Marqué par ses études d’architecture, l’artiste a construit une œuvre plurielle, sous le sceau de l’épure des formes, du silence et de la contemplation.
C’est une rétrospective qui ne dit pas son nom. « A family of rooms » présentée au Centre d’art d’Amilly (45), offre un panorama sur le riche parcours artistique de Vincent Barré, soit plus de cinquante ans de création à la croisée de l’architecture, de la sculpture, de l’enseignement… Il y est tout autant question de recherche de formes et de matières, que de voyages ou de rencontres amicales ; celles-ci finissant par construire, au fil du temps, une famille artistique.
Né en 1948 à Vierzon, Vincent Barré a grandi dans une famille d’architectes, métier exercé sur quatre générations. Albert Laprade (1883-1978), son grand-père maternel, travailla quelques années (de 1915 à 1919) pour le protectorat français au Maroc avant de concevoir le Palais de la Porte dorée (aujourd’hui Musée national de l’immigration) pour l’Exposition coloniale de 1931. Prolongeant la tradition familiale, Vincent Barré s’engage dans un cursus d’architecture aux Beaux-Arts de Paris entre 1967 et 1972, puis il part aux États-Unis pour suivre l’enseignement de l’architecte américain Louis Kahn (1901-1974) qui le marquera durablement. De retour en France, le jeune homme exerce auprès de Patrick Berger et Christophe Bayle durant sept ans, travaillant notamment à la construction d’immeubles HLM. C’est à cette époque, qu’il obtient son doctorat en urbanisme, avec pour sujet d’étude la ville de Panauti, ancienne cité royale au Népal. En 1982, à 34 ans, Barré décide pourtant de se consacrer entièrement à la création artistique. « Au bout de quelques années, je m’étais rendu compte que l’architecture n’était pas ma voie », confie l’artiste. « J’envisageais une existence plus solitaire et secrète, moins dirigée par les contraintes et les questions de budget. Mais ces années durant lesquelles j’ai beaucoup transpiré m’ont obligé à m’affirmer alors que j’étais d’un naturel plutôt réservé. » La voix est douce, la mise décontractée, le ton chaleureux, la silhouette presque frêle en comparaison de ses imposants totems de métal.
Une nef écrin dans les anciennes tanneries
À Amilly, la grande salle du centre d’art des Tanneries, avec son alignement de piliers de béton sur 1 500 m2 et ces six mètres de hauteur, fait l’effet d’une véritable nef contemporaine. L’espace constitue un écrin idéal aux sculptures de Vincent Barré, disposées à même le sol de béton et regroupées par ensembles : des familles de forme intitulées « Fuseaux », « Colonnes », « Stèles » ou « Anneaux ». Les plus anciennes pièces datent de 1999, les plus récentes de 2025. Les sensations de « silence, de massivité et d’ancrage au sol » souhaitées par l’artiste fonctionnent à merveille. Les fontes de fer à la teinte roussie côtoient des fontes d’aluminium, identifiables par leur couleur grise, le bois apparaît plus rarement comme dans deux colonnes jumelles. Le sculpteur procède souvent par accumulation d’éléments gigognes ou par répétition de formes. Dans un angle de la nef, ont été empilés des anneaux en polystyrène blanc, issu de blocs évidés, découpés par le biais d’un fil chauffant. L’installation constitue une évocation du travail de fonte à modèle perdu réalisé en atelier. Sur les pièces finalisées, on peut d’ailleurs voir les traces du travail : stries de la découpe, repentirs, marques de scotch.
Tout au fond de la nef, en prolongement de l’axe central, la vidéo Est-ce aimer ? co-réalisée avec son complice Pierre Creton, plasticien, réalisateur, jardinier, se cache dans une alcôve. On la découvre derrière un grand rideau, en regard d’une colonne en aluminium. Cette image en suspension, vision presque immobile des deux hommes s’étreignant sur fonds de bourdonnements d’abeilles, propose un contrepoint humain à cet univers très abstrait. Un corps à corps qui résonne avec le travail physique engagé autour de la matière. « Il y a une grande humanité et une quête spirituelle dans cette œuvre », relève Éric Degoutte, directeur du centre d’art. « La figure du double est très présente, de même que l’idée de destruction-reconstruction, que l’on retrouve par exemple dans la découpe de la matière. Lui-même a dû se déconstruire comme architecte pour mieux se reconstruire comme artiste. »
L’engagement dans la transmission
De ses années d’architecture, le sculpteur a gardé le goût du croquis au crayon. Utilisés pour le dessin d’observation sur le motif comme pour la prise de notes, ces cahiers exposés en vitrines témoignent de ces différentes périodes de création et des multiples voyages en Méditerranée (Italie, Grèce, Égypte) ou en Asie (Inde, Népal, Chine). En galerie haute, est proposé un dialogue avec d’autres artistes inspirants, de Simon Hantaï à Judith Reigl, de Toni Grand à Geneviève Asse.
