Foire & Salon

SP-Arte danse toujours la samba

Par Stéphane Renault · Le Journal des Arts

Le 26 avril 2018 - 1150 mots

SAO PAULO / BRESIL

Succès renouvelé pour la 14e édition de la principale foire d’art moderne et contemporain brésilienne, qui s’est tenue du 11 au 15 avril à São Paulo. Malgré un climat d’incertitude économique et politique, la réduction de taxes a encouragé les ventes, en hausse d’un tiers par rapport à l’an passé.

São Paulo. Les collectionneurs étaient au rendez-vous le jour de l’ouverture de SP-Arte, installée dans le Pavilhão Ciccillo Matarazzo signé Oscar Niemeyer dans le verdoyant parc tropical Ibirapuera, poumon vert de la capitale économique du Brésil.

Fernanda Feitosa, directrice de la foire, disait sa confiance dans un marché en pleine expansion dans la plus grande ville du pays comme de l’Amérique du Sud. Au point d’envisager de créer une deuxième foire ailleurs. Quant à la crainte d’un possible impact de cette année d’élection présidentielle incertaine ajoutée à l’emprisonnement de l’ex-président Lula, ni l’une, ni l’autre, ni la situation économique brésilienne ne semblaient préoccuper les premiers visiteurs VIP, tout affairés à découvrir dans les quelque 164 galeries, dont 97 brésiliennes, les œuvres modernes, contemporaines et la section design. Ce, avec d’autant plus d’intérêt que les conditions d’achat étaient particulièrement avantageuses. Durant la foire, une réduction des taxes est appliquée à titre exceptionnel sur le prix des œuvres. Cette taxation sur les œuvres d’art importées, à hauteur de 16 % seulement, a pour objectif d’encourager les clients brésiliens à acquérir des artistes internationaux, taxés à 50 % lors d’un achat à l’étranger. Un obstacle réel à Arco Madrid ou Art Basel Miami Beach. « SP-Arte a du succès, car c’est le seul endroit où les gens peuvent acheter », confirmait Luiza Teixeira de Freitas, commissaire du secteur « Solo ». Ceci expliquant cela, les galeries affichaient de belles ventes dès l’ouverture, à laquelle les grandes fortunes du pays étaient présentes – les visiteurs sont pour 95 % d’entre eux brésiliens, parmi lesquels 75 % de Paulistas.

Des achats en vue de donations

Dans la section art moderne, la galerie Frente (São Paulo) présentait, à côté de Georges Mathieu et d’Antonio Bandeira, des tableaux de Tarsila do Amaral, dont A Negra (1940), répertorié dans le catalogue raisonné de l’artiste, exposé en ce moment au MoMA à New York. Prix demandé : 4,2 millions de dollars (3,30 M€). Au dire du directeur de la galerie, Acacio Lisboa, un acheteur s’était manifesté. Toujours sur le second marché, on pouvait admirer les grands noms de l’art brésilien, polarisé entre le très formel, géométrique et le très organique, végétal. Lygia Clark, Hélio Oiticica, Emiliano di Cavalcanti chez Pinakotheke (Rio, São Paulo, Fortaleza) et Paulo Kuczynski Escritório de Arte (São Paulo). Ailleurs, Candido Portinari, Alfredo Volpi.

Dans la partie contemporaine, en bas, le tour des galeries se révélait décevant. Y prédominait la peinture, tendance art cinétique ou figurative, avec un sérieux goût de déjà-vu. Sage, le secteur « Solo » était en revanche de qualité. Chez Espaivisor (Valencia), la série de photographies « Artist at Work » (1978) de Mladen Stilinovic, vue à la Biennale de Venise, est partie à 17 600 euros. Cavalo, jeune galerie carioca, présentait Marina Weffort, finaliste du prix Illy à Arco Madrid, un travail d’une grande délicatesse à partir de tissus jouant avec la lumière. Deux des pièces (de 4 800 à 9 000 $) étaient vendues dès l’ouverture. L’artiste était également montrée sur le stand de Marilia Razuk, qui invitait Douglas Gordon dans son espace d’exposition en ville.

