Histoire

La mémoire de l’esclavage au ralenti

Le rapport remis récemment au Premier ministre sur la fondation pour la mémoire de l’esclavage manque de tonus

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 14 mars 2017 - 1035 mots

En mai 2016, François Hollande annonçait la vocation du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage à se transformer en fondation et confiait la présidence de sa mission de préfiguration à Lionel Zinsou. Le rapport que vient de remettre celui-ci ne contient pas de réelle proposition quant au lieu pour abriter cette structure et à son financement.

PARIS - Le 10 mai 2016 lors de la « Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions », François Hollande affirmait « son souhait de donner à la mémoire de l’esclavage l’institution qui lui manque encore » à travers « la création d’une “Fondation pour la mémoire de l’esclavage, de la traite et des abolitions”.» La feuille de route énoncée par le président déclinait quelques grands axes. En premier lieu, elle rappellait « la vocation » du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage (CNMHE) à se transformer en une « fondation. » Créé en 2006 dans la foulée du rapport de l’écrivain et essayiste Édouard Glissant commandé par le président Jacques Chirac, et présidé successivement par Maryse Condé et Françoise Vergès, ce comité installé au ministère des Outre-mer était alors dirigé par Myriam Cottias, directrice de recherches au CNRS et directrice du Centre international de recherches sur les esclavages.

François Hollande avait ensuite évoqué les objectifs de la fondation et confié la présidence de sa mission de préfiguration à Lionel Zinsou, ancien Premier ministre du Bénin et candidat malheureux à l’élection présidentielle en mars 2016. Le calendrier prévoyait la remise d’un rapport à l’automne et la création de la fondation avant la fin 2016 ; il fallait en outre mener une réflexion avec la Mairie de Paris sur l’édification dans la capitale à la fois d’un mémorial aux esclaves et d’un lieu muséographique.

Des initiatives pas inédites puisqu’elles réaffirmaient l’engagement pris par Jacques Chirac pour la création d’une fondation et d’un centre national pour la mémoire des esclaves (et non de l’esclavage) et de leurs abolitions. La nomination de Lionel Zinsou à la tête de cette mission de préfiguration avait cependant surpris, d’autant que des dissensions existent entre les différentes associations actives en France et en outre-mer. « Cette nomination est à relier », disait-on alors à l’Élysée, à la capacité de Zinsou, par ailleurs P.-D.G. du fonds d’investissement Européen PAI Partners, « à lever des fonds privés pour la fondation, voire du même coup pour la campagne présidentielle de François Hollande » – lequel pensait à l’époque briguer un deuxième mandat.

Recherche de lieux
Dix mois après ces annonces, le rapport de la mission remis le 8 mars 2017 à Bernard Cazeneuve apparaît bien pauvre en résultats. Les conclusions issues de la rencontre le même jour entre Lionel Zinsou et le Premier ministre le sont tout autant : ce dernier entérine, conformément aux recommandations du rapport, la création d’un groupement d’intérêt public (GIP) pour préfigurer la création d’une fondation reconnue d’utilité publique, et demande la poursuite de la prospection de sites possibles dans Paris pour l’implantation d’un mémorial des noms et d’un espace muséal. Ce qui signifie que, sur ce point, les recherches sont au point mort. Le rapport mentionne le site de l’ancien Musée des arts et traditions populaires pour abriter le futur musée de l’histoire des esclavages, ce qui montre un défaut non seulement de prospection mais d’information, puisque dès l’été 2016 la Ville de Paris était en négociation avec Bernard Arnault pour l’installation en ses murs de la « Maison LVMH/Arts-Talents-Patrimoine.» Le texte évoque également l’installation du siège de la fondation au sein de l’hôtel de la Marine ; Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux, y est peu favorable, mais « laisse le choix à la discrétion du président de la République », assure-t-on au CMN. Quant au mur mémoriel, son implantation, envisagée dans les jardins des Tuileries, n’a donné lieu à aucune prise de contact avec la présidence du Louvre ni avec les responsables du site des Tuileries.

Il apparaît ainsi que la recherche de sites et de financement pour la fondation en est restée aux pistes évoquées dans le rapport de Myriam Cottias remis à Matignon et à l’Élysée en avril 2016, rapport comparativement plus complet et très différent dans son approche, dans son invite à déconstruire le schéma victimisation/repentance. Schéma que l’on retrouve aujourd’hui dans le rapport de Lionel Zinsou mais aussi dans le positionnement de l’association CM98, présidée par Serge Romana, conviée comme d’autres associations à la réflexion pour la préfiguration de cette future fondation.

La non-reconduction (par un simple SMS !) en août de 2016 de Myriam Cottias à la tête du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, et la nomination à sa place par George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, de l’historien guadeloupéen Frédéric Régent, proche de Serge Romana, laissait présager la suite. Si la colère de Manuel Valls à la suite de cette éviction a valu son poste au ministre, remplacé par Ericka Bareigts, ni Matignon ni l’Élysée ne sont allés plus loin dans leurs investigations sur les raisons de cette « OPA » du CNMHE par le CM98.

Dissensions au sein du Comité national pour la mémoire de l’esclavage
Ces changements radicaux de profils au sein du CNMHE, menés avec le soutien des conseillers outre-mer à Matignon et à l’Élysée, n’en sont pas moins inscrits dans la continuité de ce qui s’est joué au Sénat en mai 2016 : à l’occasion de l’examen de la loi pour l’égalité réelle des outre-mer, les partisans du maintien d’une seule date commémorative de l’esclavage (celle du 10 mai) s’étaient vivement opposés à ceux comme Serge Romana souhaitant le rétablissement du 23 mai comme « Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions », désormais inscrite au calendrier national. L’institut Tout-Monde, dirigé par Sylvie Glissant, a déploré que « cette querelle des dates [donne] une vision partiale de la mémoire », et contribue au détricotage du travail accompli par le CNMHE depuis dix ans. Durant ces cinq derniers mois, les dissensions au sein du comité de préfiguration de la fondation ont rappelé ces oppositions de fond sans qu’au plus haut sommet de l’État on ne semble en saisir les enjeux.

Légende photo

Lionel Zinsou. Photo D.R.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°475 du 17 mars 2017, avec le titre suivant : La mémoire de l’esclavage au ralenti

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