À travers l’invitation faite à une dizaine d’anciens élèves, exposés sous la verrière et dans le parc, c’est enfin tout l’engagement du sculpteur dans la transmission qui est mis en avant. Vingt ans après ses études à l’École des beaux-arts, Barré y retourne d’abord comme assistant du sculpteur de Georges Jeanclos (1933-1997) et coordinateur du département Sculpture, avant d’assurer pendant seize ans les responsabilités de chef d’atelier. Ces activités déboucheront sur de multiples collaborations artistiques et amicales, tels les projets menés avec son collègue et ami Richard Deacon (né en 1949). C’est ainsi qu’il organise dès 2007, à Amilly, les premières résidences et expositions de ses étudiants dans ce qui n’est alors qu’une friche industrielle. Certains des artistes présents lors de l’exposition « L’eau et les rêves », en 2008, tels Charles-Henry Fertin, Pierre-Alexandre Remy, Julien Laforge retrouvent aujourd’hui le parc qui a accueilli leurs premières œuvres d’étudiants. Si l’on ne peut vraiment parler d’une filiation formelle ou stylistique avec ces jeunes générations, la transmission est surtout affaire de rapports aux gestes, d’une recherche sur la matière et les formes justes.
Poétique filmée de la déambulation
L’émulation ne fonctionne pas à sens unique. C’est auprès de ses étudiants que Vincent Barré se prend au jeu de l’image filmée. Les voir pratiquer la vidéo l’encourage à investir dans une caméra mini DV. Développée à partir de 1995, sa filmographie compte aujourd’hui des courts, moyens et longs métrages, dont certains co-réalisés avec son compagnon Pierre Creton. On peut discerner dans ces images, une poétique filmée de la déambulation, du voyage géographique ou littéraire. Dans L’Arc d’iris, réalisé lors d’un séjour dans l’Himalaya à plus de 3 000 mètres d’altitude, le couple capte des fleurs (silène, alium, cicerbita, cirsium…) ballottées par le vent, sur fond de cimes enneigées. Avec Mètis, on voyage entre le temple de Sélinonte en Sicile et l’abbaye du Thoronet, sur un texte d’Empédocle lu par Françoise Lebrun. Dans Sept Promenades avec Mark Brown, sorti en salles en janvier dernier, le botaniste est suivi sur ses terres normandes, à la recherche de plantes indigènes.
Retour à l’urbanisme
Chez Vincent Barré, l’architecture et l’urbanisme ne sont jamais bien loin. L’expertise des premières années resurgit à la faveur de la rencontre de Gérard Dupaty, le maire d’Amilly, petite commune proche de Montargis. Les deux hommes font connaissance à la fin des années 1980, en voisins : le sculpteur a établi son atelier à quelques kilomètres de là, dans un vaste hangar de ferme. L’élu cherche des idées et des conseils pour redonner un second souffle au centre-bourg. En réponse, l’architecte-artiste réfléchit à des pistes d’aménagements urbains, propose quelques croquis, suggère des noms d’architectes et paysagistes. La première réalisation de ce projet de territoire unique en son genre porte sur la construction d’une halle, en bordure de l’église. L’édifice associe le travail de l’architecte Michel Euvé avec les colonnes torsadées du sculpteur Wade Saunders. En deux décennies, plusieurs réalisations se succèdent. L’architecte et designer Sylvain Dubuisson, avec lequel Vincent Barré partage son premier atelier de campagne, est mobilisé pour la médiathèque et la réhabilitation de deux bâtiments communaux. Les deux amis signent aussi le réaménagement de la place du village. Réhabilité par l’architecte Bruno Gaudin en centre d’art, l’ancien site industriel des Tanneries est, quant à lui, inauguré en 2016. Sur le rond-point précédant la route d’accès au lieu, Les Jumelles en fonte de fer de quatre mètres de haut, accueillent les visiteurs. Un hommage au dialogue et à l’échange par celui qui a tant contribué à façonner le paysage de la petite commune.
1948 Naît à Vierzon (18)
1972 Obtient son diplôme d’architecture UP1, à Paris
1975-1982 Exerce comme architecte avec Patrick Berger et Christophe Bayle associés
1982 Cesse son activité d’architecte libéral pour se consacrer à la sculpture
1995 Nommé chef d’atelier à l’École nationale supérieure des beaux-arts
1996 Sortie de son premier film Les Jardins de Vincent Barré, co-réalisé avec Sophie Roger
1997-2020 Artiste-architecte conseil pour la ville d’Amilly (45)
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Vincent Barré, de l’architecture à la sculpture
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Abonnez-vous dès 1 €Centre d’art les Tanneries, 234 rue des Ponts, Amilly (45), jusqu’au 19 octobre, www.lestanneries.fr