Mais c’est à l’étage supérieur que l’on pouvait voir le meilleur de l’art actuel brésilien et international. Chez Vermelho (São Paulo), la grande collectionneuse Cleusa Garfinkel a payé 40 000 dollars une œuvre de Jonathas de Andrade avant d’en faire une donation au MAM (Museu de Arte Moderna de São Paulo). Un autre collectionneur, 15 000 dollars pour une sculpture de Renata Lucas, en vue d’une donation cette fois à la Pinacoteca. Pratique courante au Brésil, les musées publics, dotés d’un faible budget, sont aidés par les trustees pour leurs acquisitions. « C’est bien mieux que l’année dernière, mais nous restons tendus en raison de l’économie, tempérait Juan Eyheremendy sur le stand de la galerie. C’est une année d’élections et de Coupe du monde de football. Cela change l’humeur des gens. La dernière Coupe du monde a été très difficile, nous avons ouvert une expo et personne n’est venu ! On ne sait jamais ce qui va se passer. »

Cleusa Garfinkel était aussi passée sur le stand de Fortes D’Aloia & Gabriel. Une donation là encore de plusieurs œuvres (12 000 $ chacune) de Sara Ramo à la Pinacoteca, des collages, transpositions visuelles de poèmes, montrés simultanément dans les espaces de la galerie située dans le quartier de Vila Madalena. Sur ce même stand, une grande toile de Marina Rheingantz était vendue à une collection privée (60 000 $), ainsi qu’un Polvo (85 000 $) de Leda Catunda, qui a participé à plusieurs reprises à la Biennale de São Paulo. Kurimanzutto (Mexico) exposait une sculpture et une série de textiles (45 000 $) de Damián Ortega, et des billets mexicains des années 1960 d’un peso peints par Gabriel Orozco (3 500 $ pièce). Luciana Brito (São Paulo, New York) avait opté pour une pièce de Marina Abramovic, Waiting Room, (1993) et plusieurs œuvres de Bosco Sodi.

Des regards tournés vers l’art brésilien

Autour de la foire, un riche programme offrait de visiter lieux iconiques, institutions et galeries. Ouvraient ainsi leurs portes la Casa de Vidro/Instituto Bardi, la maison de béton brutaliste de l’artiste Tomie Ohtake, l’atelier des designers Humberto & Fernando Campana, le centre d’art et résidences d’artistes Pivô. S’y ajoutaient les programmations du MAM, du MASP (Musée d’art de São Paulo), de la Pinacoteca, de l’IMS (Instituto Moreira Salles) et les vernissages des galeries, où l’art dialogue ici à merveille avec l’architecture. Ainsi de Luciana Brito, installée au sein d’une splendide villa dessinée par Rino Levi et de jardins dus à Roberto Burle Marx.

Lors du vernissage de son exposition chez Mendes Wood, Paulo Nimer Pjota expliquait : « La scène artistique est très dynamique et a évolué rapidement. C’est très urbain, cosmopolite. C’est beaucoup plus facile qu’il y a dix ans. Le Brésil est plus ouvert sur le monde, les regards se sont tournés vers l’art brésilien. Les crédits publics pour la culture ont été coupés mais le marché reste très fort. » Chez Nara Roesler, le photographe Vik Muniz montrait ses dernières productions : « Au début des années 1980, les artistes de ma génération, Ernesto Neto, Beatriz Milhazes, Adriana Varejão, ont commencé à être exposés. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes artistes bénéficient d’une visibilité internationale dans les galeries et les foires. Mais pour moi, c’est comme acheter de la musique sur Spotify, c’est hors de contexte par rapport à un projet complet. » Comment la situation économique du pays influe-t-elle sur le marché de l’art ? « Les gens qui achètent de l’art évoluent dans une sphère à part, totalement immune face à ces fluctuations. » Un constat conforté par l’ambiance allègre dans les allées de la foire.

 

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°500 du 27 avril 2018, avec le titre suivant : SP-Arte danse toujours la samba

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