Galerie

ART CONTEMPORAIN

L’air G.R.A.V.

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 1 mars 2022 - 869 mots

PARIS

La Galerie Denise René remet au goût du jour le Groupe de recherche d’art visuel, qu’elle exposa pour la première fois en 1961, tout en complétant la sélection d’œuvres de l’époque par des pièces récentes des anciens membres.

Paris. Certains jouissent d’une grande reconnaissance comme François Morellet, Julio Le Parc, d’autres sont moins connus tels Joël Stein, Yvaral. Mais quel que soit leur niveau de notoriété, on a un peu oublié qu’avec leurs deux autres compères, Francisco Sobrino et Horacio García-Rossi, ces six artistes ont été les membres fondateurs du G.R.A.V., le Groupe de recherche d’art visuel.

Au moment de l’« Acte de fondation », daté de juillet 1960, que le visiteur peut découvrir dans une vitrine de l’exposition, le groupe ne s’appelle pas encore G.R.A.V. mais « C.R.A.V. », pour « Centre de recherche d’art visuel ». Ils entendent, comme on peut le lire, « confronter leurs recherches personnelles ou de petits groupes afin de les intensifier », « unir leurs activités plastiques, efforts, capacités et découvertes personnelles dans une activité qui tende à être celle d’une équipe », « dominer ainsi l’attitude traditionnelle du peintre unique et génial, créateur d’œuvres immortelles ». Parallèlement à une forme de revendication impertinente bien dans l’esprit, à l’époque, de ces jeunes artistes, il y a une volonté d’expérimenter le mouvement, la lumière, le volume et les structures modulables en incluant la participation des spectateurs dans le cadre (si l’on peut dire) d’un activisme social et d’une réflexion sur la géométrie, typique de l’art cinétique.

C’est d’ailleurs parce qu’il a vu une expo de Vasarely en Argentine que Julio Le Parc (le seul aujourd’hui encore vivant, âgé de 93 ans !) décide de venir à Paris. Il écrit à Denise René qui l’accueillera. Vasarely, quant à lui, fera le lien entre les différents artistes et leur donnera même accès son atelier et à ses recherches. Jusqu’à ce que Denise René, dont la galerie est alors rue La Boétie (Paris-8e), organise la première exposition du groupe en mai 1961. Comme une suite, en quelque sorte, de l’exposition « Le Mouvement » qu’elle a organisée en 1955 avec Agam, Soto, Vasarely…

L’aventure du G.R.A.V. va durer un peu plus de sept ans, jusqu’au 15 novembre 1968, date de la dissolution du groupe décidée à l’unanimité de ses membres. Car entre-temps, ils ont (un peu) vieilli et le Grand Prix de la Biennale de Venise obtenu par Julio Le Parc en 1966 va justement, en faisant nettement sortir une tête du rang, modifier la donne et ébranler l’entente collégiale. Fini le groupe, c’est dorénavant chacun pour soi. À la fin de l’important catalogue publié à l’occasion de l’exposition que le centre d’art contemporain de Grenoble, Le Magasin, a consacré au G.R.A.V. à l’été 1998, on peut lire l’avis donné par chacun sur l’arrêt du groupe. Et notamment celui du facétieux Morellet : « être en ménage à six pendant huit ans sans divorce ni nouveau mariage finit par être immoral et conservateur […] Ma proposition faite il y a huit ans pour supprimer définitivement toute “signature” individuelle pour les membres du groupe ayant été rejetée, il était inévitable que le groupe disparaisse quand les succès individuels apparaîtraient. On s’est quand même bien marrés ».

Le G.R.A.V. hier et aujourd’hui

Denis Kilian, neveu de Denise René et directeur de la galerie depuis la mort de sa tante en juillet 2012, se souvient très bien, alors qu’il était enfant, de l’aventure de ce collectif. C’est la raison pour laquelle il a eu envie de s’y replonger en organisant cette exposition. Mais, comme son titre l’indique, « Les artistes du G.R.A.V. », Denis Kilian, loin de se cantonner au groupe et à sa stricte période d’activité, a élargi le regard et la proposition à ce que sont devenus ces artistes en poursuivant leur carrière de façon individuelle.

Composée d’une petite trentaine de pièces, la sélection propose ainsi pour chacun des œuvres de la période du G.R.A.V. et d’autres ultérieures pour montrer leur évolution et leur singularité. François Morellet en est un bel exemple avec une sculpture datée de 1965, composée d’un fil avec un mouvement ondulatoire, et, non loin, un néon rouge Contorsions no 12 réalisé en 2008. De même Julio Le Parc, avec un mobile vertical de 1963-1965 et une peinture sur toile Alchimie 491 réalisée en 2021. Ou encore Joël Stein, qui fut toujours l’intellectuel, le chercheur du groupe, avec une gouache sur papier de 1960 confrontée à l’un de ses tableaux sans titre, avec doubles cylindres jaune et bleu de 2012.

Compris entre 11 000 euros pour une gouache sur papier (1959) de García-Rossi et 345 000 euros pour le mobile de Le Parc, avec entre les deux une toile d’Yvaral à 75 000 euros ou le néon de Morellet à 110 000 euros, le grand écart de prix se justifie par la date des œuvres et surtout la reconnaissance de leurs auteurs dont les carrières ont connu des fortunes différentes, entre d’un côté Morellet ou Le Parc, de l’autre Stein ou García-Rossi. Un Le Parc qui, ne pouvant pas venir le jour du vernissage, a envoyé un petit mot où l’on peut lire à propos du G.R.A.V. : « Partie aiguë de ma vie, Noyau de mon travail, Intense relation collective… Avant le G.R.A.V., pendant le G.R.A.V. ; le G.R.A.V. toujours en moi ».

Les artistes du G.R.A.V.,
jusqu’au 19 mars, Galerie Denise René, espace marais, 22, rue Charlot, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°583 du 18 février 2022, avec le titre suivant : L’air G.R.A.V.

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