Financement

L’archéologie au rabais

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 3 janvier 2012 - 924 mots

Après des allers-retours au Parlement, la réforme de la redevance d’archéologie préventive a fini par passer dans une version atrophiée.

PARIS - En décembre dernier, l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) a signé avec l’État son premier contrat de performance et de moyens par lequel il s’engage à améliorer ses délais et renforcer sa « performance financière, économique et sociale », tout en développant l’exploitation scientifique et la diffusion des données. Pour ce faire, l’institut comptait sur la réforme de sa redevance d’archéologie préventive (RAP), prévue par l’article 22 du projet de loi de finances rectificative pour 2011 (PLFR 2011). Depuis la création de l’institut, en 2002, la RAP n’a cessé d’être recalculée pour tenter de répondre, de manière pérenne, aux besoins réels de l’institution. Destinée à financer les diagnostics, la recherche archéologique et certaines fouilles pour des aménageurs exonérés ou communes nécessiteuses  – par le biais du fonds national d’archéologie préventive (Fnap –, la RAP rapporte quelque 65 millions d’euros annuels là où il en faudrait le double.

Après plusieurs modifications de son taux (calculé auparavant en centimes d’euros par mètre carré), une réforme avait été mise sur les rails pour résoudre les problèmes financiers de l’Inrap. Le prélèvement de la RAP devait être rattaché à la taxe d’aménagement avec un taux à 0,5 % de l’ensemble immobilier (qui sera finalement ramené à 0,4 %) pour rapporter 122 millions d’euros, somme arbitrée par Matignon. Mais, coup de théâtre, le 23 novembre dernier, à l’Assemblée nationale, en commission des Finances, l’article 22 est supprimé suite à l’amendement déposé par Gilles Carrez, député-maire du Perreux-sur-Marne et rapporteur général du budget (lire le JdA n° 358, 2 décembre 2011, p. 36). Parti en campagne contre l’Inrap, Gilles Carrez dénonce « la dérive extrêmement importante des dépenses en matière d’archéologie » et un budget qui n’a cessé d’augmenter. Il omet de préciser que, actuellement, l’État prescrit des diagnostics à hauteur de 6-8 % des travaux d’aménagements et que ses services estiment, au contraire, qu’il faudrait une progression de la surface diagnostiquée au risque de voir détruire de nombreux sites. Créé, il y a à peine dix ans et destiné dès le départ à développer ses activités, l’Inrap doit aujourd’hui faire face à de nouveaux besoins, à l’instar des centres archéologiques qu’il développe sur tout le territoire pour permettre aux archéologues de disposer d’ateliers, bureaux et lieux de stockage…

Un amendement restrictif
Après des discussions houleuses, la ministre du budget Valérie Pécresse est parvenue à faire voter à l’Assemblée nationale, le 2 décembre dernier, un nouvel amendement sacrifiant certains points de l’article 22 aux exigences de Gilles Carrez. Se trouvent ainsi exclues de l’assiette de la RAP les constructions de maisons individuelles (résidences principales et secondaires). Le rendement de la RAP serait désormais limité à 105 millions d’euros. Suivant le jeu de la navette parlementaire, le texte repart au Sénat, le 15 décembre dernier. Le rapporteur de la commission des Finances, Nicole Bricq (PS), remet alors sur le tapis le financement de l’archéologie préventive en déposant un amendement pour revenir à l’article 22 et à l’arbitrage de Matignon qui avait paramétré la RAP à 122 millions d’euros. Pour elle, l’exonération des maisons individuelles priverait l’Inrap d’une partie trop importante de ses ressources, et moins l’institut a de ressources, « plus les délais qui lui sont nécessaires pour effectuer son travail sont longs et […] les collectivités locales […] pénalisées ». Selon elle, ce nouvel amendement supprime 30 % de la RAP qui rapporterait désormais non pas 105 mais 85 millions d’euros, soit 38 millions de moins que les 122 escomptés. Nicole Bricq rappelle que l’exonération des maisons individuelles est contraire aux objectifs de lutte contre l’étalement urbain prôné par le Grenelle de l’environnement. Lors de cette séance du 15 décembre, Vincent Eblé, rapporteur de la commission Culture au Sénat, a proposé un amendement similaire à celui de Nicole Bricq pour ramener la RAP à 115 millions d’euros, en retirant l’exonération concernant les constructions individuelles et en maintenant celle actuellement en vigueur pour l’ensemble du logement social – que le gouvernement souhaitait réduire au seul logement très social. Ils ne seront pas entendus. Le 21 décembre, l’Assemblée nationale adopte le PLFR 2011, abandonnant définitivement, comme le souhaitait Gilles Carez, l’article 22 au profit de l’article 78 qui exonère de la RAP les constructions individuelles et maintient le taux de la redevance à 0,4 % de la valeur de l’ensemble immobilier.

L’Inrap se trouve à présent dans une situation délicate et ne pourra se passer, comme l’espérait la rue de Valois, de subvention de l’État – l’Inrap s’autofinance à hauteur de 60 % essentiellement grâce aux produits des fouilles selon le principe de l’aménageur-payeur. Faute de financements nécessaires, l’avenir de nombreux vestiges archéologiques pourrait être menacé. En interne, au ministère de la Culture ou à l’Inrap, les équipes ne cachent pas leur déception face à cette « réformette » bien en deçà des résultats escomptés. Il faudra se pencher sur un autre aspect de la réforme du financement de l’Inrap concernant, cette fois, le Fnap. À partir de 2013, en effet, le Fnap sera versé intégralement à un compte d’affectation spécial (CAS), géré par la Direction générale du patrimoine au sein du ministère de la Culture afin, selon Valérie Pécresse, de « renforcer le contrôle du Parlement sur cette politique publique ». Au risque pour l’Inrap de perdre de son indépendance, notamment dans le domaine de la recherche.

L’INRAP EN CHIFFRES

Budget annuel 2012 : 168 millions euros
Ressources propres : 59 % de son budget
Nombre d’emplois : 2100 équivalents temps plein

Légende photo

Chantier de fouilles de l'INRAP (fév-jul.2008) : vestiges de chasseurs-cueilleurs du mésolithique à Paris XVe, 62 rue Henri-Farman, sur le futur emplacement du SYCTOM - Courtesy photo Félix Potuit

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°360 du 6 janvier 2012, avec le titre suivant : L’archéologie au rabais

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