Faux - Police

Giuliano Ruffini, l’ancien propriétaire de la Vénus attribuée à Cranach saisie par la police se confie au JdA

Par Vincent Noce · lejournaldesarts.fr

Le 14 avril 2016 - 981 mots

PARIS [14.04.16] - Un mois et demi après la saisie à Aix-en-Provence d’une Vénus attribuée à Cranach, son ancien propriétaire – Giuliano Ruffini - sort du silence pour un entretien exclusif avec Le Journal des Arts.

Lors de son passage à Paris, en présence de ses avocats, Mes François Gibault et Philippe Scarzella, ce septuagénaire résidant aujourd'hui à Malte, a bien voulu aborder le sort de la Vénus attribuée à Lucas Cranach, qu’il possédait autrefois et fut acquise en 2013 par le duc de Liechtenstein avant d’être saisie le 1er mars par l'office central de lutte contre le trafic des biens culturels. Il a également longuement évoqué le sort d’autres chefs-d’œuvre qui proviennent de sa collection. Il énumère les tableaux passés entre ses mains, qui ont, selon les cas et les périodes, été donnés comme copies ou originaux des Bruegel, de Hals, Gentileschi, Corrège, Van Dyck, Greco, Vélasquez, Parmesan, Bronzino, Grimmer, Coorte et d’autres encore. Certains ont obtenu des prix faramineux sur le marché londonien.

Vincent Noce : Vous vous présentez comme collectionneur et pourtant vous avez vendu des oeuvres importantes, tel ce Frans Hals passé par le Louvre.
Giuliano Ruffini : Moi, je suis amateur de tableaux et collectionneur, pas marchand. Mais il arrive que, au bout d’un certain nombre d’années, je me lasse d’un tableau, et alors j’aime en changer et je le vends pour en acheter d’autres. Le portrait d’homme de Hals dont vous me parlez je l’ai acheté en 2000 en France de l’ami d’un duc, ambassadeur aux Pays Bas, pour 7 ou 8 000 €. Je l’ai montré à Diaz Padron (1), qui n’y croyait pas; mais moi, je le trouvais intéressant et je l’ai donc proposé comme « école de Frans Hals ». J’ai contacté Christie’s qui l’a étudié et l’a montré au conservateur du Musée de Haarlem (2) qui l’a authentifié comme un tableau de Hals, faisant partie d’une série de trois autres portraits du peintre. Puis Christie’s, qui voulait le vendre à New York, l’a montré au Louvre qui en a bloqué la sortie considérant que c’était un « Trésor national ». Le musée m’a demandé de le garder un mois pour le faire examiner par son laboratoire (3). Finalement, il n’a pas réuni les fonds. Personne n’a jamais prétendu que ce tableau était faux… au contraire tout le monde voulait l’acheter ! Il avait été évalué 5 millions d’euros avant qu’il ne soit bloqué par la Direction des Musées de France. Je l’ai vendu en 2010 à Mark Weiss, sans garantie d’attribution.

Le même marchand de Londres a aussi acquis un Gentileschi ?
Ce tableau, je l'ai obtenu indirectement d'une collection française, celle d'André Borie. J’étais assez dubitatif parce que c’est une œuvre sur lapis-lazuli plus difficile à dater qu’une œuvre sur toile et je croyais plutôt avoir entre les mains un tableau du XVIIIe. Finalement, elle a été attribuée par les trois grands experts de Gentileschi (4). La Galerie Weiss l’a acquise en 2012.

Le fameux Cranach provient-il aussi de cette collection ?
Cette petite « Vénus » je l’ai gardée très longtemps… depuis 1973, et j’ai toujours cru qu’il s’agissait d’une copie d’époque, car c’est une peinture sur chêne or, dans mon souvenir, Cranach peignait sur tilleul. Donc, pour moi, c’était sans doute une très belle copie flamande, mais une copie. Cela a été une découverte incroyable d’apprendre que les experts l’avaient attribué à Cranach l’Ancien mais, dans cette transaction, j’ai été floué par les intermédiaires à qui je l’avais confiée fin 2012 pour « expertise et vente »… C’est une longue histoire qui fait l’objet d’un procès en cours.

Il y a aussi un portrait d’après Vélasquez affichant la même provenance...
J’ai une lettre de Perez Sanchez (5) disant que c’est la plus belle de toutes les copies connues. Je n’ai jamais voulu le vendre comme un Vélasquez. Je l’ai confié pour étude à Bernheimer en 2013 (6), mais il ne l’a pas vendu, je l’ai récupéré.

Que dire de cette collection Borie ?
Andrée Borie était une femme merveilleuse avec laquelle j’ai été très liée pendant huit ans. Nous partagions une même passion pour la peinture et, pendant un temps, nous avions ouvert une petite galerie près de la Place de Vosges. Nous avons vécu ensemble à Paris puis à Villefranche-sur-mer, où elle est décédée d’un infarctus en 1980. Au cours de notre relation, elle m’a vendu plusieurs tableaux provenant de la collection de son père, André Borie, et elle m’en a donné d’autres.

La facture ne comporte pas de prix.
A l’époque, on ne mettait pas de prix. C’était une affaire privée. C’était à la parole donnée.

Mais personne n’a jamais entendu parler de cette collection.
Il y a des collections privées qui ne se font pas connaître. La preuve, la mienne ! Je connais une collection en Italie riche de 400 tableaux, personne ne la connaît.

Auriez-vous des photographies des tableaux dans leur maison ?
J’avais toute une valise de photos, malheureusement ma femme a tout jeté.

Pourquoi faire appel à des intermédiaires pour vendre de tels chefs-d’œuvre ?
Je suis collectionneur, pas commerçant. Je parle très peu anglais. J’aime la peinture, mais je n’ai pas leur culture. Le contrat signé avec Christie’s pour le Hals spécifie que j’en « garantis la propriété et l’origine », en aucun cas « l’attribution et l’authenticité ». Je n’ai pas compétence pour cela, ce travail revient aux marchands et aux experts.

Notes

(1) Matías Díaz Padrón, ancien conservateur au Prado, spécialiste de la peinture nordique.

(2) Quentin Buvelot, auteur avec Blaise Ducos du Louvre de l’article présentant la découverte du tableau en 2014 dans le Burlington.

(3) Le laboratoire de recherche des musées de France.

(4) Francesco Solinas, Roberto Contini, Mina Gregori

(5) Alfonso Emilio Pérez Sánchez (1935-2010), qui fut directeur du Prado.

(6) Le marchand dont la galerie à Londres, Colnaghi, a vendu la Vénus au prince du Liechtenstein.

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