Marché vs critique

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 10 juin 2009 - 506 mots

Le critique d’art est mort, le critique d’art se meurt. Telle est la complainte qu’on entend depuis la prise de pouvoir du marché ces dernières années.

La confusion croissante entre valeur artistique et valeur financière a certes étouffé la voix des critiques. Leur portée médiatique a été affaiblie par la force de frappe des grandes machines communicantes que sont les auctioneers. Elle a aussi été amoindrie par le pouvoir des conseillers. « Dans peu de temps, si rien ne bouge, il ne sera peut-être plus qu’une sorte d’espèce humaine en voie de disparition, écrivait Pierre Cabanne dans Mer…de aux critiques. On ira le voir, dans sa réserve, agiter sa plume comme l’Indien son tomawak, quand il se souvenait de ses hauts faits guerriers. » Pour l’ancien galeriste Stéphane Corréard, leur agonie en France aurait commencé à la mort de Bernard Lamarche-Vadel et se serait achevée avec le décès de Pierre Restany en 2003.
Reste à voir si le coup de mou que connaît aujourd’hui le marché profitera à une contre-attaque de la critique. Pas sûr. « Le critique d’art n’a-t-il pas toujours été celui dont on espère tout, mais auquel on n’accorde jamais assez d’attention ? Celui qui, dans la constellation des activités d’une scène artistique, tient le rôle le plus difficile, le plus idéalisé, le seul qui soit vraiment impossible ? », s’interroge Fabrice Hergott dans le catalogue de l’exposition consacrée à Lamarche-Vadel à l’ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris (lire page 9).

Un troisième larron ?
Si le critique s’insurge souvent contre le marché, il doit souvent en accepter les prébendes. La galerie Emmanuel Perrotin avait ainsi fait appel à des plumes réputées pour son magazine Bing. Le catalogue de la vente YSL-Pierre Bergé réquisitionnait celle d’historiens de l’art renommés comme Margit Rowell ou Yves Alain Bois. Lamarche-Vadel dut s’associer  davantage aux galeries qu’aux institutions qui, pour la plupart, l’ont boudé. Commissaire de l’exposition au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Sébastien Gokalp rappelle que ce critique s’était engagé dans le commerce d’œuvres, revendant avec profit des œuvres échangées contre des textes. « Ce commerce, qui lui permet par ailleurs de faire vivre et d’accroître sa collection, est souvent vécu comme un abandon par les artistes, écrit le conservateur. Lui-même, fier un temps de ses succès commerciaux, finit par regretter la marchandisation de l’art qui annihile la dimension expérimentale au profit d’œuvres commercialisables. » La dérive mercantile n’était pas la seule crainte de Lamarche-Vadel. Celui-ci redoutait surtout la disparition d’une certaine scène française : « Sans doute des plasticiens et des écrivains et des musiciens et des cinéastes en aurons-nous à revendre, et à ce que l’on dit vil prix suffit… Protégeons bien les quelques artistes qui survivent encore en France, ils me font penser à ces aigles royaux dont la fin de ce siècle marque aussi l’extinction dans notre pays. » Les critiques et le marché ont peiné à ce jour à défendre cette scène. Espérons que l’arrivée d’un troisième larron institutionnel, au Palais de Tokyo, changera la donne.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°305 du 12 juin 2009, avec le titre suivant : Marché vs critique

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