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Catalogues de vente aux enchères : de l’originalité des photos d’œuvres

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 17 septembre 2013 - 962 mots

La protection par le droit d’auteur de photographies d’œuvres d’art s’avère fortement conditionnée et rarement reconnue, en raison de la finalité même des catalogues de vente aux enchères.

Un arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 juin 2013, non définitif – la société Artprice.com s’étant pourvue en cassation – reconnaît l’originalité de photographies d’œuvres d’art incluses dans des catalogues de vente aux enchères et les droits auxquels celles-ci peuvent donner lieu.

Afin d’être éligible à la protection accordée par le droit d’auteur, toute œuvre de l’esprit doit cumulativement prendre une forme perceptible aux sens et être originale. La notion d’originalité, forgée au gré des décisions judiciaires, s’apprécie notamment comme le reflet de la personnalité de l’auteur. Les photographies sont donc susceptibles de donner lieu à une telle protection, ainsi que le vise explicitement l’article L. 112-2, 9° du code de la propriété intellectuelle, et parmi elles, celles portant sur une œuvre artistique préalable. Cependant, la jurisprudence s’avère bien plus réceptive à la protection de photographies d’objets en trois dimensions que de ceux en deux dimensions. En effet, les photographies de tableaux, notamment en vue de leur présentation au sein d’un catalogue de vente, ont vocation à représenter le plus fidèlement possible l’objet proposé au feu des enchères. Ainsi, le photographe tend à s’effacer derrière le peintre pour présenter avec la plus grande neutralité l’œuvre avec ses imperfections et les marques laissées par les âges. Il s’agira dès lors d’une reproduction servile, ne faisant appel qu’à la seule maîtrise technique et à la mise en œuvre d’un savoir-faire, non susceptibles d’offrir une protection fondée sur les dispositions du droit d’auteur. Au-delà, le fait que le photographe réponde à une commande d’un opérateur de ventes n’obère nullement une potentielle reconnaissance du statut d’auteur. Toutefois, l’existence de contraintes et de directives peut limiter la liberté de création et annihiler ainsi toute expression de sa personnalité.

Parti pris esthétique
Quels sont alors les critères d’appréciation du reflet de la personnalité du photographe dans ses œuvres ? La jurisprudence retient de manière constante que ceux-ci résident notamment dans l’angle de prise de vue, le cadrage, l’éclairage, de manière à faire ressortir les contrastes des couleurs, des jeux d’ombres et de lumière ou au contraire l’homogénéité du tableau, à accentuer des traits, à mettre en relief un plan, selon la représentation que l’artiste a voulu donner.

La cour d’appel de Paris, au terme de son arrêt du 26 juin, s’inscrit pleinement dans le sillage des éléments d’appréciation traditionnellement retenus. Ainsi, elle relève que le photographe, M. Stéphane Briolant, « a effectué une recherche particulière non seulement du positionnement de chacun des objets mais également pour certains d’entre eux de son cadrage en retenant arbitrairement un détail particulier de l’objet […], que le positionnement des objets a fait l’objet de choix esthétiques particuliers, plusieurs objets pouvant figurer sur la même photographie en opposition ou en complémentarité les uns par rapport aux autres […], créant ainsi une dynamique particulière ». Par ailleurs, « le cadrage et l’angle de prise de vue des objets […] fait également l’objet de choix esthétiques arbitraires, les objets n’étant pas uniquement photographiés platement de face mais de biais ou à distance ». Dès lors, les photographies présentent « une recherche traduisant un parti pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur » et constituent ainsi des œuvres de l’esprit, qui ont été tout à la fois l’objet d’une contrefaçon et d’une atteinte à leur intégrité et au droit à la paternité de M. Briolant. Enfin, les juges retiennent « un travail particulier de postproduction tendant à retravailler informatiquement les photographies à l’aide de logiciels spécialisés afin notamment de calibrer les couleurs et les contrastes, en nettoyant si nécessaire le fond par l’effacement d’éléments superflus ou parasites ». À cet égard, une réserve pourrait être avancée quant à la formulation de la cour, puisqu’un tel travail relève davantage d’un savoir-faire technique, à moins que le photographe n’ait recherché un effet particulier, reflet d’un choix esthétique.

« L’analyse de la cour est contestable » selon Me Flore Masure, avocate de la société Artprice.com, puisque « la cour apprécie de manière globale l’originalité des 8 779 photographies », pour lesquelles des droits étaient revendiqués par le photographe, qui accusait la base de données de contrefaçon de ses œuvres représentant essentiellement des objets en trois dimensions, en les diffusant sans son autorisation. En effet, une analyse rigoureuse, et fastidieuse, aurait exigé de procéder à une appréciation de chacune des photographies incriminées, ou à tout le moins à un échantillonnage contradictoire. Toujours selon Me Masure, « l’originalité desdites photographies est en soi contestable en raison, d’une part, des contraintes inhérentes à leur finalité et, d’autre part, en raison du seul travail technique produit, ainsi que l’atteste la rapidité des prises ». Enfin, « un vrai problème probatoire existe en l’espèce, tant pour les photographies revendiquées que pour les factures éditées ». Ces dernières n’indiquaient nullement une quelconque cession de droits d’auteur au profit de l’opérateur de ventes volontaires, permettant ainsi au photographe d’avoir qualité pour agir avec succès dans la défense de ses droits. À ce titre, selon l’information réglementée d’Artprice.com, une nouvelle plainte pénale a été déposée en date du 9 août pour escroquerie au jugement.

En définitive, si la majorité des photographies d’œuvres d’art insérées au sein de catalogues de vente aux enchères relève uniquement d’un savoir-faire technique, non susceptible de donner lieu à des droits d’auteur, certaines photographies ne reproduisant ni servilement ni trop fidèlement les objets passés devant l’objectif du photographe sont elles éligibles à une reconnaissance et à une protection sur le fondement du code de la propriété intellectuelle. Une telle situation s’apprécie également dans la rédaction des contrats liant l’opérateur au photographe, contrats non de droit d’auteur, mais simplement de prestation.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°397 du 20 septembre 2013, avec le titre suivant : Catalogues de vente aux enchères : de l’originalité des photos d’œuvres

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