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Ces précieux invités des maisons de ventes

Par Éléonore Thery · Le Journal des Arts

Le 6 juillet 2016 - 1056 mots

Pour réveiller un catalogue qui manque de lots phares, pour pimenter une vente un peu morne, les opérateurs de ventes volontaires ont trouvé une solution : la « guest-star ».

PARIS - Dans l’entrée de Drouot, une tête indonésienne est confortablement installée sur un foulard en soie aux couleurs bariolées, une statue aborigène semble lorgner sur une paire d’escarpins rouges, tandis que s’étale une vaisselle colorée sur fond de papier peint palmier. L’ensemble est juché sur les chariots des manutentionnaires intégralement repeints en rose fluo. « Le personnel avait l’impression qu’on transformait leur matériel en chariots de Barbie, mais finalement, ils ont bien aimé l’ensemble », relate Valéry-Rose Pfeifer, qui intervenait le 4 juin dans le cadre de l’opération « Mon samedi à Drouot », en collaboration avec Tiphaine Mangan, créatrice de meubles. La jeune femme, qui s’auto-définit comme une « chasseuse de cool », avait pour mission de sélectionner des pièces dans les diverses ventes du samedi et de les exposer au rez-de-chaussée du bâtiment, dans une mise en scène originale. Devant cette composition jouant avec l’« envers du décor » des ventes, un habitué du temple bougonne, l’air sceptique, alors que deux jeunes filles qui n’ont jamais mis les pieds dans l’établissement se réjouissent d’aller voir enfin ce qui s’y trame.

Les cartes blanches, artistes invités ou catalogues « curated », autrement dit des vacations pour lesquelles des personnalités sont conviées à intervenir, se répandent parmi les maisons de ventes. Drouot s’y attelle tous les premiers samedis du mois ; Artcurial sollicite les décorateurs India Mahdavi ou Chahan Minassian pour ses ventes « Demeures d’époque et de style » ; Piasa a proposé des sessions « curated by » l’artiste Mathieu Mercier, l’architecte et expert Alain-Dominique Gallizia ou le galeriste René-Julien Praz. Christie’s convie l’architecte d’intérieur Nicolas Dufour ou le paysagiste Louis Benech pour son catalogue « Interiors » et Sotheby’s a suivi le mouvement l’hiver dernier avec une invitation à la créatrice de bijoux Aurélie Bidermann dans le cadre de sa vacation « Now ! ». Si le principe est très en vogue, il n’est guère révolutionnaire : dès 2007, Drouot proposait pour ses ventes de prestige des cartes blanches à des collectionneurs, de Pearl Lam à Guillaume Houzé.

Derrière un nom apposé sur un catalogue, ces personnalités interviennent à des degrés divers. Souvent, il s’agit de procéder à une sélection de quelques lots dans une vente, lots qui seront spécialement mis en avant. Pour Artcurial, Chahan Minassian a choisi une petite dizaine de pièces parmi les près de 300 de la vente de mi-saison du département mobilier et objets d’art, louant dans le catalogue « l’élégance des lignes pour la sobriété de l’écriture » d’un bureau de style Louis XVI, ou décrivant comme « l’exemple même de l’esthétique du XVIIIe siècle voyageant dans le temps pour une identité nouvelle » une table de milieu de la maison Jansen. Chez Christie’s, ces invités mettent également en scène leur sélection. « Louis Benech a reconstitué des décors. Il s’est bien amusé dans le garde-meuble », raconte Lionel Gosset, directeur du département collections. À voir le paysagiste habillé en tenue de pilote et installé dans une voiture à pédale, on n’en doute guère.

Une “touche de glamour”
Chez Piasa, le genre est poussé un peu plus loin, au regard des interventions de Mathieu Mercier dans le domaine des multiples. « Le curator intervient à l'origine du processus : sur le choix des œuvres, le montage du catalogue et la scénographie. Il crée une cohérence esthétique et stylistique, en accord avec son regard, le thème de la vente et l'ADN de Piasa », explique Frédéric Chambre, directeur de Piasa, qui précise que ses invités ne s'occupent ni des prix ni des estimations.

Pourquoi faire appel à des personnalités extérieures plutôt qu’à des ressources internes ? Virginie Burnet, ancienne directrice de la communication de Drouot, explique à propos des « Temps forts » : « Cette exposition de groupe organisée deux fois par an finissait par somnoler un peu et nous n’avions pas pu la faire voyager à l’étranger, aussi nous avons monté ce dispositif qui lui apportait une touche de glamour. » De son côté, Lionel Gosset précise : « En relançant les ventes “Intérieurs”, j’ai décidé de leur associer des “tastemakers”, qui peuvent apporter leur goût, leurs idées, leur image. Ils permettent un nouveau regard sur des ventes qui sont très éclectiques. »

Pallier un manque d'unité
Éclectiques, la plupart de ces ventes le sont souvent, outre qu’elles réunissent des lots de qualité moyenne. Les invités peuvent alors servir à pallier un manque d’unité ou de pièces de premier choix. Ces personnalités permettent encore de redorer le blason de spécialités en perte de vitesse : ainsi des ventes « Demeures d’époque et de style » chez Artcurial. « La participation de Chahan Minassian confirme l’attractivité du mobilier classique dans nos intérieurs contemporains », observait ainsi Isabelle Bresset après cet évènement organisé en avril dernier. Les maisons entendent également bénéficier du réseau de l’invité. « L'objectif est de faire venir une population peu habituée aux enchères », indique Pauline de Montgolfier, actuelle responsable des relations médias. Attirer un nouveau public était manifestement l’optique de Sotheby’s lorsque la maison a monté, en sus de l’invitation faite à Aurélie Bidermann, un bar éphémère et une soirée avec DJ dans ses locaux en guise de vernissage de la vente « Now ! ». La question de l’image est centrale, même si Frédéric Chambre s’en défend. « L'intervention d'une personne ne se résume pas uniquement à cautionner telle ou telle vente », assure le commissaire-priseur. À noter que la collaboration est une aubaine, car pour leur grande majorité ces sociétés ne rémunèrent pas ces contributions. « Nous pouvons bien entendu imaginer une rémunération par rapport aux résultats, chaque collaboration s'étudie au cas par cas », concède Frédéric Chambre.

Difficile d’évaluer l’impact de ces invitations. Ces opérations bénéficient d’un traitement médiatique plus étendu, ce qui permet alors d’attirer les curieux, et parfois des néophytes. « Alors que nous comptons plutôt 2 500 personnes chaque samedi, nous en dénombrons jusqu'à 3 500 lors de “Mon samedi à Drouot”. Et ce sont des visiteurs que nous ne voyons pas d’habitude », explique Pauline de Montgolfier. Chez Christie’s, une affluence particulière a également été constatée. « Louis Benech fait déplacer les foules », s’amuse Lionel Gosset. Par ailleurs, les pièces qui ont bénéficié du coup de projecteur de la part des invités se vendent globalement mieux. Les lots sélectionnés par India Mahdavi chez Artcurial l’an dernier se sont ainsi arrachés, comme ce Christ du XVIe siècle estimé entre 600 et 1 000 euros et parti à 10 400 euros. Mais le reste des lots ne bénéficie que peu de la lumière de ces guest-stars.

Légende Photo

Mise en scène de la carte blanche aux décoratrices Valéry Rose Pfeifer et Tiphaine Mangan dans le cadre de "Mon samedi à Drouot", le 4 juin 2016 © Drouot

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : Ces précieux invités des maisons de ventes

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