Art ancien

XVIIE SIÈCLE / EXPOLOGIE

Une rétrospective Ribera complète et juste

Par Marion Krauze · Le Journal des Arts

Le 22 janvier 2025 - 731 mots

PARIS

Le Petit Palais met à l’honneur le peintre d’origine espagnole, héritier du Caravage, dans un parcours aéré et édifiant.

Jusepe José de Ribera (1591-1652), Apollon et Marsyas , 1637, huile sur toile, 182 × 232 cm, Museo e Real Bosco di Capodimonte, Naples. © L. Romano
José de Ribera (1591-1652), Apollon et Marsyas, 1637, huile sur toile, 182 × 232 cm, Museo e Real Bosco di Capodimonte, Naples.
© L. Romano

Paris. Ténébrisme dramatique, gestuelle exacerbée, réalisme cru des corps vieillissants et souffrants… Au Petit Palais, le préambule de l’exposition énonce d’emblée le propos : celui de rendre hommage à la virtuosité de José de Ribera (1591-1652), l’« héritier terrible du Caravage », selon ses contemporains, jugé aussi « plus sombre et plus féroce » que le grand maître italien. Mais à cela s’ajoute la volonté de combler une lacune. « Étonnamment, Ribera est peu à peu tombé dans l’oubli en France, et ce malgré la renommée exceptionnelle qu’il a connue en son temps, déplore Maïté Metz, co-commissaire de l’exposition et conservatrice des peintures anciennes au Petit Palais. Il n’a jamais fait l’objet d’une rétrospective en France »

Pour la première fois donc, c’est l’ensemble de sa carrière qui est retracée, de ses années d’apprentissage romaines à sa position dominante sur la scène artistique napolitaine. Un défi que le Petit Palais relève avec brio, en évitant l’écueil d’un parcours trop riche. De fait, la sélection est délibérément resserrée, au regard de l’abondante production de Ribera : au total, quatre-vingts peintures et une vingtaine d’œuvres graphiques sont exposées, pour beaucoup provenant de musées étrangers et de collections privées. Des œuvres choisies avec pertinence, tant pour leur inventivité que pour leur qualité plastique, et dont l’accrochage espacé rend le parcours fluide et aéré. Son chef-d’œuvre, La Femme à barbe [voir illustration], prêté exceptionnellement par le Prado (Madrid), est exposé seul sur tout un pan de mur. Cette présentation isolée maximise l’impact visuel de l’œuvre, déjà bien intrigante par son sujet : une femme à la longue barbe noire qui donne le sein à un nourrisson, accompagnée de son mari. Sur demande du duc d’Alcalá, Ribera y immortalise en 1631 Maddalena Ventura, une femme devenue barbue probablement à la suite de dérèglements hormonaux. Un « prodige de la nature » (ou « merveille », selon les termes de l’époque) qu’il dépeint avec humanité et dignité, et qui illustre avec force le projet qu’a entrepris l’artiste depuis ses tout débuts : brouiller les frontières entre noblesse et prosaïsme.

José Jusepe de Ribera (1591-1652), Maddalena Ventura et son mari dite « La femme à barbe » , 1631, huile sur toile, 196 × 127 cm. © Photographic Archive, Museo Nacional del Prado. Madrid
José de Ribera (1591-1652), Maddalena Ventura et son mari dit « La femme à barbe », 1631, huile sur toile, 196 × 127 cm.
© Photographic Archive, Museo Nacional del Prado. Madrid
Un esthétisme de la violence et de la délicatesse

Suivant le cours de la vie de Ribera, l’exposition est divisée en deux parties : la période romaine (v. 1605/1606-1616), suivie de celle napolitaine (1616-1652). Une distinction qui est aussi indiquée dans le choix chromatique des cimaises : les premières salles romaines baignent dans des tons bruns, celles napolitaines dans des nuances de bleu qui font bien ressortir les jeux d’ombre et de lumière des peintures. Cette division, scolaire mais didactique, a l’avantage de mettre en lumière l’évolution du style de l’artiste. À ses débuts, le jeune Ribera, âgé d’une quinzaine d’années, s’installe à Rome où il est alors surnommé « lo Spagnoletto » (le petit Espagnol). C’est durant ces premières années que l’influence caravagesque se fait la plus prégnante : Ribera s’approprie, réinterprète ces sujets inspirés de l’univers des bas-fonds. Si le fait de ne pas vouloir le considérer à l’aune du Caravage est un parti pris assumé des commissaires – justifié, par ailleurs –, on pourrait malgré tout regretter l’absence d’œuvres du maître italien (seulement reproduites dans de petits cartels annexes), qui auraient rendu cet héritage plus tangible pour le visiteur.

Puis en parcourant les salles napolitaines, une évidence s’impose : lorsque Ribera s’établit définitivement à Naples à partir de 1616, son style gagne peu à peu en finesse et délicatesse. Il joue avec la matière, éclaircit sa palette en s’inspirant du colorisme vénitien, se tourne vers d’autres médiums (dessin et gravure), explore un esthétisme de la violence dans des compositions profanes tout autant que religieuses.

« L’intérêt de ce parcours chrono-thématique, c’est de pouvoir suivre l’évolution du style de Ribera, mais aussi de comprendre ses inventions propres, ses citations, ses reprises, ses obsessions », résume Maïté Metz. La scénographie, très réussie, sert clairement cette intention : l’accrochage des œuvres à un niveau assez bas facilite leur observation en profondeur, permet de déceler une multitude de petits détails intrigants ou récurrents. La disposition des peintures est, elle aussi, bien pensée : les œuvres se répondent, entrent en corrélation. D’un seul regard, le visiteur repère des similitudes, des réinterprétations et reprises de motifs, des figures récurrentes à l’instar d’un vieillard que Ribera appréciait manifestement comme modèle, et qui sous ses traits de pinceau revêt tantôt les atours d’un philosophe, tantôt ceux d’un saint.

Ribera. Ténèbres et lumière,
jusqu’au 23 février, Petit Palais, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°647 du 17 janvier 2025, avec le titre suivant : Une rétrospective Ribera complète et juste

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