Photographie

Juergen Teller, l’enfant terrible de la photo

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 7 février 2018 - 1031 mots

Au-delà de leur esthétique extravagante et facétieuse, les clichés du photographe allemand enchantent la galerie Suzanne Tarasieve de leurs récits minutieusement construits.

Paris. Le 11 janvier dernier, peu avant le vernissage de Leg, Snails and Peaches de Juergen Teller à la galerie Suzanne Tarasieve, il régnait une certaine fébrilité dans l’après-midi. Au rez-de-chaussée de la galerie, la moitié des espaces sert aux dernières séances de shooting de mode du photographe pour Pop Magazine. Dans les autres pièces attenantes, on s’active aux dernières retouches de peinture ou ajustements de lumière. Est surtout attendue l’arrivée du cheval. « Quel cheval ? », demande-t-on en cherchant en vain le lien avec les images de Leg, Snails and Peaches (en français Jambe, escargots et pêches) sur les murs. « Pour le shooting de Pop Magazine», vous glisse-t-on sans s’étendre. L’arrivée du cheval dans la rue Pastourelle n’est effectivement pas passée inaperçue, pas plus que les multiples prises de vue de Juergen Teller en selle. Dans son ample et long manteau de fourrure, bonnet rose fluo et air farouchement assuré, il avait de l’allure. La vision le mettant en scène sur le cheval avec Suzanne Tarasieve rayonnante, tout de blanc vêtue à ses côtés, ne manque pas de piquant. Juergen Teller comme Suzanne Tarasieve partagent la même énergie décomplexée, percutante et subversive, le même goût pour la vie aussi.

Sa signature, un univers déjanté épris de liberté

Leur entente va de soi. C’est Boris Mikhaïlov, autre artiste représenté par la galeriste, qui les a d’ailleurs mis en relation il y a sept ans. Pour Juergen Teller, si Suzanne Tarasieve comprenait les photographies de son ami Boris Mikhaïlov, elle était capable de comprendre les siennes. Depuis, leur rencontre s’est muée en une profonde amitié à la complicité tonique, réjouissante et facétieuse. Le portrait de Suzanne Tarasieve à Hydra, réalisé durant l’été 2017 pour Vogue Italia, mis en devanture de la galerie, affiche la belle liberté de l’un comme de l’autre. En maillot deux pièces noir, collant et bottes rouges sur fond de ciel bleu pétant et devant le slogan Welcome Refugee bombé sur un garde-corps en béton, la galeriste bras levés a des allures de Wonder Woman diablotine.

Dans son texte pour Leg, Snails and Peaches, le critique d’art Éric Troncy rappelle un des conseils génériques que Juergen Teller donne à ses étudiants de l’Akademie der Bildenden Künste de Nuremberg « To take photos, you have to love life, then you can photograph anything » (« quand vous prenez une photo, vous devez aimer la vie, alors vous pouvez photographier n’importe quoi »). Ses dernières images exposées à la galerie n’y dérogent pas. On y retrouve le goût de Juergen Teller pour la mise en scène de situations transgressives, critiques ou allégoriques, dans lesquelles il apparaît parfois dans des postures incongrues et décalées. Un humour dont le titre de l’exposition ne manque pas, ni la photographie grand format qui donne son nom à l’exposition. Juergen Teller y apparaît au sol, plongé dans une semi-léthargie et vêtu d’un sweat-shirt à l’effigie du drapeau de l’Union européenne, tronqué d’une étoile après la sortie de l’Angleterre. Short orangé, baskets au pied, portable à la main, arrêté sur la fonction photo et escargot géant d’Afrique sur la jambe gauche, le photographe gît dans un décor réduit à quelques pêches éparpillées et des gastéropodes disséminés. Le Brexit vu par Juergen Teller s’incarne dans une scène ubuesque, totalement fantaisiste comme les affectionne le photographe allemand et qui ont fait son succès auprès des grandes marques ou magazines de mode qui se l’arrachent depuis quelques années.

L’artiste se joue des codes, des névroses, des excès de la mode et plus généralement de la société, tout en affirmant ce qu’il aime : le corps humain, la nature, les animaux, sa famille et ses amis, une nouvelle fois devenus les personnages ou éléments d’une mosaïque de récits aux allures de fables – particulièrement dans cette troisième exposition à la galerie Suzanne Tarasieve. Dans des autoportraits, des mises en scène de ses proches, des portraits de comédiennes, mannequins ou chanteuses célèbres posant dans des attitudes étranges en rupture avec l’image qu’elles véhiculent, il raconte une histoire au fil des parutions ou des accrochages. Sa dernière série de portraits inédits voit ainsi l’actrice Béatrice Dalle poser délicatement sa bouche contre l’écorce d’un arbre ; Charlotte Rampling assise en retrait avec un renard dans les bras dans un décor de béton ; ou Kristin Scott Thomas à la mine fatiguée vêtue d’un sweet-shirt imprimé du drapeau de l’Union européenne amputé d’une étoile. Le focus sur le mamelon rosé du mannequin vedette Raquel Zimmerman, tiré en grand format, s’affiche quant à lui aux côtés de marcassins tétant leur mère.

Escargots et grenouilles composent une allégorie

Les juxtapositions d’images constituent d’autres allégories ou hyperboles auxquelles n’échappent pas dans la galerie la photographie de Leg, Snails and Peaches, encadrée d’un portrait grand format d’une grenouille sortant d’une bouche (Blaine, Blaine, Blaine) et d’un autre du photographe au visage « entubé » et méconnaissable après une opération. Les photographies réalisées dans le cadre ou non de commandes, de voyages personnels – comme le dernier à Oman – se mélangent sans que l’on puisse les distinguer les unes des autres, si ce n’est par leur légende.

Dans cet univers tendrement loufoque et déjanté, gastéropodes et amphibiens se retrouvent aussi devant l’objectif, scrutent, se déplacent ou s’accouplent. Les compositions mêlant escargots, pêches et mollets dénudés du photographe flanqué de ses éternelles chaussettes tordent le cou aux natures mortes, pendant que l’enchanteresse forêt primaire de l’immense Paradise II (152,4 x 228,6 cm), couverte de lichens et de mousses, absorbe littéralement le spectateur. Réalisée au Canada en 2017, cette photographie vendue 33 000 euros et limitée à trois tirages est la dernière édition disponible.

Les prix des photographies de Juergen Teller sont à l’image de son succès auprès des collectionneurs privés ou institutionnels, ils ne faiblissent pas. Légèrement en hausse par rapport aux deux dernières expositions de la galerie, ils s’échelonnent de 6 000 à 33 000 euros selon le format et le nombre d’éditions qui ne dépasse jamais cinq. Dans la fourchette haute, il faut compter par exemple 30 000 euros pour être foudroyé par la première édition du portrait de Suzanne Tarasieve à Hydra.

informations

Juergen Teller, Leg, snails and peaches,

jusqu’au 6 mars, 7, rue Pastourelle, Galerie Suzanne Tarasieve, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°494 du 2 février 2018, avec le titre suivant : Juergen Teller, l’enfant terrible de la photo

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