Authenticité

Doutes sur le « Cranach » du prince de Liechtenstein

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 29 mars 2016 - 517 mots

La Vénus du prince de Liechtenstein est priée de se dévoiler au laboratoire des musées de France.

Celui-ci a été mandaté par la juge Aude Buresi pour déterminer si le panneau saisi le 1er mars à Aix-en-Provence, (où il était exposé à l’hôtel de Caumont), daté de 1531 et portant la marque de Cranach, serait un faux.

Un marchand français, qui a souhaité être appelé de son prénom, Giordano R., a révélé avoir été propriétaire de ce chef-d’œuvre, mais aussi d’une demi-douzaine d’autres apparus ces dernières années. Il explique avoir obtenu la plupart de ces œuvres dans les années 1970 d’une amie, Andrée Borie, fille d’un André Borie, dont la collection est demeurée un secret bien gardé. Son avocat, Me Philippe Scarzella, relève à juste titre qu’il « n’a pas été inquiété par la justice » et que, « même s’il y avait des doutes sur l’origine, cela ne signifierait pas qu’il s’agisse de faux ». Souhaitant rester discret, ce marchand a préféré confier les ventes à divers intermédiaires, avec lesquels il s’est régulièrement brouillé. Il en a ainsi assigné deux devant le tribunal de Paris, en les accusant de l’avoir dépouillé du prix de la Vénus au voile. Après plusieurs changements de main, elle a été achetée pour 3,2 millions d’euros en mars 2013 par Konrad Bernheimer, de la galerie Colnaghi, qui l’a revendue au prince de Liechtenstein en juillet pour 7 millions d’euros. La question des certificats d’exportation qui l’ont accompagnée dans ses périples reste ouverte.

Une « origine obscure »
Bernheimer en affirme toujours l’authenticité, fort des attestations du spécialiste Werner Schade à Berlin et des conservateurs bâlois Bodo Brinkmann et Dieter Koepplin. Néanmoins, le Musée de Bâle s’est bien gardé de l’acquérir. Dans des mails qu’ils ont échangés, ces conservateurs avouent du reste leur perplexité devant une « œuvre aussi déroutante », retenant l’hypothèse qu’elle puisse être un « original largement repeint ». D’autres ont été plus circonspects encore. Le galeriste londonien Mark Weiss nous a confirmé avoir failli acheter le panneau, pour 9,5 millions d’euros selon nos informations, avant de se raviser « en raison de son origine obscure ». Il eut aussi vent des interrogations des conservateurs, mais aussi du refus de Christie’s d’accepter l’œuvre, après expertises.

La maison de ventes s’est particulièrement illustrée, puisqu’elle a décliné trois des peintures en cause : la Vénus, un David avec la tête de Goliath peint sur lapis-lazuli, attribué à Orazio Gentileschi, et un portrait d’homme, donné à Frans Hals. Ces deux œuvres ont été achetées par Mark Weiss. Il trouve « cette affaire absurde », en soulignant l’exceptionnelle beauté de ces toiles, mais aussi l’engagement des grands musées. En 2008, le Louvre a fait classer trésor national ce « magistral portrait de Frans Hals, en excellent état de conservation », allant jusqu’à lancer une souscription pour l’acquérir. Les 5 millions d’euros n’ayant pas été réunis, il a été vendu à un Américain. Révélé à la Fondation Maillol, le David a été exposé par la National Gallery de Londres, qui l’a décroché la semaine suivant la saisie d’Aix-en-Provence, pour le rendre à son propriétaire britannique.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°454 du 1 avril 2016, avec le titre suivant : Doutes sur le « Cranach » du prince de Liechtenstein

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