À Paris

Welcome to Joburg !

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2013 - 637 mots

Dans le cadre de la Saison sud-africaine en France, la Maison rouge se penche sur la vivace scène artistique de Johannesbourg, qui n’en finit pas d’explorer la ville et les évolutions de la société post-apartheid.

Les images de Jodi Bieber claquent. Lumière intense et coloris contrastés y dépeignent joie de vivre et insouciance : des enfants jouant dans une piscine municipale, des commerces, des jeunes femmes noires dans un intérieur « middle class » décoré… Ces scènes se passent à Soweto, le plus grand des townships bordant Johannesbourg – ou « Joburg » –, capitale économique de l’Afrique du Sud. Dans les années 1990 déjà, l’artiste avait réalisé là des photographies noir et blanc au contenu autrement plus sombre. Que s’est-il passé depuis ? Des mutations considérables tant de l’espace urbain que des modes de vie, une « déghettoïsation » progressive : phénomènes, qui n’ont pas échappé aux artistes.
Espace impossible d’une surface de 1 645 km2 abritant six millions d’âmes, mégalopole tentaculaire, hétéroclite et paranoïaque où, plus de vingt ans après l’abolition de l’apartheid, en 1991, le vivre-ensemble est encore loin d’être une évidence. Symptomatiques de la situation, des ségrégations par zones existent encore. Nombre de Blancs vivent dans des quartiers cossus ultra-sécurisés après avoir déserté le magnifique centre-ville et délaissé les sièges des entreprises, dont les bâtiments se sont dégradés.
C’est un portrait de Joburg tout en sensibilité qu’esquisse à Paris la Maison rouge, profitant de la tenue jusqu’en décembre d’une « Saison sud-africaine en France ». Un portrait à travers l’œil acéré de ses artistes, qui révèlent les tensions et contrastes agitant une société en mouvement.
La photographie se taille là la part du lion, médium phare dans la création sud-africaine. Elle permet d’observer et de documenter, sans pour autant délaisser la recherche plastique : Jo Ratcliffe s’interroge ainsi sur les limites de la représentation dans sa série de tirages assemblés en panoramas décrivant des discontinuités urbaines Johannesburg Inner City Works (2000-2004).
David Goldblatt accompagne du haut de sa stature les bouleversements sociaux comme l’ouverture en 2009 de Maponye, un clinquant temple du commerce en plein Soweto, encore. Goldblatt qui, en 1989, fonda le Market Photo Workshop, à la fois école et lieu d’exposition d’où sont sortis de beaux talents, à l’exemple de Sabelo Mlangeni. Ce dernier jette son dévolu sur des communautés à la marge dont il observe sans relâche les mode de vie, telles ici les femmes travaillant la nuit à nettoyer les rues. L’école bénéficie dans l’exposition d’un espace où sont présentés quelques étudiants prometteurs. Ainsi, Mack Magagane, âgé de 22 ans seulement, s’intéresse à la ville la nuit, tandis que Christos Stamatiou décrit abruptement le quotidien d’héroïnomanes.
Le territoire, ce sont également des barrières, à l’image de la belle installation de Serge Alain Nitegeka, exilé du Burundi, dont le travail évoque le déplacement et les contraintes physiques. Cet entrelacement de planches noires barrant l’espace (Obstacle I, 2012) aurait toutefois pu être un peu plus envahissant.
Les changements de la société sud-africaine conduisent aussi les artistes à s’intéresser à des formes hybrides révélatrices de contradictions et d’ambiguïtés. Ainsi Lawrence Lemaoana transforme un repose-tête tribal en un objet clinquant argenté dont le soubassement est devenu une BMW (Success Beautifully Reflected, 2013). Ailleurs Nandipha Mntambo compose une sorte de robe en peau de vache greffées de queues du même animal (Enchantment, 2012).
Si la scène artistique de Joburg est aujourd’hui si créative, c’est peut-être que, de tiraillements en paradoxes, elle est dominée par le sentiment de l’intranquillité.

Commissariat : Paula Aisemberg, Antoine de Galbert

Nombre d’artistes : 57

Nombre d’œuvres : env. 200

MY JOBURG. LA SCÈNE ARTISTIQUE DE JOHANNESBOURG

jusqu’au 22 sept., La Maison rouge, 10, bd de la Bastille, 75012 Paris, tél. 01 40 01 08 81, www.lamaisonrouge.org, tlj sauf lundi-mardi 11h-19h, jeudi 11h-21h. Catalogue, coéd. La Maison rouge/Fage éd., 256 p., 28 €.

Légende photo

Jodi Bieber, Orlando West Swimming Pool, Orlando West, Soweto, 2009, impression numérique sur papier cotton, 112 x 84 cm, The Walther Collection, Ulm.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°395 du 5 juillet 2013, avec le titre suivant : Welcome to Joburg !

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