Galerie

Des producteurs d’œuvres complexes

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 26 mars 2018 - 807 mots

Le Bouquet de tulipes de Jeff Koons a mis en lumière le métier encore méconnu, mais en développement, choisi par les anciens galeristes de l’artiste et quelques autres acteurs : producteur d’œuvres d’art.

Alors que le don d’une sculpture de Jeff Koons à la Ville de Paris a fait couler beaucoup d’encre, il a également mis en lumière un métier rare, exercé par les ex-galeristes de l’artiste, Emmanuelle et Jérôme de Noirmont : producteur de projets artistiques complexes. Faut-il le rappeler, après les attentats du Bataclan en novembre 2015, quand l’ambassade des États-Unis à Paris avec à sa tête Jane D. Hartley décide de faire un geste à l’égard des Parisiens et sollicite Jeff Koons, les Noirmont entrent rapidement dans le jeu. « Jane D. Hartley s’est tournée vers nous et, dès janvier 2016, nous nous sommes retrouvés au cœur du projet, faisant le lien entre l’ambassadrice, l’artiste et la directrice du fonds de dotation de Paris », se souvient Emmanuelle de Noirmont. L’artiste conçoit son Bouquet of Tulips et la mairie de Paris propose plusieurs sites pour accueillir la future sculpture. Les Noirmont argumentent en faveur d’un lieu « symbolique » : place de Tokyo, entre deux avenues portant le nom de présidents américains, mais surtout entre deux institutions majeures, le Musée d’art moderne de la Ville et le Palais de Tokyo, conférant une légitimité muséale au travail de Koons.

Faire le lien

Le site est inscrit, mais les Noirmont obtiennent un accord verbal des architectes des Bâtiments de France. L’artiste définit alors la taille de sa sculpture en fonction du décor : soit une œuvre monumentale de 33 tonnes et 12 mètres de haut, dont le coût de production s’élève à 3,5 millions d’euros. Ses ex-galeristes, qui mènent une vingtaine de projets par an pour le compte de galeries ou d’institutions au sein de leur structure Noirmont Art Production, vont alors rechercher le mécénat financier, assurer les avances de fonds, suivre la production dans les ateliers de fabrication allemands où Jeff Koons a ses habitudes. « Nous avons réduit les coûts au maximum, car nous sommes spécialisés dans les grosses productions », poursuit celle qui a par exemple permis au Panorama d’Eva Jospin de voir le jour en 2016 dans la cour carrée du Louvre.

Pour Emmanuelle de Noirmont, ce nouveau métier est appelé à se développer. « Le marché prend de plus en plus de temps aux galeries, et les institutions ont de moins en moins de budget. C’est pourquoi nous nous sommes lancés dans la production, qui occupe une part croissante de l’accompagnement artistique, en intervenant en sous-traitance sur des opérations exceptionnelles », précise-t-elle.

Après le public, le privé

Si les Noirmont ont un modèle économique assez spécifique, car ils lancent souvent leurs propres projets selon l’intérêt stratégique des artistes et avancent les fonds pour la production d’œuvres qui seront ensuite vendues par les galeries, d’autres opérateurs se sont en revanche créés pour répondre à de grands événements publics festifs ou à des commandes d’art dans des espaces privés. Ainsi la société de produciton Arter a mis son savoir-faire au service de l’Observatoire de la lumière de Daniel Buren sur les ailes de la Fondation Vuitton, le créateur de projets artistiques Manifesto de la suspension de Julio Le Parc au centre commercial Muse près du Centre Pompidou Metz, l’agence Eva Albarran de Monumenta 2014 avec les Kabakov, Artevia de l’exposition de préfiguration de l’ancien R4, etc.

La diversité des matériaux utilisés par les artistes et la multiplication des musées privés vont-elles susciter de nouvelles vocations ? « Coordonner tous les aspects techniques et administratifs liés à l’installation d’une commande, c’est le cœur de notre métier. Nous travaillons beaucoup avec le public, mais aussi avec le privé, comme en témoignent ces commandes artistiques réalisées pour le groupe Apsys. Je pense qu’il y a la place pour plusieurs agences artistiques, en revanche il n’est pas sûr que les collections privées y fassent appel, car elles peuvent avoir des équipes en interne », estime Eva Albarran, fondatrice de l’agence éponyme. C’est le cas par exemple à la Fondation Luma à Arles ou au Palazzo Grassi à Venise. Les artistes eux-mêmes produisent parfois dans leurs ateliers, comme Anselm Kiefer ou Nathalie Decoster.

Pour autant, Hervé Digne, cofondateur de Manifesto, qui se définit comme « assistant à maître d’ouvrage culturel » et a piloté la constitution du Fonds de dotation du Grand Paris Express, est plus affirmatif. « Longtemps, ceux qui avaient les budgets étaient les collectivités publiques, lesquelles se tournaient vers des agences d’ingénierie culturelle. Aujourd’hui, les patrons collectionneurs qui ont leurs propres instruments juridiques avec les fondations ou les fonds de dotation deviennent à leur tour un marché. Et ils veulent alors traiter avec des interlocuteurs qui connaissent les impératifs de l’entreprise : choisir une œuvre explicable au personnel, acceptée par les actionnaires, conforme à l’intérêt social… » Et qui soient capables de valoriser les racines créatives de leur marque.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°711 du 1 avril 2018, avec le titre suivant : Des producteurs d’œuvres complexes

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