiers discours. Comme le note Peyrouzère, bien plus tard, Malraux deviendra la « figure écran » comme fondateur du ministère de la Culture, dont les instruments furent en fait mis en place par Jean Zay.

Nombre de ses initiatives n’aboutiront qu’après la guerre. Il a fait du droit à la culture un droit fondamental. Mais devant la paupérisation du secteur et la faiblesse de l’initiative privée, il compte sur la subvention et l’intervention publique. Aujourd’hui, ce système s’est écroulé sous la charge. Mais, contrairement à la réforme scolaire, aucun ministre n’est là pour en penser l’avenir.

Note

(1) Publiée par Plon en 1994 sous le titre éloquent de La Belle illusion.

Légende photo

Léon Blum (à gauche), Jean Perrin et Jean Zay (à droite) après un conseil des ministres en 1938. Photo D.R.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Jean Zay fut aussi un bâtisseur de la culture

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