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ARTS D’ASIE

Printemps asiatique, un essai qui doit encore être transformé

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 26 juin 2018 - 977 mots

La nouvelle manifestation n’a pas entraîné un afflux de clientèle chinoise présente aux ventes publiques ni une augmentation notable des ventes. Pourtant tous les participants plébiscitent l’initiative et souhaitent que l’événement soit réitéré l’année prochaine.

Détail de l'affiche officielle de l’événement.
Détail de l'affiche officielle de l’événement.

Paris. Sur une idée de la galerie Jacques Barrère, galeries, maisons de ventes et opérateurs exerçant à Drouot – réunis sous une même bannière dans différents quartiers de Paris – s’étaient donné rendez-vous du 7 au 17 juin pour fêter l’Asie. Les marchands, surtout, espéraient bien profiter de l’effervescence suscitée par les ventes aux enchères d’art asiatique, nombreuses en cette période dans la capitale française. « Nous avons réussi à regrouper des marchands avec des objets intègres, qui savent ce qu’ils vendent et au prix juste. Compressés entre les ventes de Drouot, d’une part et Christie’s et Sotheby’s, d’autre part, soit près de 7 000 objets mis en vente, il fallait que les marchands puissent sortir leur épingle du jeu », déclarait Jacques Barrère, qui a vu passer des visiteurs chinois et américains, mais aussi des conservateurs. La galerie a vendu au moins six objets, dont un Bodhisattva en calcaire (Chine, grottes de Longmen, Dynastie des Wei du Nord, 386-535) et une tête de bouddha en marbre blanc, Chine, Dynastie des Qi du Nord, VIe siècle, acquis pour quelques centaines de milliers d’euros par des collectionneurs français.

« C’est une belle initiative. Cela formalise quelque chose qui était de fait déjà existant, mais c’est bien de lui donner un cadre. J’ai eu du monde en continu », a commenté Frédéric Rond (Indian Heritage) qui a reçu la visite de nombreux Asiatiques. Spécialisé dans les arts d’Asie du Sud, notamment l’Inde et l’Himalaya classiques et primitifs, il a cédé une dizaine d’objets et pour la première fois, il a vendu un masque bouddhique de monastère en bois à tête d’animal, XVIIIe, provenant du Bhoutan, à un client chinois. « Cela démontre que les goûts évoluent, tout comme la connaissance. Maintenant que les collectionneurs chinois ont “raflé” le marché des bronzes classiques, ils se tournent vers les objets issus des monastères, notamment les objets rituels en bois », explique le marchand. De l’autre côté de la rue Bonaparte, dans le Carré Rive Gauche, Cristina Ortega affirme avoir eu de nombreux visiteurs, notamment des Français et beaucoup de marchands étrangers. « Nous avons revu les collectionneurs, alors qu’on ne les voyait plus depuis un moment. » Plusieurs ventes ont été conclues, notamment en art du Japon, dont un Inro signé Jokasai, à incrustations de métaux divers, vendu à une collectionneuse française. Bertrand de Lavergne a compté beaucoup de visiteurs chinois franchir la porte de sa galerie. Parmi les ventes, il a cédé un poids en biscuit servant à tenir les rouleaux de peinture, à décor de la famille verte, époque Kangxi (1662-1722), ainsi qu’une tabatière en aigue-marine à un particulier parisien.

Un ancrage nécessaire

En revanche, pour d’autres marchands, le son de cloche était un peu différent. Pour Christophe Hioco, « c’était assez calme dans l’ensemble et il ne s’est pas passé grand-chose au niveau des ventes », hormis un jeune collectionneur chinois qui a emporté un bronze du sud de la Chine. Pas démotivé, le marchand espère bien que la manifestation se tiendra à nouveau l’an prochain. Anne Duchange, satisfaite de l’initiative, n’a cependant pas constaté d’augmentation des ventes. « Est-ce que c’est parce qu’il s’agissait d’une première édition ? Difficile de prendre du recul. Il faut laisser à l’événement le temps de s’installer, que le public l’intègre dans son calendrier ». Frantz Fray (Espace 4) établit un constat sans appel : « L’idée est bonne, mais il n’y a personne au rendez-vous. » Le marchand spécialisé en art du Japon a cependant vendu une boîte à tabac en laque de Nagasaki, milieu de l’époque Edo (fin du XVIIIe), issue de l’ancienne collection Gérard Lévy, à décor mythologique représentant une scène de l’Enéide tirée d’une gravure de Jacob Folkema (1692-1767). Dans l’ensemble donc, peu d’amateurs chinois se sont rendus dans les galeries, alors qu’ils étaient présents en masse à Drouot et dans les maisons de ventes pour suivre la vingtaine de vacations organisées à Paris pendant ces dix jours. Pourquoi ont-ils boudé les galeries ? « Ils n’y viennent pas. Ils aiment négocier et préfèrent se rendre dans les salles des ventes qui donne davantage l’impression de faire des affaires », explique Frantz Fray. « Ils aiment montrer qu’ils ont de l’argent et sont fiers de lever la main », a surenchéri Anne Duchange.

Vase Impérial chinois en porcelaine de la famille Rose et époque Qianlong
Vase Impérial chinois en porcelaine de la famille Rose et époque Qianlong

Le phénomène n’est pas nouveau, puisque la clientèle chinoise ne fréquente pas non plus les galeries lors de l’Asia Week New York et de l’Asian Art in London. « Est-ce pour étouffer les marchands afin d’être les seuls acheteurs à tout rafler en ventes publiques ? », avance un marchand qui a souhaité rester anonyme. Pour autant peu d’objets garnissant les nombreuses vacations ont retenu l’attention. À l’exception d’un vase chinois en porcelaine de la dynastie Ming, époque Qianlong (1735-1796) retrouvé dans un grenier et qui a capté tous les regards. Estimé 500 000 à 700 000 euros, il a été adjugé 16,2 millions d’euros chez Sotheby’s Paris, un prix record pour une porcelaine en France.

Le manque de fréquentation pourrait-il avoir un quelconque lien avec la manifestation bruxelloise « Culture » qui accueillait aux mêmes dates une section d’art asiatique et qui aurait fait de l’ombre au Printemps asiatique, empêchant les collectionneurs européens de venir à Paris ? Rien n’est moins sûr. « Cela peut être gênant pour les marchands qui participent aux deux manifestations, mais sinon cela n’a pas eu d’incidence. D’autant plus que Bruxelles et Paris ne sont qu’à une heure de train. Pour l’année prochaine, il serait bien de prévoir quelques jours en commun pour favoriser l’émulation entre les foires », a souligné Cristina Ortega.

Quoi qu’il en soit, l’événement a vocation à se reproduire l’an prochain avec pour défi de faire venir des galeries étrangères, ce qui n’avait pu se faire cette année, du fait d’une organisation tardive.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°504 du 22 juin 2018, avec le titre suivant : Printemps asiatique, un essai qui doit encore être transformé

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