Dali, en attendant 2004

L'ŒIL

Le 1 avril 2003 - 884 mots

Ostracisé par Breton en 1939 et rejeté par une histoire du surréalisme bien pensante, Dali sort à peine d’un purgatoire dont il est le premier responsable.

Le commerce anarchique de ses droits, la comédie des lithographies signées en blanc, le recyclage tragique de ses peintures en bronzes d’édition, et l’hagiographie officielle diffusée par des disciples avides ont caché pour beaucoup les œuvres fulgurantes des années 1920 et 1930. « Paris Barcelone » au Grand Palais, les deux expositions surréalistes à Londres et Paris, ont été l’occasion d’une redécouverte que celle de Düsseldorf « L’Énigme sans fin, Dali et les magiciens de l’ambiguïté » (au sommaire du prochain numéro) confirme. Dali est un grand peintre mais aussi un grand écrivain.

Encore faut-il pouvoir le voir et le lire. Que le catalogue de « La Révolution surréaliste » ait été, sur ce chapitre, d’une extrême discrétion, cela pouvait se comprendre de la part de Werner Spiess qui voulait rassembler un choix d’œuvres exceptionnelles et laisser le public juge. C’est moins acceptable à Düsseldorf de la part de Jean Hubert Martin puisque Dali et L’Énigme sans fin, une œuvre majeure de 1937, servent d’affiche à l’exposition. Pas une ligne sur le tableau pourtant au cœur du propos, pas un texte de Dali qui ne soit directement et intégralement cité (toujours par l’intermédiaire d’un ouvrage secondaire), pas une référence aux textes fondamentaux de Ian Gibson (The shameful life of Salvador Dali), de Haim Finkelstein (Salvador Dali’s art and writing, 1927-1942) ou de Felix Fanes (Salvador Dalí. La construcción de la imagen, 1925-1930) qui ont renouvelé depuis quelques années la critique dalinienne. Le catalogue de Düsseldorf se sert de Dali en lui faisant tort.

Deux ouvrages, tous deux consacrés à Dream of Venus, une « installation surréaliste » réalisée par Dali pour l’exposition internationale de 1939 à New York, illustrent la disparité des publications actuelles sur Dali. L’ouvrage d’Ingrid Schaffner, Salvador Dali’s dream of Venus, The surrealist funhouse from the 1939 World’s Fair, nous offre, en détail et en couleurs, les photographies prises par Eric Schall pendant toute la durée de la réalisation et de fonctionnement du pavillon.

Que le texte soit illisible, en raison du format et de la typographie, n’enlève rien à cet ouvrage qui n’est qu’un « très » « beau livre ». Pour en savoir plus, il faut ouvrir Salvador Dali Dream of Venus, catalogue publié par le Museum of Contemporary Art de Miami et la fondation Gala-Salvador Dali à l’occasion d’une exposition itinérante en 2000/2002 où Felix Fanes reprend par le menu l’histoire du pavillon et de son aménagement déjà abordé par Ian Gibson.

Ce catalogue, modeste de format et en noir et blanc, nous offre outre les photos de Schall, un aperçu des photographies réalisées par Georges Platt-Lynes et Horst, à la demande de Dali, des sirènes et autres mannequins destinés à évoluer dans la grotte sous-marine de Vénus, véritable « salon au fond d’un lac » comme aurait dit Rimbaud.

Que la littérature sur Dali soit si rare (aucun des trois livres cités plus haut n’est traduit en français), que son œuvre écrit ne soit accessible qu’en anglais, espagnol ou catalan, s’explique en partie par des problèmes d’ayants droit.

Le principe étant, selon le code de la propriété intellectuelle, qu’aucune œuvre plastique ou écrite ne peut être reproduite sans le consentement de l’artiste ou de ses ayants droit. On imagine quelle arme représente ce droit pour un héritier qui décide d’être le seul à pouvoir publier sur l’artiste en question. Or la succession Dali est agitée par le litige qui oppose dans certains pays, Demart Pro Arte, société dirigée par Robert Descharnes, ancien photographe et secrétaire de Dali, à la fondation Gala-Salvador Dali de Figueras (et en France à l’ADAGP qui la représente) pour le recouvrement des droits de l’artiste. En dehors d’essais comme le nôtre (Désirs inassouvis, Dali, du purisme au surréalisme, 1925-1935, cf. L’Œil n° 541), aucune monographie « grand public » ne peut en France, faire concurrence au Dali de Robert Descharnes et Gilles Néret publié par Taschen, l’exemple même de l’hagiographie fantaisiste.

Gallimard qui avait annoncé la sortie d’un ouvrage dans la collection « Découvertes » sur Dali préfère attendre avril 2004, date à laquelle le contrat de Demart prend définitivement fin. 2004, c’est également le centième anniversaire de la naissance de Dali, année où sont prévues de nombreuses expositions et publications.

Va-t-on enfin, ne serait-ce que pour l’entre-deux-guerres voir la sortie de catalogues raisonnés des peintures ? Ils sont annoncés, à la fois par Demart et par la fondation Gala-Salvador Dali, on attend avec impatience de les confronter.

- Salvador Dali, Dream of Venus, catalogue d’exposition, Museum of Contemporary Art of Miami, fondation Gala-Salvador Dali, 2000.

- Das endlose Rätsel, Dali und die Magier der Mehrdeutigkeit, catalogue d’exposition, Museum Kunst Palast, Düsseldorf, 2003.

- Robert Descharnes, Gilles Néret, Dali, Taschen, 2001.

- Felix Fanes, Salvador Dali. La construcción de la imagen, 1925-1930, Electa, Madrid, 1999.

- Haim Finkeisten, Salvador Dali’s art and writing, 1927-1942, Cambridge University Press, 1999.

- Jean-Louis Gaillemin, Désirs inassouvis, Dali, du purisme au surréalisme, éd. Le Passage, 2002.

- Ian Gibson, The Shameful Life of Salvador Dali, Faber & Faber, 1997.

- Ingrid Schaffner, Salvador Dali’s dream of Venus, The surrealist funhouse from the 1939 World’s Fair, Princeton Architectural Press, New York, 2002.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°546 du 1 avril 2003, avec le titre suivant : Dali, en attendant 2004

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