Les enchères dans le monde, 2016 dans le sillage de 2015

Par Éléonore Thery · Le Journal des Arts

Le 18 janvier 2017 - 890 mots

Hormis pour la Chine et la France, de nombreux indicateurs signalent une année difficile pour les ventes aux enchères dans le monde, poursuivant la baisse amorcée en 2015. Dans un marché fébrile, la concurrence entre les maisons de ventes s’intensifie.

Après une année 2015 morose pour les ventes aux enchères, en baisse de 9% (source rapport Tefaf), les premiers indicateurs montrent que 2016 n’est guère plus brillante. Mouvementée, contrastée, dévalorisée, l’année n’a pas manqué de rebondissements pour les enchères publiques. Le marché a démarré de façon poussive : si l’on prend uniquement en compte les chiffres de « Fine art » (beaux-arts), au premier semestre, le volume de ventes global a baissé de 15 % par rapport à l’année précédente, pour s’établir à 6,53 milliards de dollars (5,94 Mrd€ [données Artprice]), prolongeant la tendance des six derniers mois de 2015. Christie’s et Sotheby’s n’ont pas encore annoncé leur chiffre d’affaires annuel, mais les montants de leurs grandes ventes du soir organisées à New York et Londres sont tous en baisse sur l’année : – 41 % pour l’art contemporain mais aussi pour l’art impressionniste et moderne, – 21 % pour la peinture ancienne. Dans le même temps, les ventes du soir d’arts d’Asie (comprenant également Hongkong et Paris) plongent de 30 % (1). Ces seuls chiffres pourraient laisser penser que le marché est en train de s’effondrer. La réalité est plus nuancée. D’abord, le marché s’est montré plus dynamique au second semestre alors que les premiers mois de l’année avaient pâti d’un contexte politique incertain. « L’année 2016 a été très contrastée. Le premier semestre a été un peu difficile et le second très actif. Le Brexit et l’“effet Trump” ont pu jouer », constate Francis Briest, président du conseil de surveillance et stratégie d’Artcurial, qui porte un regard sur le chiffre d’affaires mondial. Et bien que les volumes de ventes soient également en baisse au deuxième trimestre, plusieurs indicateurs ont fait état d’une demande forte, comme le démontrent les bons taux de ventes et de nombreux prix enregistrés au-delà des estimations, en art impressionniste, moderne et contemporain. Par ailleurs, le recul du marché est dû en grande partie à la diminution d’œuvres du plus haut segment de marché, qui l’avaient jusque-là fortement soutenu. Aux États-Unis, les trois quarts du chiffre d’affaires réalisé aux enchères ont été générés par seulement 1 % des transactions en 2014 (Artprice). Fait significatif, la Meule (1890-1891) de Monet, vendue 81,4 millions de dollars (75,7 M€), plus haut prix de 2016, n’aurait été qu’à la 6e place du podium en 2015. Aucune enchère n’était non  plus enregistrée au-delà de 100 millions de dollars en 2016, contre 3 en 2015. « Depuis 2013, les œuvres “blue chip” [les chefs-d’œuvre] modernes ont dynamisé le marché. Mais il ne s’agit pas d’un marché régulé, les œuvres y arrivent souvent selon les successions, nous ne sommes pas dans un marché traditionnel », rappelle Francis Briest. Les taux d’intérêt bas n’ont par ailleurs pas incité les collectionneurs à se séparer de leurs trésors.

Un art contemporain moins spéculatif
En art contemporain, si les œuvres phares se sont raréfiées, le nombre de transactions a, lui, progressé de 2,3 % au premier semestre (source Artprice). Les fortes décotes subies par un certain nombre d’artistes contemporains sont quant à elles le signe d’un marché moins spéculatif – les prix de Lucien Smith et d’Hugh Scott-Douglas ont ainsi diminué jusqu’à 90 % depuis 2014. Enfin, ces chiffres en recul doivent également être éclairés à l’aune des mouvements au sein même des maisons de ventes. Un certain nombre de responsables-clés des sociétés sont partis d’une maison à l’autre, emportant leurs précieux fichiers clients. Dans le même temps, les transactions réalisées sur Internet ont poursuivi leur croissance. Sotheby’s annonce ainsi une croissance de 20 % de son chiffre d’affaires réalisé en ligne sur l’année, plus de 50 % de ces collectionneurs étant de nouveaux acheteurs.

Enfin, si l’année a été relativement médiocre pour New York et Londres, très dépendants du segment haut de gamme et de la frange la plus spéculative du marché, il n’en a pas été de même partout. Ainsi, de façon inattendue, la Chine a regagné la place de leader mondial pour le « Fine art » au premier semestre, avec un volume d’activité en hausse de 20 % (données Artprice), soit 35 % des enchères publiques (26,8 % pour les États-Unis). « Poly Auction, qui fête ses 10 ans, annonce une hausse de son chiffre d’affaires de 15 %, contre plus de 20 % pour China Guardian », annonce Hadrien de Montferrand, galeriste à Pékin. « Le marché prend en maturité et se professionnalise. Aussi, en Chine, la percée de l’art contemporain est encore restreinte, et la marge de développement est forte. Enfin, une nouvelle classe de collectionneurs est en train d’émerger », poursuit le spécialiste. Le marché français, quant à lui, se porte bien. D’après Francis Briest, « le marché contemporain y est plus faible qu’ailleurs, or c’est celui qui a beaucoup bougé. Paris a aussi bénéficié de collections quand New York et Londres ont attendu en vain des chefs-d’œuvre ». Quand la faiblesse se transforme en force.

Note

(1) comparatif 2015-2016, calculé en euros et réalisé à partir des grandes ventes du soir de Londres et New York chez Christie’s et Sotheby’s, hors ventes de collection et ventes « curated by ».

Légende photo

Le soir de la vente de La Meule de Monet chez Christie's à New York. © Christie's Images Ltd.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°471 du 20 janvier 2017, avec le titre suivant : Les enchères dans le monde, 2016 dans le sillage de 2015

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